6775_image.jpgLa Cour des comptes pointe le cadeau de l'Etat aux banques  

Le rapport de la Cour des comptes sur le plan de sauvegarde de l'Etat durant la crise démontre un énorme cadeau aux banques : alors que les Etats Unis et la Suisse ont réalisé, sans risques, un gain de 23% et de 30% avec leurs interventions, la France se contente d'un petit 3%. Avec, en sus, un superbe bonus pour la BNP et Michel Pébereau : Fortis. Explications.
 
«Le bilan que la Cour peut, à ce stade, tirer du plan de soutien aux établissements de crédit mis en place à l'automne 2008 est positif. » Dans son rapport publié jeudi 20 mai, la Cour des comptes confirme sa première analyse établie dans son document d'étape de juin dernier. Selon l’institution de la rue Cambon, le plan a atteint ses objectifs principaux : stabiliser le système bancaire national, restaurer la confiance sur les marchés et limiter les effets de la crise financière, laquelle « aurait été plus durable et plus grave sans un soutien massif des banques. » Conclusion du volet positif de Didier Migaud, son tout nouveau Président et ex président PS de la Commission des finances de l’Assemblée : « le dispositif de soutien mis en place par le gouvernement a été utile et efficace.»

Voilà pour le coté positif dont le gouvernement, la plupart des experts et bien entendu, la « planète finance », se sont fait largement écho. Mais le document laisse entendre une petite musique, elle, plutôt très critique, qui n'a pas été rapportée avec autant d'empressement. Il remet en cause la bonne mise en œuvre des contreparties attendues des banques pour leur sauvetage. Et d’abord le caractère hautement déséquilibré de ce plan. Les banques ont été plus que sauvées. En langage pudique, mais hautement symbolique de la Cour, cela donne : ce plan a été très « avantageux » pour les banques.

Un plan « avantageux » ? Explications...
1./ Le soutien du crédit à l’économie ? « Les lignes de trésoreries aux petites et moyennes entreprises qui leur étaient essentielles pour survivre à la crise économique, ont diminué sensiblement, de 12% sur l’année 2009. » Pire, les banques auraient profité de la montée en puissance d’Oséo, une banque publique, pour lui refourguer un gros paquet de leurs risques...
2./ L’encadrement des rémunérations au sein des banques ? Là aussi, les magistrats financiers critiquent « ouvertement » les résultats annoncés encore récemment comme atteints par le gouvernement. « Les rémunérations perçues demeurent confortables », souligne Didier Migaud.
3./ Y a-t-il une meilleure régulation ? Non, là aussi, répond la Cour des comptes, qui demande, explicitement la mise en place d’un impôt exceptionnel sur les banques en contrepartie « du risque systémique que les banques font supporter à l’économie toute entière et qui est finalement assumé en dernier ressort par l’Etat. » Un petit coup de pouce aux propositions des socialistes que le parti de Martine Aubry semble pour l’heure mal exploiter.
4./ Enfin, quel bilan financier l’Etat peut-il retirer de ce sauvetage ? C’est le point sans doute le plus sensible abordé par la Cour. En effet, Nicolas Sarkozy, s’est, à plusieurs reprises, félicité d’avoir élaboré un système dans lequel l’Etat serait gagnant. Les magistrats, même ceux proches de l’Elysée, semblent bien en peine « d’acheter » la version sarkozienne. Officiellement, le bilan affiche un gain direct de 1,3 milliard d'euros pour le budget de l'Etat au titre des exercices 2008 à 2010. Sauf que cette photographie ignore la dynamique en place. Les effets de ce sauvetage s’apprécient au long cours, et ils « sont susceptibles d'annuler complètement le résultat budgétaire à partir de l'année 2011. »

5,8 milliards de manque à gagner pour l'Etat
Pour en apprécier les coûts, la Cour a mesuré ceux liés à l'endettement souscrit par l'Etat pour financer le plan (il reste encore 9,5 milliards d'euros environ), comme les dotations à la banque publique Oséo pour soutenir le crédit aux entreprises et enfin les conséquences de la décentralisation des fonds d'épargne réglementés comme le Livret A. Les banques pouvant désormais conserver une part des dépôts sur ce produit, jusqu'à présent intégralement centralisés par la Caisse des dépôts, cela crée un manque à gagner pour l'Etat.
Résultat de ces trois réformes, en langage pudique de la Cour : « Si les concours publics génèrent des recettes ponctuelles, ils engendrent des coûts permanents ». Pour Didier Migaud, président : le plan « ne rapportera vraisemblablement pas autant qu'on a pu l'afficher. » Off cela donne : « On est déjà bien content de pas perdre d’argent dans cette histoire», explique un magistrat.

