Nous sommes à Paris, dix-huitième arrondissement, quartier Château-Rouge, quartier aussi vivant que coloré. C'est là que vit ou parfois survit Khadîdja Cissé qui est née au Mali. Répudiée par son mari, elle a quitté son pays avec un premier enfant. Trois autres sont ensuite venus, dont un petit dernier métis. Le petit dernier, elle l'a eu avec le propriétaire de son logement, un blanc.
Une liaison que ne dura pas, mais les effets, eux, furent durables pour Khadîdja, la mettant en marge de sa petite communauté d'origine. Alors bien évidemment ses maigres allocations ne suffisent pas pour vivre à cinq dans un minuscule appartement.
Khadi Hane sait planter un décors, une ambiance, une chaleur, en peu de mots, mais des mots choisis, des mots qui nous évoquent irrésistiblement ce quartier où vit le microcosme africain. Avec en particulier les voisines maliennes de K., voisines aussi médisantes que collantes.
Et puis il y a aussi, dans ce quartier si vivant, les commerçants, et bien entendu "l'arabe du coin", mais il y a aussi, et c'est moins drôle, les flics, et encore un marché, le marché de la place Dejean.
Alors la vie n'est pas vraiment facile pour Khadîdja, et ce roman nous permet de la suivre, scène après scène, en commençant dès la première page par son entretien avec "son" assistante sociale. Son référent social, lui avait-on dit un jour...Cette cérémonie administrative se déroulait le premier jeudi de chaque mois.
Au fil des pages, nous partageons la vie, pas vraiment facile, de K., la difficulté de la pauvreté, la pauvreté avec plusieurs enfants, la difficulté d'être
africaine et d'avoir eu une liaison avec un blanc, la difficulté d'être musulmane, mais avec de nombreux doutes...Et puis à trente deux ans, elle n'est pas assez grosse, selon ses
voisines,
Et sans doute la plus grande difficulté, celle d'affronter la bêtise et l'injustice. Des nuisances ambiantes assez bien partagées entre africains et européens.
Khadi Hane possède l'art du détail qui nous permet de ressentir une scène. Cela se sent dès les premières pages avec cette rencontre entre Madame Cissé et son assistante sociale attitrée. Il en sera de même durant tout le roman.
Et puis il y a un squat, et la drogue, et les loyers impayés en retard depuis six mois...
Et partout les jugements des autres sur Khadîdja, jusqu'à celui de ses propres enfants, sans doute le pire de tous.
Mais face à l'adversité, elle résiste avec détermination, courage et parfois humour.
Ce qui nous donne un roman vraiment intense, vraiment attachant, avec une très forte écriture qui nous fait partager la double appartenance. Et aussi qui nous dit qu'il n'est jamais aisé de vivre un peu libre, surtout pour une femme, et en particulier pour une femme loin de son pays.
Khadi Hane, née à Dakar, vit en France et a déjà écrit plusieurs livres depuis 1998, dont "Ma sale peau noire" et "Le collier de paille".
Des fourmis dans la bouche ne peut que donner l'envie de lire ses précédents romans.
Un talent authentique.
Dan29000
Des fourmis dans la bouche
Khadi Hane
Editions Denoël
2011 / 150 p / 14,50 euros
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ENTRETIEN /
Source : SLATEAFRIQUE, les blogs / Cahier nomade
Qui êtes-vous Khadi Hane? (extrait)
Je connais Khadi Hane depuis une bonne quinzaine d’années. C’est une femme souriante et franche, douce et forte tout à la fois. Le jour elle travaille dans une administration, le soir elle écrit. Ses livres sont rares. Je fais partie de ceux qui attendaient son dernier roman. C’est chose faite. Il ne reste plus qu’à lui souhaiter un bon et franc succès. Courez chez votre libraire. Ecoutez aussi la voix douce et forte de Khadi Hane.
Qui êtes-vous Khadi HANE ?
C’est le genre de questions auxquelles j’ai du mal à répondre. Qui suis-je ?
Je suis née au Sénégal, à Dakar, il y a quelques années, je ne dirai pas combien (rires). Installée en France depuis plus de vingt ans, j’aime admettre que je ne suis pas seulement sénégalaise mais aussi française, de part le fait que j’ai vécu plus longtemps en France. Disons que je suis une Franco-sénégalaise. Amoureuse de littérature, de langues quelles qu’elles soient, de théâtre et de la découverte des autres. Ça vous va comme réponse ?
Qu’écrivez-vous ? Quel/s genre/s ? Dans quelle/s langue/s ?
J’écris des romans, du théâtre, des nouvelles, je me mettrais sûrement à l’essai, dont l’écriture est un autre genre à explorer. Le tout en français, la seule langue dont je maîtrise l’alphabet, le vocabulaire et la grammaire, même si je parle couramment d’autres langues comme le poular, le wolof, le soninké, l’anglais et l’espagnol.
De quelles influences vous réclamez-vous ? Françaises, africaines, sénégalaises, peulhes, autres ?
Les influences sont multiples. Je pense que tout auteur se nourrit d’abord de ses nombreuses lectures, avant d’oser ne serait-ce qu’écrire la première phrase de ce qui deviendra un livre. J’ai grandi avec les textes d’Aminata Sow Fall, de Mariama Bâ, d’Amadou Hampaté Bâ, de Camara Laye, Cheikh Hamidou Kane, dans le cadre de mes études au Sénégal. Puis j’ai découvert d’autres auteurs comme Yann Queffélec avec « Les noces barbares », roman dont la lecture m’avait bouleversée, John Steinbeck, avec « Les raisins de la colère » entre autres, Toni Morrison dont l’engagement est une source de réflexion quotidienne pour moi et puis tant d’autres. Paulo Coelho, Richard Bohringer. Plus récemment, je vous ai lu, j’ai lu Alain Mabanckou, Sami Tchak, Akli Tadjer ….
Pour ainsi dire, je ne me réclame d’aucune influence en particulier, mais de toutes celles puisées dans tous les livres que j’ai lus, dont je serai incapable de dresser une liste exhaustive, sans parler des influences issues de mon environnement géographique lointain ou immédiat.