Interview de J.G Talamoni sur le foncier et la citoyenneté corse


"La Corse n’est plus qu’un marché de résidences secondaires"


Jean-Guy Talamoni est avocat, militant du parti indépendantiste Corsica Libera et conseiller territorial à l’Assemblée de Corse. Il revient pour LaVieImmo sur le concept de « citoyenneté Corse », débattu cet été et qu'il espère voir aboutir lors de la tenue des assises du foncier, à l'automne prochain.



Vous évoquez la notion de « citoyenneté Corse » pour endiguer la spéculation immobilière sur l’île de Beauté. Qu’entendez-vous par cela ?



Jean-Guy Talamoni : Ce que demande Corsica Liberia est simple. Nous proposons une citoyenneté insulaire qui s’obtiendrait au bout de dix ans de résidence à titre principal en Corse. Cela est valable pour toute personne désireuse de s’installer dans l’île, et c’est une des solutions que nous préconisons effectivement contre la spéculation. Car les faits parlent d’eux-mêmes : les Corses ne parviennent plus à accéder à la propriété, bien que nous comptions 5 000 nouveaux propriétaires par an. La demande extérieure est pléthorique et les investisseurs prolifèrent sur tout le littoral. Nous ne pouvons plus nous aligner sur les prix, qui affichent une progression continue à l’achat, et en parallèle à la location. A ce sujet, la SAFER [Société d’aménagement foncier et d’établissement rural, NDLR] de Corse mentionne une hausse de 2000 % des prix en 10 ans.



Qui sont ces acheteurs ?



Jean-Guy Talamoni : Ce sont surtout des continentaux, des Italiens, ou des Suisses, et nous avons même vu quelques Russes arriver sur le marché. Ce n’est pas qu’un marché de résidences secondaires, mais également de troisièmes ou quatrièmes résidences. Pour un grand nombre d’entre elles, les résidents occupent leur villa 15 jours par an seulement. Le reste du temps, le bien est mis en location, le plus souvent au noir. Aujourd’hui, on compte 70 % de para-commercialisme sur l’île. Voilà pourquoi nous souhaitons mettre en place la notion de citoyenneté basée sur la propriété, ce qui est conforme au droit public français, comme ce qui avait été entrepris pour la Nouvelle-Calédonie en 1998.



Nicolas Sarkozy avait déclaré en février 2010, en déplacement à Ajaccio, vouloir « lutter contre la spéculation immobilière » en Corse. Etes-vous en accord avec sa politique ?



Jean-Guy Talamoni : M. Sarkozy s’est en effet rendu compte de la situation, mais il ne va pas suffisamment loin, selon nous. Car ce qu’il faut, c’est pérenniser un accès au foncier. Quand M. Sarkozy demande la création d’un Office foncier en Corse, il s’agit plus d’un instrument que d’une politique à proprement parler. Sur le fond, le gouvernement souhaite mettre en place un dispositif particulier de taxation, applicable à chaque transaction. Mais cette mesure ne toucherait pas que les étrangers à la Corse, elle toucherait tout le monde. Cela peut aggraver la situation pour les accédants corses, et les plus fortunés ne seront pas pour autant bloqués, ils parviendront tout de même à acheter. C’est ce que j’appelle une « fausse bonne idée ».



Les derniers chiffres de l’Insee font part de 126 000 résidences principales et plus de 70 000 résidences secondaires. Les confirmez-vous ?



Jean-Guy Talamoni : J’estime que les chiffres publiés ne reflètent pas la réalité pour ce qui est des résidences secondaires, qui sont beaucoup plus nombreuses que cela. Une ville comme Porto-Vecchio, par exemple, comprend plus de résidences secondaires que de résidences principales. En revanche, une statistique qui me semble particulièrement criante pour démontrer le mal-logement est celle publiée par le Service de l’observation et des statistiques, qui mentionne une sur-occupation et un surpeuplement des logements, de l’ordre de 7 % du total du parc de résidences principales. Soit la plus forte de France.



Si vous souhaitez moins de résidences secondaires, n’avez-vous pas peur d’un impact négatif sur le tourisme, qui est une ressource non négligeable ?



Jean-Guy Talamoni : Evitons les méprises : nous ne sommes pas contre le tourisme, bien au contraire, je pense que nous avons intérêt à sauvegarder l’attrait touristique de l’île. Mais la logique est perverse. Sur le plan de l’emploi, le tourisme crée surtout du commerce parallèle, à cause du travail clandestin. Sur le plan social, c’est une catastrophe, car le logement secondaire bénéficie aux grandes surfaces. Bon nombre de petits commerçants ne voient pas l’ombre d’un touriste, ceux-ci se tournant majoritairement vers la grande distribution. L’activité touristique n’est efficace que si tous les secteurs en bénéficient. Or, elle est pour l’instant concentrée dans le temps : deux mois par an ; et dans l’espace, sur le littoral. Il faudrait parvenir à diversifier et maîtriser une activité touristique pour le moment subie. Quelques tentatives ont été faites dans le sens d’un développement du tourisme chez l’habitant, encore erratique. Je déplore l’absence de politique globale dans ce secteur.



Chacun se souvient de l’occupation de la villa de Christian Clavier l’été 2008 par des militants. Y aura-t-il d’autres opérations de ce type ?



Jean-Guy Talamoni : L’occupation, pacifique, de la maison de Christian Clavier a permis de médiatiser notre cause, et surtout a contribué à la fin du Padduc [Plan d'aménagement et de développement durable de la Corse, NDLR], ce qui est une grosse victoire pour nous. Cette mesure était l’inverse du développement durable, car elle permettait de réaliser une « économie résidentielle », ce qui a fait le lit de la spéculation immobilière. Pour répondre à votre question, le principe de l’opération Clavier était de dénoncer en montrant. C’est ce que l’on a fait et nous allons continuer à le faire si nécessaire, même si l’on sent que le dialogue semble s’établir.



Propos recueillis par Léo Monegier - ©2010 LaVieImmo.com
Par FPL - Publié dans : Corsica

Tag(s) : #actualités
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