L'affaire est encore plus contestable si l'on raisonne en terme de relations coûts-opportunité. Longuement développé, un chapitre du rapport s’interroge sur la perte d’opportunité de gain pour l’Etat. Car en sauvant le système financier, l’Etat a surtout sauvé les actionnaires des banques.
En somme, Didier Migaud, président de la Cour des comptes, conforte le Didier Migaud, alors président de la Commission des finances de l’Assemblée qui s’énervait, il y a encore peu, que l’Etat n’ait pas profité de l’envolée du titre suite au sauvetage, à l'instar des actionnaires de BNP-Paribas, et peut-être plus encore que ceux-ci. La Cour valide ainsi les critiques formulées l'année dernière par le député PS désormais assis dans le siége du défunt Philippe Seguin: 5,8 milliards d’euros. Pas moins.
Tel serait le gain pour l’Etat si, par le biais de la Société de prises de participations de l'Etat (SPPE), celui-ci était entré au capital des banques sauvées au moment où elles étaient dans le trou. L’essentiel provenant de la participation aux fonds propres de BNP Paribas dont le titre tombé à 27 euros est rapidement retourné aux alentours de 56.
Au printemps 2009, lors de sa deuxième prise de participation dans les banques, la SPPE a apporté 5,1 à la BNP-P et 1,7 milliards d'euros à SocGen via des actions dites « de préférence ». Une préférence qui ne se traduit de facto que par l’absence cumulée de droits de vote comme de représentants à leurs conseils d’administration. Comme ces titres ont été acquis à un prix « très bas » — leur cours de Bourse d’alors —, « il était donc conforme aux règles du marché d'en attendre une plus-value importante lors du rachat des titres par ces banques », se lamenterait presque la Cour. Mieux, les augmentations de capital, et plus encore dans ce genre de contexte où tout le monde rechigne à remettre au pot, donnent lieu à un rabais pour le nouvel entrant. Confronté à cette réalité de marché en juillet 2008, le Crédit agricole a ainsi proposé une décote de 40 % par rapport à son cours de bourse pour attirer le cash de nouveaux actionnaires à hauteur de 5,9 milliards d’euros. La banque verte n’a d’ailleurs pas demandé d’argent à l’Etat lors de ce deuxième volet, préférant montrer sa solidité en allant directement sur les marchés.

Les Etats-Unis et la Suisse ont gagné 23% sur leurs plans de relance, la France 3%!
Dès lors, la Cour s’interroge sur la convention conclue entre l'Etat et ces banques qui fixait à 103% maximum le prix de rachat des titres dits « de préférence ». Cette convention a donc mécaniquement privé l’Etat de la franche remontée des cours de BNP-P et de la Société générale. D’où la conclusion de la Cour des comptes : « Le manque à gagner théorique pointerait à 5,8 milliards d'euros, dont 5,3 milliards pour la seule BNP Paribas. L'Etat n'a pas profité de l'augmentation des cours de Bourse des banques, alors que ce rétablissement est largement imputable à ses concours. »

Alors pourquoi, l’Etat a-t-il été si généreux avec les banques au printemps 2009, en jouant lui-même le rôle de banque des banques ?
Coté gouvernement, Christine Lagarde, le ministre de l'Economie, a longuement expliqué que l'Etat ne devait pas spéculer. Autrement dit que la remontée des cours de bourses des banques n'étant pas certaine, il fallait avant toute chose protéger le capital de l'Etat, en le privant en contrepartie des hausses futures. L'argument est valable, d'après la fameuse équation selon laquelle moins de risques abouti logiquement à moins de rémunération. Mais entre une protection qui se paye certes par un moindre intéressement à la hausse et un plafonnement du gain à 3%, il y a une marge de manœuvre importante.

