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Durant ces dernières années, un sujet est sans cesse revenu sur le devant de la scène en Europe et dans l'hexagone, celui des migrants. Personne n'a oublié Sangatte et les conditions de la fermeture, personne n'a oublié la "jungle". Reportages, documentaires et essais se sont multipliés. Le sujet est souvent devenu un enjeu politique malsain pour certains partis xénophobes. Encore aujourd'hui l'extrême-droite fait campagne sur les étrangers et sur les migrants en particulier.

 

 C'est dans ce contexte qu'une journaliste de Libération publie aujourd'hui son premier livre. Elle est correspondante de ce quotidien à Lille. Un livre qui surprend par la justesse de son ton, par la manière d'aborder ce sujet pas vraiment facile.  L'originalité de son approche consiste à mettre en perspective des migrants et des habitants. Car, dans cette petite portion de France, il y a certes, des Afghans, des Irakiens, des Iraniens ou des Vietnamiens, mais il y a aussi des Français de souche, installés depuis longtemps sur ces terres près de la frontière, des gens souvent d'origines modestes, des gens qui ne font pas parler d'eux, des gens qui aident les migrants. Dans une nation écrasée par un chômage endémique, infestée par les relents racistes et xénophobes où la haine de l'autre fertilise le terreau des droites extrêmes, ce document tombe à pic pour nous rappeler que la France des Lumières, la France hospitalière, existe encore.

 

 Ceux qui passent, ils viennent de loin, très loin, souvent ils fuient la guerre, ou les dictatures, celles des militaires ou celle de la misère. Ils ne font que passer, destination l'Angleterre. Ils ne font que poursuivre leur route, sans comprendre notre langue, toujours menacés par l'arrestation possible, toujours menacer parfois par les réseaux de passeurs, loin de leur famille, loin de leur pays, l'exil est un espoir, mais aussi une souffrance. Parfois dans ce voyage au bout de la nuit, la mort est au rendez-vous, ceux qui passent sont alors noyés au large de Lampedusa, gelés dans un train d'atterrissage ou asphyxiés dans un container...Parmi eux, parfois, des enfants...

 

 Dans le meilleur des cas, ils vont entrer en contact avec ces "fameux" gens du Nord où ils seront les bienvenus, où la solidarité va se faire jour, malgré les lois qui tentent de la réprimer. Haydée Sabéran va nous raconter quelques belles histoires, des vrais histoires d'hommes et de femmes, tout le contraire du "storytelling" ambiant de certains de nos politiciens. Des histoires de vies, comme celle de Fred, supporter de l'attachant club de Lens, ou celle d'un incroyable trio de grands-mères. Des mémés qui distribuent du thé chaud et rechargent les portables de ceux qui passent. Il y aussi une infirmière qui soigne gratuitement ou encore ce curé qui tente de convaincre un baron local de prêter son champ pour installer quelques tentes. Dans la précarité, les petites choses prennent une importance surprenante, une douche ou un thé, un bénévole qui prononce quelques mots de soutien moral ou une place pour un match de foot, et la vie plus que difficile de gens venus de l'autre bout du monde change un peu.

 

 En attendant qu'ils puissent enfin passer.

 

 On sent que Haydée Sabéran a pris son temps, elle a vécu à Calais, à Lens, à Sangatte ou à Londres et Birmingham, et cela se ressent dans ses pages. Beaucoup de respect, de tendresse. Et en même temps, une des grandes qualités de ce livre, au-delà des témoignages, c'est cette lecture qui nous permet, pendant et après, de réfléchir à la vie, à leurs vies, mais aussi à notre vie. Dans ces espaces, autoroutes, villages, plages, champs, où sévissent gendarmes, CRS, vigiles, grillages, chiens et contrôles, arrivent à émerger beaucoup d'humanité, malgré la barrière des langues différentes.

 

 Comment ne pas avoir honte de cette "démocratie" qui s'en prend toujours au plus faible sur la base de lois obscènes. Par exemple Annick, qui travaille à plein temps comme infirmière et qui chaque jour passe dans ce camp installé dans la forêt d'Angres non loin de Liévin. Souvent elle soigne des Vietnamiens sans-papiers et un jour elle en a logé un qui était malade.

 Résultat : mise sur écoute.

 Puis garde à vue.

 Trente-trois heures !

 La police aux frontières...

 

 Un magnifique livre qui vient en écho à un non moins magnifique documentaire "Qu'ils reposent en révolte" sur un sujet identique. Deux documents qui témoignent, qui "parlent" et qui ne peuvent laisser personne indifférent.

 

 

 

Dan29000

 

 

Ceux qui passent

Haydée Sabéran

Carnets nord / Montparnasse

2012 / 190 p / 20 euros

 

Voir le site de Carnets nord

 

A lire aussi un tchat avec Haydée Sabéran, ICI

 

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EXTRAITS

 

«Ils appellent ça "la jungle". Dans un souffle, de l’effroi dans les yeux, le bénévole lance : "Vous vous rendez compte ?" […] La "jungle" dont parle cet homme, c’est le bois des Garennes près de la zone industrielle du port, un des lieux où ils sont réfugiés. […] "La jungle"n’était "pas un endroit fait pour les humains", résume Zulgaïjan dans la chambre minuscule d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile - un cada - en octobre 2011. […] A l’intérieur du camp : des cabanes, des espaces minuscules, étouffants et sombres. Glacés en hiver, bien sûr. Certaines couvertures transmettaient la gale. Des coins douche entre les arbres - une bassine posée sur une palette, derrière un rideau de bâche - encombrés de bouteilles de shampoing vides. Partout, des petits feux, pour cuisiner et se réchauffer, avec du bois de palette. Partout, des boîtes de sardines vides, des vieilles chaussures, des couvertures sales. […] A chaque fois que j’entrerai dans ces forêts, ce sera un choc. Comme si j’avais oublié la fois d’avant. […] J’ai vu des gens vieillir en un mois.»

 

«Eux, c’est le comble de la malchance. Ils avaient survécu à tout. […] Et ils meurent ici, en France, à quelques kilomètres du but, sur la dernière frontière avant l’Angleterre, un absurde champ de bataille.

Un Afghan de 16 ans a été broyé sous un essieu. Un enfant de 13 ans est mort d’une chute de camion. Un bébé irakien né sous une tente à Grande-Synthe n’a pas survécu. Un Erythréen a été aspiré par le courant dans un bras de port en voulant se laver, un Iranien a été électrocuté sur les rails d’Eurotunnel. Un Indien a été découvert asphyxié à l’arrière d’un camion. D’autres ont été poignardés par un passeur à qui ils ne voulaient pas verser la dîme. […] Au cimetière de Coquelles, près de Sangatte, il y a un carré spécial pour ces guerriers du voyage. Certains n’ont pas de nom.»

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