Par Hemingway
Une vieille et saine tradition française est en train de voler en éclats, et c’est encore Nicolas Sarkozy qui est l’auteur de cette déchirure.
En 1906, la CGT adoptait la Charte d’Amiens qui, notamment, engageait ce syndicat dans « la lutte pour une transformation d’ensemble de la société en toute indépendance des partis politiques et de l’État ». La CGT et FO se déclarent toujours liées par cette charte.
Le principe, reconnaissons-le, a été à géométrie variable, surtout du côté de la CGT dont on disait qu’elle était la courroie de transmission du parti communiste. Le secrétaire général de la CGT avait même son siège réservé au comité central du PC.
Mais depuis la chute du mur de Berlin, la CGT a accéléré un processus entamé avant, celui de l’autonomisation complète par rapport aux partis politiques, rejoignant en cela Force Ouvrière.
Les militants de la CFDT sont encore très nombreux à être membres du parti socialiste. Ils ont formé l’ossature de la deuxième gauche dans les années 70 et 80. Mais les secrétaires généraux successifs de cette grande centrale syndicale ont pris soin de ne pas interférer dans les choix électoraux du pays. Assumant son réformisme, la CFDT a franchi un pas supplémentaire sous Nicole Notat et François Chérèque en n’hésitant pas à signer des accords avec des gouvernements de droite, par exemple en 2003 sur la réforme des retraites Raffarin-Fillon.
C’est ainsi qu’aucun grand leader syndical n’a pris partie lors des élections présidentielles précédentes. Comment être constructif dans les discussions avec un président de la République et son gouvernement contre lequel on aurait appelé à voter ? Comment faire vivre l’indépendance syndicale si on est en négociation avec un président de la République et gouvernement qu’on a aidé à faire élire ?
Et voilà que cette tradition syndicale de non ingérence dans la vie électorale française est en train de se briser.
Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, a carrément appelé à faire barrage à Nicolas Sarkozy.
Quant à François Chérèque, le modéré François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, il accuse Nicolas Sarkozy, à trois semaines du premier tour de l’élection présidentielle, de « démagogie populiste » et de « manipulation de l’opinion », son attitude à l’égard des syndicats représentant un « danger pour la démocratie ». Rien de moins. Et une consigne à peine masquée du geste à faire dans l’isoloir.
Que s’est-il donc passé entre les syndicats de salariés et Nicolas Sarkozy alors que le quinquennat avait débuté sous les meilleurs auspices, le nouveau président ayant manifesté beaucoup d’égards à la CGT particulièrement ?
Il s’est passé ce qui se passe toujours avec Nicolas Sarkozy : mépris et calcul électoral.
Le mépris, c’est celui ressenti par les centrales syndicales avec la réforme des retraites de 2010. La mobilisation exceptionnelle qu’ils ont réussi à susciter s’est heurtée à un mur refusant la moindre concession.
Le mépris, c’est celui infligé par Nicolas Sarkozy à tous les syndicalistes, lorsqu’à une tribune de l’UMP, après l’instauration du service minimum dans les transports – que les syndicats considèrent comme une atteinte au droit de grève -, il s’était écrié d’un air goguenard et arrogant qui ne pouvait que blesser profondément : « Maintenant, en France, quand il y a une grève, plus personne ne s’en aperçoit ».
Le calcul électoral, c’est celui qui est à l’œuvre depuis l’entrée en campagne du président sortant qui affiche sa volonté de parler au peuple directement sans intermédiaires, c’est-à-dire essentiellement sans les syndicats. Pour flatter le petit peuple poujadiste, droitier et ultra-droitier qui fait sa clientèle électorale.
Non content de clamer sa volonté de faire appel au referendum pour faire adopter par les Français certaines réformes, ce qui est après tout son droit, le candidat de l’UMP trouve utile pour parvenir à ses fins électorales de brûler ce qu’il avait semblé un temps adorer, de s’essuyer violemment les pieds sur la démocratie sociale qu’il avait encensée dans certains de ses discours.
Pire même, il fait désormais siffler les syndicats dans ses meetings. Du Jean-Marie Le Pen de la grande époque.
Comble du cynisme et de l’absence de cœur, il fait accueillir les ouvriers d’ArcelorMittal venus à Paris pour le rencontrer, par les CRS. Des salariés désespérés, en lutte pour sauver leur emploi, arrosés de gaz lacrymogènes.
Nicolas Sarkozy a volontairement rompu les amarres avec les représentants des salariés. Il ne doit pas s’étonner d’avoir le retour de boomerang. On aimerait que l’électorat centriste, attaché à une démocratie apaisée dans laquelle les syndicats, le patronat et le gouvernement sont capables de se parler sereinement, comprenne la manipulation qui est à l’œuvre.
Heureusement, dans le meilleur des mondes sakozystes possible, il est une organisation syndicale qui ne se sent pas visée par la stigmatisation des corps intermédiaires, c’est celle qui représente les patrons, le MEDEF. Il soutient discrètement le candidat de l’UMP et critique bruyamment, dès qu’il en a l’occasion, le programme de François Hollande.
Source : ZE Rédac