Les banques en font justement leur miel en élaborant tout un tas de produits mixant protection du capital et intéressement à la hausse. C'est ce qu'ont choisi, les Etats-Unis et la Suisse par exemple dans l'élaboration de leur plan de soutien aux banques. Le retour à meilleure fortune des établissements ainsi sauvés, a permis aux Trésors de ces deux pays de tirer des rendements respectivement de 23% et de 30%. Loin, très loin du misérable 3% encaissé par le Trésor français.
Coté banques, l'explication est plus radicale. En gros, elles auraient refusé l'argent de l'Etat, si celui-ci leur avait imposer des conditions de rémunérations plus importantes. Page 102 du rapport de la Cour des comptes, on doute de cette affirmation : « L'indication transmise à la Cour par les établissements concernés, selon laquelle ils n'auraient pas accepté une telle demande, ne permet pas de savoir quelle aurait été leur réponse si l'Etat leur avait signifié qu'aucune autre forme de concours ne leur serait accordée. »
Le rapport de force était-il si favorable aux banques pour qu'elles puissent refuser la main tendue de l'Etat avec à la clé un apport massif de capital?
On peut en douter. On a vu que le Crédit Agricole, refusant l'aide de l'Etat, avait tout de même procédé à une coûteuse augmentation de capital. BNP-Paribas et Société Générale (ainsi que BPCE) avaient, elles aussi, un besoin massif et impétieux d'argent. Empêtrée dans des produits toxiques la banque de Daniel Bouton devait absolument trouver du cash pour combler les trous qui n'allaient pas tarder à manger du capital. Quand à celle de Michel Pébereau, si elle fut moins active dans les compartiments risqués du marché, elle avait un besoin crucial de capital pour finaliser une opération d'acquisition d'envergure.

 
Le contexte des affaires de l’époque aiderait-il alors à comprendre la générosité apparente de l'Etat envers les banques? En off, les magistrats osent une théorie. Le calendrier de cet apport en fond propre est très proche de celui imposé à la BNP-P pour son rachat de Fortis. Cette opération est sans doute l’une des plus délicates pour Michel Pébereau, son Président, depuis le raid mené par la banque de la rue d’Antin sur Paribas.

Elle est politiquement délicate, les Belges vivant mal de devoir à la fois payer pour éviter la faillite leur principale banque pour finalement la livrer aux Français. Elle l’est également financièrement. Pour absorber l’établissement belge par échange d’actions principalement, la BNP doit monter sa force, autrement dit ses fonds propres. Les 5 milliards apportés par l’Etat font grossir la grenouille des fonds propres de près de 15%, et pas avec du faux papier, des promesses virtuelles. Non avec du cash, du vrai.
En Belgique, le rachat de Fortis par BNP Paribas a déjà fait tomber un gouvernement. Certes, cela ne constitue pas une prouesse, l’instabilité politique outre-Quiévrain est devenue presque une blague.
Il n’en reste pas moins que cette opération est concomitante avec le sauvetage d’une autre banque franco-belge dont on connaît encore mal le coût : Dexia.
Sur ce sujet, la Cour s’avoue mal à l’aise. Sauvée par une injection de capital de 6 milliards d’euros de la part des trois états parties prenantes, le Luxembourg, la France et la Belgique, Dexia est une sorte de trou noir. Car en plus la France lui a accordé prés de 60 milliards de garanties en toutes sortes et notamment sur un portefeuille très risqué composés de « titres subprimes », au sein de FSA sa filiale américaine, pour rien moins que 5 milliards d’euros. « On ne sait rien de ce qui se passe dans cette banque. Étant résidente belge, elle n’est pas dans notre juridiction, s’énerve un magistrat de la Cour des comptes, C’est là que se situe le gros risque. »
Pour la Belgique, la concomitance du sauvetage de ses deux principaux établissements bancaires est un casse tête. Rapporté au PIB du pays, leur bilan cumulé donne le vertige. Ensemble, elles pèsent 3,5 années de PIB quand, par exemple, BNP-Paribas, avec 1 700 milliards d'euros au compteur, ne représente que 10 mois de PIB de la France. Dans ces conditions, on imagine aisément que les négociations ont rapidement tournées à l'avantage du gouvernent français et de son allié BNP-Paribas.
Y-a-t-il eu troc : « Ok, le gouvernent français vous aide à sauver Dexia, qui ne représente pas un risque systémique fort pour la France, mais BNP-Paribas mange Fortis » ?
Michel Pébereau qui fut de toutes les négociations de sauvetage, lui, le sait peut-être. En tout cas le bilan de la crise pour la BNP-Paribas a de quoi faire rougir les envieux : l’établissement de la rue d’Antin est devenu la cinquième plus grosse banque du monde ; il n’a connu qu’un seul trimestre en perte depuis la crise ; ses bénéfices en 2007 ont certes été réduits de 65% mais ils atteignaient 3 milliards d’euros, puis 5,8 en 2009, contre 8 avant le déclenchement de la crise.
« Avantageux », vous avez dit « avantageux » ?



Source : Marianne 2

Tag(s) : #actualités
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