Chronique d’une aliénation, ou comment devenir chrono-addict…
par liberationirlande
Planning d’une employée de Call-Center.
6am. Le réveil sonne. La hot-line ouvre dans deux heures, pas le droit à la moindre minute de retard. Encore peu alerte, s’habiller dans le noir. Descendre prendre
son petit-déjeuner. Les yeux fixés à la montre… déjà…
7am. Partir à pied dans la nuit irlandaise, le MP3 fiché dans les oreilles. Un peu de métal, ou de punk. Etre en accord avec soi même pour une petite demi-heure
avant de s’oublier pour huit longues heures d’absurdité. Qu’il pleuve qu’il gèle ou qu’il vente, les pieds sont de sortie. Seul moyen de transport disponible permettant de relier le quartier
d’affaire et mon quartier de prolo en moins d’une demi-heure… Faut faire avec, mon salaire ne suivrai pas le taxi quotidien que prennent les chefaillons.
7.40 am. Arrivée au Call-Center. Poser la gamelle dans le frigo, le sac dans le casier gris. Prendre un café, fumer une première cigarette.
7.55 am Brancher son casque, connecter son ordinateur, se connecter au serveur. Pointer, approuver le pointage du jour précédent. La ligne doit ouvrir à huit heure
précises.
8 am . Ouverture de la ligne. Le salaire commence à être versé à compter de cet instant. En fonction de la mission du jour, attendre le client en colère qui appelle
pour se plaindre, ou celui qui va demander des information. Répondre aux mails, fax et lettres, voire faire les deux en même temps… Pour les plus mal chanceux, souvent les même, atterrir dans
l’équipe marketing qui prône les Casseroles à Roulettes par téléphone.
8.01am Les premiers appels arrivent et s’enchaînent. Décrocher, répondre, prendre les informations du client, les rentrer dans la base de données, tout en lui
parlant. Lui parler gentiment, même si lui n’est pas aimable du tout, respecter les règles de qualités, même face aux insultes,… Toujours appeler le client par son nom, au moins trois fois dans
un appel, pour établir une relation de confiance, mais se débarrasser du client en moins de six minutes, pour remplir les quotas…
8.07 am Pas le temps de raccrocher le premier appel qu’un autre arrive, une autre personne à qui prêter une illusion d’oreille attentive, créer une illusion de
rapport humain, se foutre de sa gueule au nom du grand patron des Casseroles à Roulettes… Désamorcer chez le client furieux toute velleïté d’attaquer en justice la grande Corporation, quitte à
faire retomber tous les problème chez les petits dealers,… oups, … pardon, revendeurs de casseroles… « Vous savez Monsieur, Madame, nos revendeurs sont des travailleurs indépendants, ils ne font
pas parti du groupe… »
8.14 am Un autre appel. Et ça continue à ce rythme, la moindre pause devant être exploitée pour répondre à quelques emails,… Et ça continue sans une pause jusqu’à
ce que le manager accepte que tu prennes ta pause, ton petit quart d’heure de répit matinal.
11am. Café, deux cigarettes, quelques discussions ineptes avec les collègues d’une équipe ou d’une autres. Pas le temps de bien développer… Les yeux rivés aux
aiguilles de sa montre ou aux chiffres sur les portables.
Petite présentation random de quelques employés du call center
Ali, marocain, 30 ans. Titulaire de trois Master d’économie, Il a pris ce taf pour voir son visa et son permis de travail renouveler, le temps de trouver mieux.
Généralement assigné au Marketing, nous faisons des concours de tir-au-flancs.
Brandon, 28 ans, Français. A quitté l’école sans diplôme et prend son emploi TRES AU SERIEUX, il fait des heures supplémentaires, des grands sourires aux différents
chefaillons, ce qu’il espère devenir dans un avenir très proche.
Maria, 25 ans Italienne, Fait le robot, ne parle à personne.
Paulo, Manager, 35 ans. A débuté comme agent (employé) à l’ouverture du call center, il y a dix ans. Il est très fier de sa carrière, se cite en exemple, et drague
ouvertement tous le personnels féminin, en dépit de la présence de sa femme dans celui-ci.
Carine, 27 ans, française, petite chef chargée de la coordination des emails, est très fière de son petit pouvoir. Elle n’est pas payée plus pour cela, mais elle
fait le plus de zèle qu’elle peut. Future petit chef lorsqu’une place va se libérer…
11am-1pm. C’est reparti, après s’être reconnecté au bout de 15 minutes, et pas une seconde de plus, pour éviter les remontrance de Paulo, on redevient l’oreille
faussement compatissante, aux doigts alertes, aux services des pauvres gens qui se font avoir par les Casseroles à Roulettes Inc.
1pm-1.30pm. Manger très vite, sans pouvoir réellement socialiser avec qui que se soit. La ligne doit rester ouverte sans interruption toute la journée, donc
personne ne prend ses pauses en même temps et jamais aux même heures. Sortir fumer très vite, échanger quelques banalités, les yeux sur sa montre. Vite retourner se connecter.
Les yeux comme l’esprit restent focalisés sur le temps, la montre, l’heure, les minutes, les secondes… de toute ma vie je n’ai jamais été autant obsédée par
l’avancement des secondes…
1.30pm-3pm. Un mauvais sandwich encore sur l’estomac, il faut retourner s’enchainer à l’écran. Le fil du casque qui nous retient à notre poste est d’ailleurs très
similaire à une laisse. Nous sommes des chiens pas même savant à qui on laisse parfois un peu de mou… Quand le rythme des appels ralenti, que les emails se tarissent, quelques discussions
naissent : le football, le babyfoot et les compétitions, les boîtes de nuit, les filles et… ben c’est tout… Ce genre d’emploi n’est pas très propice au développement intellectuel.
Mais très vite les appels reprennent et ils faut enchainer, répondre aux mails qui sont arrivés pendant la journée, se battre avec le services techniques (eux
toujours basés en France, mais cruellement en sous effectif).
Il faut enchaîner, enchaîner, enchaîner… Oublier que l’on est un être doué d’intelligence, que l’on est un être tout court… S’automatiser, jusqu’à la prochaine
pause.
3pm, 3.15pm Une cigarette, un café, le cancer comme porte de sortie. Certain vont faire quelques partie de babyfoot et hop! Il faut recommencer.
4.30pm. Les plus serviles font des heures supplémentaires. Votre serviteur s’en va très vite, courant presque. Il ôte son badge, comme l’on ôterai une charge de son
dos, puis rentre d’un pas fatigué, tentant de ne pas penser au jour suivant, qui viendra pourtant hanter ces quelques heures de loisir…
SPARTACUS QUI CHERCHE UNE PORTE DE SORTIE, LES YEUX FERMES, DANS LE NOIR.