A Arles, Chris Marker au cœur des «Rencontres»

Par BRIGITTE OLLIER

Photographie. La 42e livraison du festival qui s’ouvre aujourd’hui met à l’honneur le Mexique et le cinéaste français culte.

Passagers, 2008-2010 de Chris Marker. - Courtesy of the artist and Peter Blum Gallery, New York.

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«Chris Marker, we love you.» Déclaration d’amour à un homme qui défie le temps et les préjugés, capable de relier les arts visuels dans le même plan, de Lascaux à Internet. Chris Marker, 89 ans, est la tête d’affiche des Rencontres d’Arles qui débutent aujourd’hui. Y seront montrées plus de 300 œuvres, dont son célèbre photo-roman la Jetée, tampon-encreur de la Nouvelle Vague, réalisé en 1962. Doué de multiples identités, l’auteur du Mystère Koumiko présentera aussi son récent travail dans le métro parisien, Passagers (2008-2010). Une suite de portraits à la volée, incroyablement dynamiques, auxquels est associée parfois l’ombre virtuelle de la peinture.

Péché

En plus de cet hommage à un Neuilléen en lévitation perpétuelle, entre le Japon et la planète Mars, cette 42e édition, titrée Non conforme, honorera le Mexique, terre d’accueil des surréalistes en goguette et de Trotski en exil. Au programme : les archives de la révolution (et pas seulement Zapata et ses gros mollets) ; la valise mexicaine, ou l’histoire romanesque de 4 500 négatifs de la guerre d’Espagne retrouvés (derrière l’objectif : Capa, Chim, et l’oubliée Gerda Taro) ; Graciela Iturbide, femme arc-en-ciel qui raconte un Mexique post-Alvarez Bravo, d’une grâce lumineuse (ainsi Juchitan et son peuple zapotèque, descendant des nuages) ; et, côté génération montante, Maya Goded et Dulce Pinzon, la première les yeux dans le péché (sexe et sorcellerie, hou hou), la deuxième mettant en scène des immigrants dans des costumes de super-héros : pas si cool.

Curieusement, comme un signe avant-coureur du 10e anniversaire du 11 Septembre, les ruines - ou l’idée d’une totale dévastation, accidentelle ou planifiée - traversent les travaux de certains artistes sélectionnés. Trois noms : Enrique Metinides (101 Tragédies). Raphaël Dallaporta (Ruines). Mikhael Subotzky (Ponte City). Et Indre Serpytyte, née en Lituanie, qui offre avec 1944-1991, une réflexion béton sur les traumatismes du régime soviétique.

Parmi les figures féminines, signalons l’Américaine Lynne Cohen, toujours appréciée depuis sa découverte au Frac-Limousin, et qui révèle rigoureusement le décor si net de la domination, dans le monde du travail par exemple. Et l’Allemande Rut Blees Luxemburg, à l’assaut des villes et des visages avec une poétique très directe, comme si elle voulait réveiller les mots.

Fastueux

Riche en petites surprise-parties (soirées au Théâtre antique, traditionnelle Nuit de l’année aux arènes, off à l’Archevêché), les Rencontres d’Arles reçoivent les photophiles et les éditeurs du monde entier, y compris les plus singuliers : RVB Books, les éditions de l’Œil, les éditions Nonpareilles avec le si beau Carnet d’Anne-Lise Broyer. Sans oublier Actes Sud au catalogue fastueux. Qui est sur l’affiche du festival arlésien, cuvée 2011 ? Un zébu zarbi croqué par Michel Bouvet. Conseil aux «primo-visiteurs» : ne pas essayer de voir les 60 expositions en 24 heures. Quant à ceux qui aiment le train, ils iront à Avignon (re)découvrir Stéphane Couturier (Maison des vins), Cy Twombly (collection Lambert) et les clichés sublimes pris par Degas, Bonnard et Vuillard. Une partie de notre enfance enfin rassemblée au musée Angladon, dont le nom est un voyage à lui seul.

Rencontres d’Arles Jusqu’au 18 septembre (jusqu’au 28 août pour quelques expositions). Rens. : rencontres-arles.com
Source : Libération
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Chris Marker, moires et mémoires

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Grande exposition Chris Marker en Arles pour les Rencontres de la Photographie. L'ensemble est à la fois disparate et homogène. À l'entrée, offert à la manipulation des visiteurs sur deux ordinateurs, le monde du cinéaste sur Second Life est aussi profond que le CD-Rom Immemory, mais il souffre des mêmes travers, une interface minimale et rébarbative. À la place de cet espace virtuel, à l'esthétique informatique vieillotte et malhabile, on rêverait d'une scénographie foraine en dur qui nous entraînerait dans les méandres de la pensée, en décors bien réels, avec des chausse-trappes et des miroirs déformants, de fausses perspectives et des passages secrets.


Si le malin faussaire froisse et déplie les visages des femmes, est-ce un ménage de printemps ou un échappatoire à l'inexorable oubli ? Ses clins d'œil aux vieux maîtres sont ceux d'un merveilleux conteur. Les affiches de cinéma jouent des heurts de la mémoire, les photographies des passagères du métro, son travail le plus récent, sont retouchées comme dans un journal de mode ou comparées à des tableaux historiques. Les fantômes prennent la pose à l'insu des modèles. Sommes-nous les enfants du passé ou du futur ? La conjugaison de Chris Marker confond l'un et l'autre. Les visiteurs peuvent se demander s'ils sont bien là ou ailleurs. Quelle heure est-elle ? interroge-t-il. La Jetée avait dressé les ponts. Le totem de postes de télévision est une incantation aux mythes cinématographiques, ces femmes qui hantent les souvenirs d'un homme qui s'est toujours voulu sans visage, du moins pour les autres. Invisible passe-muraille, le cinéaste traverse le temps sans même plus se déplacer, car Chris Marker ne viendra pas. Tout cela est derrière lui. Fatigué par les années des vrais calendriers, l'arpenteur rebelle avance toujours et encore, appâts contés.

 

 

Source : MEDIAPART

Tag(s) : #arts
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