Viols français au Rwanda : "Causette"
piratée et menacée ?
Par Dan Israel le 26/10/2011
Un magazine féminin piraté et menacé pour avoir fait ressurgir un sujet qui fâche : des viols perpétrés par des soldats français au Rwanda en 1994 ?
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Le directeur de publication du magazine Causette (dont nous avions commenté la pimpante première couverture, en mars 2009), Grégory Lassus-Debat, a annoncé ce matin, notamment dans Libération et sur France Info, avoir porté plainte contre X pour "accès frauduleux dans le système de traitement automatisé de données" et pour "suppression de fichier". Mercredi dernier, à l'heure du bouclage du dernier numéro (en kiosque aujourd'hui), l'équipe a eu la mauvaise surprise de découvrir, au moment où elle envoyait les articles à l'imprimerie, que presque tous les dossiers informatiques avaient disparu du serveur qui devait les transférer vers l'imprimeur. "Cela ne peut pas être une erreur de manipulation d'un membre de l'équipe, assure à @si le directeur de Causette. L'opération nécessitait six clics de souris, et les fichiers sont très lourds, on ne peut pas les supprimer en une seconde par mégarde." Il estime que la boite mail d'un des membres de la rédaction a pu être piratée : |
"Nous avons changé de serveur récemment, et l'administrateur réseau nous avait envoyé les nouveaux mots de passe par e-mail." |
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Les journalistes ont pu reconstituer le magazine grâce aux versions précédentes de chaque page, encore présentes sur les ordinateurs de la rédaction. "Il y aura sans doute quelques coquilles dans le magazine, parce que nous en avions corrigé certaines directement sur la dernière version, qui a disparu", indique Lassus-Debat. Mais pour quelle raison le magazine aurait-il été piraté ? Tout en répétant ne pas vouloir "verser dans la théorie du complot" et "avoir du mal à en parler car il n'y a aucune preuve", le journaliste rappelle le sujet de la grande enquête du mois : le témoignage de deux femmes rwandaises, qui affirment avoir été violées par des soldats français, lors de l'opération Turquoise au Rwanda en 1994. Leur témoignage est corroboré par d'autres témoins, passés par des camps de réfugiés pendant le génocide rwandais.
Le magazine a décidé d'enquêter sur place après la venue en France, en juin, de trois femmes portant les mêmes accusations (France Inter leur avait consacré une bonne place). Venues spécialement pour être entendues par la justice militaire française, elles avaient appris la veille de leur audition que le juge avait un problème de santé, et ne pouvait pas les recevoir. Elles sont toujours en attente d’une nouvelle convocation. Causette est donc parti à la recherche d'autres témoignages, et les a trouvés.
Un autre élément bizarre fait penser à la rédaction que ce sujet sensible pourrait gêner : une des journalistes auteures de l'enquête, basée en Afrique du Sud, a reçu un e-mail étrange. Envoyé depuis la messagerie d'une des deux femmes qui témoignent dans le magazine, il détaillait toutes les circonstances de ses rencontres avec la journaliste, et finissait en espérant que sa mère et sa famille allaient bien. "Et ce, alors que la femme rwandaise ne parle pas un mot de français et est quasiment analphabète !", témoigne Lassus-Debat. Après avoir envoyé en exclusivité son magazine, et témoigné auprès de Libé, France Info, la matinale de Canal+ et Slate, il a répété son histoire aujourd'hui à de nombreux médias, dont l'AFP.
Coïncidence ? Complot ? Le complotisme commence à s'infiltrer à @si, si l'on en croit la dernière chronique du matinaute...
Source : ARRET SUR IMAGES
Génocide . Le mensuel féminin a été piraté après une enquête sur la plainte de trois Tutsies contre des soldats.
Paris et Kigali ont beau s’être réconciliés, le passé - celui du génocide de 1994 et des responsabilités - n’arrive pas à passer. Pour l’avoir fait revivre, le mensuel féminin Causette et trois de ses journalistes, auteures d’une enquête sur les accusations de viols portés par des Tutsies rwandaises contre des soldats français, ont subi mille tracasseries. Leurs fichiers ont disparu, leurs mails ont été piratés et d’étranges courriers leur ont été adressés.
Pour empêcher que cela ne se reproduise, le directeur de la publication, Grégory Lassus-Debat, s’est rendu hier au commissariat du XIe arrondissement de Paris pour porter plainte contre X pour «accès frauduleux dans le système de traitement automatisé de données ainsi que pour suppression de fichier». L’incident s’est produit, explique-t-il, le 19 octobre, alors que l’équipe bouclait le magazine. «Lors de l’envoi à l’imprimerie, la quasi-totalité des dossiers a été supprimée dans le serveur. Ce n’est pas un bug informatique», souligne le directeur de Causette.
Méandres. Après avoir récupéré ses dossiers, grâce au travail des secrétaires de rédaction, ce magazine qui n’a guère plus de deux ans sort aujourd’hui dans les kiosques avec l’article qui, apparemment, fait peur. C’est la première fois que Causette traite du Rwanda. «Aucun de nous n’est un spécialiste du Rwanda. Nous n’avons pas participé aux polémiques de l’époque. Nous avons simplement lancé l’enquête en juin, quand trois Rwandaises, qui accusent des militaires français de les avoir violées en 1994, sont venues en France pour être entendues par le tribunal aux armées de Paris et que leur audition a été annulée parce que le juge d’instruction s’est rompu le tendon d’Achille à la veille de l’audience», explique Grégory Lassus-Debat.
La plainte des trois femmes, qui date de sept ans, se perd dans les méandres de la justice française. Pourtant, au Rwanda, Causette se rend compte qu’il n’est pas difficile de retrouver les traces des témoins. En peu de temps, la journaliste met la main sur Irène et Marie-Jeanne, qui racontent pour la première fois ce qui leur est arrivé. La seconde affirme avoir été agressée dans le camp de réfugiés de Nyarushishi, là où deux des plaignantes qui se sont rendues à Paris disent avoir été violées lors de l’été du génocide de 800 000 Tutsis. Ces soldats français étaient membres de l’opération «Turquoise» lancée par Paris sous mandat de l’ONU pour assurer la protection des réfugiés entre juin et août 1994. L’armée française se targue d’avoir sauvé des vies alors que Kigali l’accuse d’avoir essentiellement sauvé les auteurs du génocide et même d’avoir participé aux meurtres.
Soudards. L’opération Turquoise a d’ailleurs été contestée dès son lancement. Obsédé par l’extension de l’Afrique anglophone, Paris avait soutenu le régime hutu de Juvénal Habyarimana contre la rébellion tutsie œuvrant à partir de l’Ouganda. La France l’avait aidé politiquement et militairement, en équipant et formant son armée.
Dix-sept ans après les faits, les accusations de viols lancées contre les soldats français provoquent une gêne d’autant plus grave que, depuis les exactions commises en ex-Yougoslavie, le viol peut être considéré comme un crime contre l’humanité s’il est systématique et ciblé. Les soldats français ne seraient-ils finalement pas si différents des soudards du général Ratko Mladic, le bourreau serbe de la Bosnie ? Ou ont-ils profité de la misère qui a poussé les affamées à se prostituer, oubliant que, dans le contexte de violence de l’époque, la frontière était particulièrement ténue entre viol et achat de sexe ?
Source : LIBERATION