Rue89 publie la triple décision de justice qui innocente le journaliste, poursuivi depuis dix ans par la société du Luxembourg.
« Enfin, la justice me rend justice ! Après dix ans tout juste… » Denis Robert est « apaisé » par les trois arrêts de Cour de cassation rendus jeudi et que Rue89 s'est procurés. Trois arrêts qui annulent définitivement les condamnations du journaliste poursuivi par Clearstream. Et obligent même la chambre de compensation luxembourgeoise à lui rembourser ses frais de justice.
Dans le documentaire « Les Dissimulateurs » diffusé en 2001 sur Canal + et les deux livres « Révélations » et « La Boîte noire » publiés en 2001 et 2002 aux éditions Les Arènes, Denis Robert accusait Clearstream d'offrir la possibilité à ses clients de blanchir de l'argent sale. Ce qui lui avait valu trois plaintes en diffamation.
En première instance, le TGI de Paris avait débouté Clearstream pour « La Boîte noire » le 1er octobre 2003, mais lui avait donné gain de cause le 29 mars 2004 pour les deux autres enquêtes.
La cour d'appel de Paris allait cependant condamner l'ancien journaliste de Libération dans les trois affaires, le 16 octobre 2008, à payer un total de 4 500 euros de dommages et intérêts, ainsi que plusieurs milliers d'euros de frais de justice.
« Intérêt général » et « sérieux de l'enquête »
C'est donc un net retournement d'appréciation qu'a opéré jeudi la justice, à travers la triple décision de la Cour de cassation. La plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français est claire :
« L'intérêt général du sujet traité et le sérieux constaté de l'enquête, conduite par un journaliste d'investigation, autorisaient les propos et les imputations litigieux. »
Non seulement elle considère qu'il n'y pas diffamation au sens de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, mais elle s'appuie en outre sur la législation européenne pour blanchir Denis Robert :
« Le reportage incriminé, traitant de sujets d'intérêt général relatifs aux mécanismes dévoyés et incontrôlés de la finance internationale et à leur implication dans la circulation mondiale de l'argent sale, ne dépassait pas les limites de la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
« C'est une victoire pour moi, mais aussi une jurisprudence pour tous les journalistes », décrypte l'intéressé. Les trois arrêts indiquent que, dans les enquêtes longues et difficiles, il peut y avoir quelques imprécisions, voire des « formulations outrancières », qu'il ne convient pas de condamner si le travail a été réalisé de bonne foi, avec sérieux et dans l'intérêt général.
« Je peux ressortir mes livres »
Le journaliste était fondé à qualifier la société luxembourgeoise de « meilleure lessiveuse du monde », de « dérive du système financier international » ou encore, comme l'écrit la Cour de cassation, de souligner « l'accointance de l'Eglise de Scientologie avec la société Clearstream ».
Pour achever de donner raison à Denis Robert, la Cour de cassation va jusqu'à condamner Clearstream à payer les dépens (les frais liés aux instances, actes et procédures d'exécution) et à lui verser en plus 9 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile (qui concerne tous les frais de justice non compris dans les dépens, comme les honoraires d'avocat).
« Ma parole est libre désormais », se réjouit Denis Robert. « Si j'ai envie, je peux ressortir mes livres. » Le journaliste a l'esprit aujourd'hui « ailleurs qu'à Clearstream », il n'a « pas envie de ressasser », mais entend quand même demander plus ample réparation à la chambre de compensation.
Si les décisions de la Cour de cassation sont définitives, il reviendra à la cour d'appel de Lyon, lors d'une dernière audience à venir, de fixer le montant du dédommagement du préjudice, qu'il estime « énorme », ainsi que de déterminer dans quels journaux il en sera fait la publicité.