strass«C'est une politique moraliste qui ne se soucie pas des travailleurs du sexe»

Maîtresse Gilda, porte-parole nationale du syndicat du travail sexuel (Strass) a répondu à vos questions.

 

La mission d'information sur la prostitution, qui a rendu mercredi son rapport, propose d'en finir «avec le plus vieux métier du monde», en pénalisant le client.
Maîtresse Gilda, porte-parole nationale du syndicat du travail sexuel (Strass) a répondu à vos questions:


FMB: Dans Libé du jour, Tiphaine Besnard (du Strass) indique que «90% des prostituées le sont par choix». D’où vient ce chiffre?
Maitresse Gilda: De notre expérience, de notre constat. Les chiffres présentés la plupart du temps par les tenants de l’abolition de la prostitution sont orientés et biaisés. Nous, nous avons une expérience de terrain.

Aldo: Etes-vous favorable à des bordels d’Etat avec des prostituées fonctionnaires?
C’est absurde et insultant. On a déjà fait des réponses à ce sujet. Nous sommes des travailleuses, indépendantes, libres et autonomes. Il n’est pas question de s’aliéner ni pour un patron, et encore moins pour l’Etat! Nous ne sommes pas des fonctionnaires et nous n’avons pas vocation à le devenir. Pourquoi pas un «kolkhoze» du cul tant qu’on y est!

Benoît XVI: bonjour, à quand les vitrines en France? Qu’en pensez-vous du point de vue de la sécurité de l’hygiène et du confort des demoiselles…?
C’est à elles qu’il faut le demander. Nous ne pensons pas qu’il existe une solution universelle qui convient à tout le monde. Que ce soit des vitrines, des maisons closes qui me paraissent anachroniques, Internet ou autre part… Il existe autant de façon de travailler que de travailleuses. On devrait laisser le choix à chacun de choisir la façon de travailler.

FMB: Quels sont les différentes législations en vigueur en Europe? Avec quels résultats?
Hophophop: est-ce qu’il y a des pays où les bordels sont «nationalisés»? Quel est pour vous le pays exemplaire en matière de gestion de la prostitution par les pouvoirs publics?

Vous trouverez des infos détaillées sur le site de notre syndicat Strass. Un pays où les choses sont parfaites n’existent pas. Mais il existe des législations locales, par exemple en Suisse ou en Nouvelle-Zélande, où les choses vont dans le bon sens. Je pense notamment aux maisons auto-gérées où il y a un partage des frais et des lieux, cela pourrait être une piste possible mais ce n’est pas un modèle unique. Un statut de travailleur indépendant qui n’excluerait pas de s’associer, comme par exemple pour les kinés, pourrait représenter un progrès. Mais il ne nous est pas interdit d’être innovant, plutôt que de chercher à faire des copier-coller...

ccdl: Travailleuse indépendantes, libres, autonomes, ok. Vous payez des impôts? Vous côtisez à la sécu? Pour les retraites?
Aujourd’hui, en France, tout le monde est tenu de déclarer ses revenus. Les travailleurs du sexe sont tenus de déclarer leurs revenus, comme tout citoyen. Il suffit de remplir sa déclaration de revenu en indiquant «péripatéticienne» pour payer des impôts. C’est le seul droit qu’on ait en France: payer des impots.

Pour le reste, notre travail n’étant pas reconnu, nous n’avons pas de droit. On ne peut pas cotiser pour la retraite, ni bénéficier d’une couverture sociale classique de travailleur, ni même d’élever nos enfants: l’ordonnance de 1960 considère que nous sommes des «inadaptées sociales». C’est dans le texte.

Uwereiter: Que répondez-vous à ceux qui disent que la plupart des prostituées sont forcées de le faire?
Il faudrait faire la distinction entre les personnes qui sont exploitées, victimes de l’esclavage et les travailleurs indépendants. Il faut renforcer la lutte contre toutes les formes d’exploitation. Ce qui est inacceptable c’est que des personnes soient exploitées, que ce soit sur un trottoir ou devant une machine à coudre. Ces personnes exploitées, quelles qu'elles soient, doivent bénéficier de l’aide et de toute la protection du droit.

Hophophop: Que proposez-vous pour lutter contre le trafic d’êtres humains?
Il faut absolument renforcer la coopération des polices des différents Etats, au sein de l’Europe et à l’extérieur. Il faut revoir toutes nos politiques migratoires. C’est parce que nos législations sont trop répressives que des réseaux organisent le trafic. Il faut donc renforcer la coopération entre les Etats, c’est vraiment important.

Poil: N’y a-til pas des sanctions contre clients qui existent déjà dans certaines grandes villes comme Bordeaux par exemple?
Dans le droit français, aujourd’hui, seuls les clients de prostituées mineures sont passibles d’une peine de prison, sauf les conseillers politiques d’un ancien Premier ministre, si certains se souviennent de l'épisode auquel je pense...

Rototo: Pourquoi vouloir pénaliser le client alors que la prostitution n’est pas un délit? C’est comme si on pénalisait le fumeur alors que la vente de tabac est autorisée.
C’est comme si on prohibait la vente d’alcool alors que l’achat est autorisé! Nous sommes bien d’accord, il s’agit d’une politique moraliste et culpabilisatrice mais qui ne se soucie pas du sort des travailleuses du sexe.

