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Les Brigades rouges marquèrent les seventies en Italie. Mais qu'en sait-on vraiment en France ? Peu de livres sur le sujet. Donc la traduction en français de ce livre paru en Italie en 1994 est une bonne chose. D'autant plus qu'il ne s'agit pas d'une interprétation de journaliste ou d'un jugement de philosophe plus ou moins engagé, mais d'un long et précis témoignage d'un des dirigeants des BR, de 1970 à 1981, Mario Moretti.

 

 

 

 

A sa sortie italienne, le livre fut durement attaqué et la presse demanda même que Rossana Rossanda fut poursuivie pour avoir réalisé cet entretien. Ce chapitre, long et violent de l'histoire du pays, était encore très douloureux.Depuis l'ouvrage fut ré-édité sans arrêt.

Ce livre-document est donc à la fois un livre politique, mais aussi sociologique, et bien entendu humain.

Durant les années de plomb, l'Italie comptait de nombreux groupes révolutionnaires armés, mais les BR furent le plus important. Il est donc nécessaire de mieux comprendre pourquoi cette lutte armée. Laquelle ne fut pas unique, l'Allemagne et le Japon la connurent, mais à un niveau totalement différent. La violence révolutionnaire japonaise était plus basée sur le fonctionnement en vase clos de groupes très sectaires, et l'Allemagne avec la RAF ne prit jamais vraiment une ampleur comparable aux actions armées des BR. D'autant que les militants de la RAF ne réussirent jamais vraiment à s'appuyer sur une fraction significative des masses, notamment ouvrières. Ce qui fut le cas des Brigades rouges de Renato Curcio.

 Le mois prochain, Moretti, surnommé l'imprenable, aura passé trente ans en prison ! Il fut condamné à huit reprises à la perpétuité, même si dans les années 90, il  a obtenu un régime de semi-liberté.

Dans sa préface, Rossanda rappelle à juste titre que l'armée française qui torturait massivement durant la guerre d'Algérie, eut droit à l'amnistie dès 1962 et que pour les tueurs de l'OAS cela fut régler dès 1967. En Italie, les collaborateurs avec les nazis obtinrent une amnistie dès 1951.

 

Rossana Rossanda, ancienne dirigeante du Parti communiste italien et journaliste célèbre, obtint en 1993 la permission du ministère de la justice, d'interviewer durant six jours Moretti. Cela eut lieu à la prison d'Opéra, près de Milan en juillet et août. Moretti n'avait pas envie d'écrire son histoire et il préférait donc répondre à des questions de deux personnes amies, dont Carla Mosca, également journaliste.

Les deux journalistes enregistrèrent les conversations, prirent des notes, écrivirent une première version que Moretti corrigea.

Organisation armée atypique, les BR ne ressemblent pas à l'IRA ou à ETA. Même si l'ex PCI refusa toujours cette idée, cette organisation fit partie de l'histoire de la gauche en Italie.

Cette restitution de ces longs entretiens est divisée en huit chapitres. Dans les trois premiers, l'on suit la formation des BR, le passage de l'usine à la clandestinité, l'explication idéologique du passage à la lutte armée et aussi la création des premières colonnes en 1972-74.

Ainsi que l'on pouvait s'en douter, le cœur du livre est consacré au fameux enlèvement d'Aldo Moro, avec les 55 jours de détention et l'exécution finale. L'Etat avait été déterminé comme étant l'ennemi, et Moro était un des plus hauts représentants de cet Etat capitaliste.

Dans cette phase historique pour le pays et pour l'organisation, celle-ci ne sera jamais aussi forte, mais, et Moretti l'explique bien, jamais aussi faible, puisque cela débouchera peu après sur la fin de l'unité des BR (1979-1981). Le livre s'achevant sur de longues et courageuses explications critiques de Moretti.

Le courage d'observer, le courage d'en finir.

Même s'il fallut attendre 1987 et la lettre signée Curcio, Moretti, Ianelli et Bertolazzi, mettant fin à l'existence des BR. Lettre publiée par le quotidien communiste IL MANIFESTO, créé par Rossana Rossanda et des intellectuels membres du PCI (sans l'aval du Parti, ce qui amena leur radiation collective par décision du CC). Mais les BR avaient été vaincues et aucun débat ne s'engagea dans le pays.

 

Ce livre est sans doute un livre-clé pour étudier et comprendre l'histoire politique de l'Italie. Une période où une vieille droite alliée à des secteurs de la  mafia s'allia, dans un hideux compromis historique, au PCI, un des partis communistes les plus forts en Europe. Une période aussi où la tentation de l'action directe armée fut grande et où nos amis italiens y cédèrent en grand nombre, face aux violentes attaques de la police et face à celles, multiples et souvent mortelles des groupes fascistes qui pratiquèrent à plusieurs reprises des attentats sanglants. Comprendre la ligne politique des BR ne pouvait se faire sans une recontextualisation réelle, notamment face à la statégie de la tension.

Un livre qui est aussi à verser au dossier déjà ancien de l'utilisation de la violence révolutionnaire dans un pays non dictatorial. La radicalité du choix politique des BR peut se comprendre lorsqu'on saisit bien la période. Pourtant les faits étant têtus, la défaite finale doit servir d'exemple.

Affronter l'appareil d'Etat est compréhensible, admissible. Mais le prix à payer est lourd aussi en terme d'isolement. On le voit dans ce livre où au début les noyaux initiaux des BR sont comme des poissons dans l'eau dans le mouvement ouvrier. Et quelques années plus tard, seuls face à l'appareil répressif de l'Etat.

Un livre aussi utile que passionnant.

 

Dan29000

 

 

Brigate rosse, une histoire italienne

Mario Moretti,

avec Carla Mosca et Rossana Rossanda

Traduit de l'italien par Olivier Doubre

Editions Amsterdam

2010 / 358 p / 19 euros

Tag(s) : #lectures
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