Le quotidien des sans-papiers
Description du futur camp pour étrangers du Mesnil Amelot 2 par une intervenante en rétention de La Cimade
Le camp pour étrangers du Mesnil-Amelot II aura une capacité de 240 personnes, ce sera le plus grand camp de rétention de France depuis l’incendie de Vincennes. Il est divisé en deux structures
contigües séparées par une route en bitume et reliées par une passerelle où devraient se tenir les bureaux de la direction centrale de la PAF.
Les retenus sont isolés par 40 dans chaque “unité de vie” (baraquements) séparée par des grillages et des haies épineuses au sein d’un dispositif où seule la sécurité compte. D’ailleurs, on
remarque que la configuration des bâtiments en étoile autour d’un centre de contrôle central fait très largement penser à la construction classique des prisons
Quand on regarde les plan, on se rend vite compte que c’est pourtant bien un double et même grillage qui entoure le camp, qu’une seule entrée permet d’y accéder et que les cellules d’isolement ne
sont prévues que dans une seule des structures. Tout concourt à montrer qu’il s’agit bien d’un seul et même camp.
La construction d’un tel camp ne sera pas sans impact sur notre mission d’aide à l’exercice effectif des droits des personnes retenus.
Ainsi, au sein de ce dispositif, les personnes retenues, alors même qu’elles auront beaucoup de mal à comprendre où elles sont et quel est le fonctionnement, devront pour accéder aux intervenants
sonner à un interphone appareillé d’une caméra, formuler leur demande : voir la Cimade, accéder à l’infirmerie, s’entretenir avec l’Office français de l’immigration et de l’intégration, changer
leurs draps, laver leurs vêtements, obtenir simplement un stylo ou des feuilles de papier. Ensuite, les policiers de la tour de contrôle actionneront ou non, en fonction de critères dont ils
seront les seuls arbitres, le système d’ouverture de la porte hachoir, puis la deuxième porte, pour enfin permettre aux retenus d’accéder aux bâtiment des intervenants.
Enfin, quand passés tous ces obstacles, le retenu sera parvenu jusqu’aux bureaux de la Cimade, il faut s’imaginer que tout devra se passer très vite. En effet, une capacité de 240 places signifie
7000 étrangers par an, 40 nouvelles arrivées quotidiennes, soit 20 entretiens par jour pour chacun des intervenants de la Cimade, soit une dizaine de minute d’entretien pour chaque retenu et
tenter de faire valoir ses droits.
Ainsi, en 10 minutes, nous devrons trouver une langue commune, le cas échéant un interprète, comprendre sa situation et son parcours, appeler sa famille, lui expliquer la procédure, réunir les
documents, contacter son avocat, rédiger un recours ou un appel, une saisine de la cour européenne des droits de l’homme, entendre simplement les inquiétudes et tenter d’y répondre. Comment dans
ces conditions apporter une aide juridique correcte et à mesure humaine ?
Pourtant, cette mission associative est primordiale pour le respect des droits des personnes retenues. Et comme l’ont rappelé le tribunal administratif de Paris et le Conseil d’Etat dans la
bataille contentieuse qui a opposé la Cimade et ses partenaires associatifs au ministère de l’immigration : l’intervention associative se doit d’être une mission d’aide à l’exercice effectif des
droits et en aucun cas une simple mission d’information.
En tant que seul représentant de la société civile à l’intérieur des CRA, notre deuxième mission est de pouvoir témoigner de ce qu’il se produit humainement pour les personnes qui sont enfermées
dans de tels lieux de privation de liberté, des conditions dans lesquelles elles sont maintenues et des atteintes à la dignité humaine qui y sont portées. Dans les années 80, c’est d’ailleurs
principalement pour cette raison là que la Cimade a accepté d’intervenir dans les centres de rétention.
Or, aux vues de ce qu’on peut appréhender de par notre expérience dans les grands camps pour étrangers et de la visite des locaux de ce camp qu’on a pu faire, la configuration de ce camp, cumulé
à la massification des personnes qui y seront maintenues, apparait porter à son paroxysme une déshumanisation non compatible avec les respect des personnes et aux conséquences parfois
dramatiques.
Déshumanisation d’abord liée à l’isolement : isolement des retenus entre eux, isolement des retenus par rapport à la zone des intervenants, isolement des retenus de leur famille parce que le CRA
est loin de toutes les grandes agglomérations urbaines et difficile d’accès.
Déshumanisation aussi parce que les retenus n’auront aucune intimité puisque les portes de leur chambres sont vitrées et que des caméras situées à l’extérieur de chaque bâtiment permettent d’en
visionner l’intérieur.
Déshumanisation à se sentir reconnu comme un simple numéro de PV et non plus comme un homme avec un nom, à être comptés tous les matins et toutes les nuits, à devoir présenter sa carte et de son
numéro de PV devant la caméra d’un interphone, à être sous le contrôle permanent des détecteurs de mouvements qui quadrillent le centre aux côtés des caméras de surveillance.
Tout semble fait pour neutraliser un quelconque type de réponse humaine alors même que les personnes, placées pour un maximum de 32 jours pour l’instant, sont dans une situation d’anxiété très
grande où il est précisément primordial pour elles de comprendre ce qu’il se passe et ce qui les attend.
Sans compter que ce CRA est situé juste en dessous d’une piste de décollage et que le bruit assourdissant des avions rappellera à tout instant leur possible expulsion.
Face à la froideur sécuritaire et technologique de ce dispositif carcéral, à la massification et à la déshumanisation qu’il emporte, il est à craindre que la seule réaction possible pour les
personnes retenues soit de retourner la violence contre eux-mêmes et que les automutilations, grèves de la faim, tentatives de suicides n’en soient le quotidien. Le gouvernement aura beau
augmenter la sécurité, le corps reste malgré tout un espace imprenable par l’administration : quand une personne énervée et désespérée ne peut pas jeter la table contre le mur de sa chambre parce
qu’elle est vissée au sol pour des raisons de sécurité, alors, le risque est que ce soit sa tête qu’elle jettera contre le mur : c’est déjà ce qu’on constate régulièrement dans le CRA du Mesnil
Amelot 1, et c’est bien ce à quoi on a assisté pendant plusieurs mois à raisons de plusieurs fois par jour dans l’ancien CRA de Vincennes qui a fini par voir la mort d’un homme et un incendie
tout ravager.
Enfin, tout ce que nous venons de décrire, les effets combinés du nombre de retenus, de la division en modules de vie, de l’absence d’accès libre à la Cimade et de l’isolement du bâtiment
administratif par rapport aux zones de vie, tout cela risque de ne nous permettre que d’avoir une vision d’ensemble réduite et fragmentée sur ce qui se passe dans le CRA et donc de ne pouvoir
témoigner que de manière restreinte au dehors. Et si l’opinion publique ne peut plus être tenue informée alors effectivement la seule vraie réussite de l’administration sera sans doute d’avoir
construit à travers ce dispositif une forteresse où les murs rempliront leur fonction première et protégeront l’administration de tout regard de la société civile.
Clémence Richard, intervenante au camp du Mesnil Amelot 1 depuis cinq ans.