FMB: Ce projet, s’il était appliqué, ne générerait-il pas un simple changement «commercial», incitant à un autre «démarchage», sur internet par exemple?
C’est probable que nous nous réorganisions de manière plus discrète. C’est déjà une conséquence de la loi de 2003 qui interdit le racolage passif. A ce titre, nous contraindre à nous cacher, c’est nous pousser vers des dangers potentiels. C’est très probablement ce que le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, a à l’esprit en organisant notre traque sur Internet. L’ombre ne protège que les criminels... Et nous expose aux dangers.

FMB: Vous demandez la «légalisation» de la prostitution, ce n’est pourtant aujourd’huipas un délit. Qu’entendez-vous exactement par légalisation?
Nous réclamons l’égalité des droits. On ne réclame pas la légalisation du travail sexuel puisqu’aujourd’hui ce n’est pas illégal. Seuls les moyens d’exercer le sont aujourd’hui. On réclame donc que l’on reconnaisse le travail sexuel. Et que nous soyons protégés par le droit du travail, que nous ayons accès aux droits sociaux élémentaires.

Oim: Danielle Bousquet, présidente de la mission d’information parlementaire, est également membre du groupe Sida à l’Assemblée, comment expliquer qu’elle soit à ce point déconnectée des enjeux de santé publique?
zezetta: La mission parlementaire de Madame Bousquet vous a t-elle vraiment écoutée?
FMB: Les représentant(e)s des travailleurs du sexe ont-ils été consultés pour établir ce projet et les précédents?

Mme Bousquet est totalement déconnectée de la réalité, elle ne nous a reçus que pour se donner bonne conscience mais elle n’a tenu aucun compte de nos remarques et nos considérations.

Cette mission d’information nous a trahi. Vraiment. C’était la première fois qu’on nous étions reçus en tant que représentant par l’Assemblée nationale mais aujourd’hui, nous sommes profondément indignés d’avoir été trahis.
Nous soutenons la position d’Act-Up qui réclame la démission de Mme Bousquet du groupe Sida de l’Assemblée.

Noé: avez-vous des policiers qui vous ont fait part de leur désaccord sur cette future loi (et sa gestion)?
Non, pas directement. Mais j’ai lu dans la presse que certains policiers craignent que cela ne complique leur travail.

Sarrda: pensez-vous comme le comédien Philippe Caubère (témoignage à lire dans Libé) que le théâtre est une forme de prostitution?
Il y a des analogies entre le théâtre et le travail du sexe, les deux sont des formes d’art. Et les deux ont été très mal considérés à des époques pas si lointaines… A l’époque de Molière et jusque dans les années folles, les comédiennes étaient parfois aussi des courtisanes et des cocottes. En tout cas, elles étaient solidaires.

Philippe Caubère est un homme dont nous sommes très fiers, que l'on respecte énormément. On est réconforté par son humanisme et son courage. Une dernière chose sur le théatre: il ne faut pas oublier que notre syndicat Strass est né dans un théatre: 19 mars 2009, théatre de l’Odéon à Paris, grâce à un autre homme de théatre, Olivier Py qui est maltraité en ce moment par son ministre de tutelle.

Angelito: existe-t-il des associations de clients (moins médiatiques que Caubère)? Si oui avez-vous déja reçu des commentaires ou des soutiens de leur part?
Lorsqu’on nous avons créé le Strass, certains clients nous avaient à l'époque apporté leur soutien et exprimé le souhait de créer une association. Cela n’a toujours pas été formalisé je pense, mais nous espérons qu’ils y parviennent.

Ann: Que les travailleur du sexe aient les même droits c’est normal. Mais ne cherche-t-on pas à banaliser la prostitution et gommer les particularités du métier? Peu de gens se penchent sur le berceau de leur enfant en lui disant «tu seras péripatéticienne».
Je pense qu’il y a aussi peu de gens qui se penchent sur le berceau de leur fille en lui disant: «tu videras des poulets pendant 8 heures par jour pour un salaire de merde et en plus tu te prendras une main au cul par ton patron».

FMB: N’y a-t-il pas une forme de sexisme dans le débat sur la prostitution? On entend rarement parler de la condition des gigolos ni de «l’atteinte à leur dignité»…
 La question du travail du sexe n’est pas une question de genre, c’est une question humaine. Nous sommes des travailleurs et des travailleuses du sexe, que nous soyons homme, femme, trans. Même s’il y a une majorité de femmes bien sûr.
Nous regrettons la mainmise de certaines féministes sur le sujet. Ce n’est pas une question de genre, mais de droits sociaux et humains. Voir le travail du sexe par le genre, c’est voir les choses par le petit bout de la lorgnette. Nous défendons les droits de tous les travailleurs du sexe.

Merci à vous pour vos questions. Toutes les volontés sont les bienvenues pour nous aider à faire avancer nos droits. Elles peuvent prendre contact avec nous par mail: contact@strass-syndicat.org. Ou via notre site internet.

 

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