Les “pirates” ne sont pas que des “bobos”

par Clémentine Autain (tribune Libération du 26 septembre 2011)


Après les indignés de Madrid, d’Athènes, de Jérusalem, après les révoltés de Londres, les insurgés de la place Tahrir et ceux de Tunis, la jeunesse vient d’envoyer un nouveau message, convergent. Cette fois, il part du cœur de l’Europe, de Berlin. Il a pour particularité de ne pas emprunter les chemins de la contestation de rue, mais celui des urnes.

Voir en ligne : http://clementineautain.fr/

 

 

 

Près d’un Berlinois sur 10 a donné sa voix au « parti des Pirates ». Selon les enquêtes, ce serait même 15% des moins de 30 ans qui l’ont soutenu. Ces électeurs viennent à part égale des trois partis de la gauche allemande, le Spd, les Verts et Die Linke. Que défendent ces « pirates » ? La gratuité des transports en commun et de la cantine, la nationalisation des biens de première nécessité et d’enjeux écologiques déterminants comme l’eau et l’électricité. Ils réclament la liberté d’accès aux biens culturels sur Internet, le droit de vote pour les étrangers et les mineurs. Ils mettent en cause une démocratie représentative dont ils pensent qu’elle ne les représente plus. Certaines de ces idées sont neuves, pas toujours, mais leur force est liée à l’audace, à la modernité de leur formulation, au parfum général de rupture qui se dégage. C’est cela que l’on entend dans les débats des commissions de la place de Catalogne ou, en France, dans des collectifs comme Jeudi Noir ou Sauvons les riches. L’avenir dira si ces joyeux « pirates » impriment dans la durée le paysage politique, si la cohérence de leur fibre libertaire les rend durablement mordants avec le néolibéralisme. Pour l’heure, ils sont les ambassadeurs d’une exigence de radicalité et les symptômes d’une recherche de renouveau politique.

Une attente nouvelle s’exprime à l’égard de la politique, de son contenu, de ses formes. A Berlin, elle vient de se dire en des termes explicitement politiques, en marge des forces existantes. Il faut l’entendre. Croire que les questions posées concernent « les bobos » serait ne pas voir les exigences démocratiques nouvelles de toute une génération. Ce serait ignorer la place prise par Internet au cœur de la vie de ces jeunes mais aussi au centre des productions contemporaines. Ne pas écouter le signal envoyé depuis Berlin, Londres, depuis toutes les villes d’Europe et au-delà, serait rester sourd au rejet des inégalités et au refus du pouvoir de l’oligarchie. Que cela se dise avec humour ou violence n’ôte rien au sérieux du propos : une jeunesse refuse le manque d’avenir. Elle ne se résout pas à avoir pour idéal le paiement de la dette et le retour des équilibres comptables. Elle veut inventer un monde débarrassé de la précarité et dans lequel se loger, vivre décemment, étudier, devenir autonome est possible. Nous avons besoin de ce vent nouveau.

Clémentine Autain, féministe, directrice du mensuel Regards et co-animatrice de la Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase) membre du Front de Gauche

 

 

 

Chronique France Culture, Les idées claires Pour secourir les pauvres, à quoi bon les aider ?


Dans un rapport présenté il y a quelques jours à Nicolas Sarkozy, la majorité présidentielle reprend l’idée de faire travailler les titulaires du RSA (revenu de solidarité active) pour conserver leurs droits. Marc-Philippe Daubresse, secrétaire adjoint de l’UMP, propose ainsi d’expérimenter 10.000 contrats aidés d’une journée par semaine qui seraient payés cette fois-ci 214 euros par mois, pour le généraliser ensuite à 150.000 bénéficiaires. Si le titulaire du RSA refuse ces Contrats Uniques d’Insertion (CUI), il pourra voir ses droits rapidement suspendus. Le parti pris vise à accentuer la contrainte et non à augmenter l’indemnisation et à relancer la politique de l’emploi. Ce qui sous-tend ce type de proposition, qui n’est pas la première dans son genre, c’est que les chômeurs sont des feignants, des assistés. Pour remonter le fil de cette idée, j’ai trouvé un court recueil édité par la maison d’édition LLL - les liens qui libèrent -, en partenariat avec Le Monde diplomatique, intitulé : L’Art d’ignorer les pauvres.

La préface de Serge Halimi entre vivement dans le sujet. Elle démarre par une citation de l’hebdomadaire libéral The economist : « Il y a deux manières de favoriser le retour au travail des chômeurs. L’une est de rendre inconfortable ou précaire la vie de ceux qui reçoivent une allocation chômage ; l’autre consiste à faire que la perspective d’un emploi devienne viable et attirante ». Mais, comme l’explique Serge Halimi, « la question de la « viabilité » d’une recherche d’emploi est posée quand le taux de chômage atteint ou dépasse 10%. Et « l’attrait » du travail salarié décline quand les rémunérations se tassent, quand le stress et les pressions se multiplient. Reste alors à rendre plus inconfortable ou précaire le sort des chômeurs. Telle est la stratégie que les libéraux au pouvoir et les organisations économiques internationales poursuivent depuis une trentaine d’années ». La philosophie mise en œuvre se résume presque toujours ainsi : « les riches seraient plus entreprenants s’ils payaient moins d’impôts ; les pauvres seraient plus travailleurs s’ils recevaient moins de subsides (…) Alors, sus aux parasites ! ». C’est ainsi que Serge Halimi qualifie d’audacieuse la justification « d’une pratique laxiste amputant les recettes fiscales au profit des riches et d’un discours de « rigueur » visant à refouler les dépenses budgétaires de l’Etat-providence ».

Un peu plus loin, dans son article « Economistes en guerre contre les chômeurs », Laurent Cordonnier explique que l’enjeu est de diviser le salariat, en commençant par sa fraction la moins organisée, la plus faible, c’est-à-dire les chômeurs et les travailleurs immigrés. Il cite un passage d’un rapport de l’OCDE dans lequel on peut lire ce constat cyniquement rapporté : « les chômeurs sont moins susceptibles que les employeurs ou les salariés en place de constituer une majorité politique capable de bloquer la réforme, dans la mesure où ils sont moins nombreux et souvent moins organisés ». Dans son article au titre repris pour livre, L’art d’ignorer les pauvres, le grand économiste keynésien John Kenneth Galbraith résume avec ironie le raisonnement des néolibéraux : « les aides publiques opèrent un transfert de revenus des actifs vers les oisifs et autres bons à rien, et, de ce fait, découragent les efforts des actifs et encouragent le désœuvrement des paresseux (…) Donc, en prenant l’argent des pauvres et en le donnant aux riches, nous stimulons l’effort, et, partant, l’économie ». Concluons, avec Laurent Cordonnier : « Au fond, l’idée revient en force que pour mieux secourir les pauvres, mieux valait ne pas les aider ».

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