Forages de Doue : la guerre du schiste a commencé…

 


 

 

Ils étaient deux ou trois mille ce samedi 5 Mars vers 15 h à avoir gravi la butte de Doue. L’église du XIIIè siècle, fièrement dressée au sommet de la colline, domine cette campagne paisible de l’Est de la Seine et Marne et le panorama offre une vue à 360° sur les plaines agricoles en contrebas. Un paysage tranquille et reposant en cet après-midi ensoleillé : la grande culture à perte de vue, ponctuée ici ou là de hameaux bien sages cernés de bosquets et de bois dans le lointain. Un environnement somme toute harmonieux, rassurant. Mais pour combien, de temps encore ?

 La concession accordée aux sociétés pétrolières fait craindre le pire. Les québécois venus soutenir les militants de Villeneuve-de-Berg en Ardèche leur ont redit ce à quoi il faut s’attendre : le mitage du paysage par une multitude de petits puits disséminés, chacun permettant de remonter en surface les boues épaisses contenant de l’or noir. Une catastrophe environnementale de taille. Aux dégâts visibles s’ajoutent les dégâts structurels : épuisement et contamination des nappes phréatiques, pollution atmosphérique, va et vient de camions géants transportant les matières à trier, rejets d’une masse considérable de boues empoisonnées. Une menace spectaculaire sur le paysage, insidieuse sur la santé. Il suffit de taper sur n’importe quel moteur de recherche les mots « gaz de schiste », « pétrole de schiste » ou « schistes bitumineux » etc. pour trouver toutes les informations utiles à ce sujet. Une vidéo des plus spectaculaires montre un habitant des Etats-Unis allumant son briquet auprès de l’eau coulant du robinet de son évier : tout s’enflamme soudain (http://dai.ly/fRzo1Z).

 


 

 La foule rassemblée en cette occasion ne s’est pas donc pas déplacée pour un quelconque pèlerinage. Certains sont venus de très loin, comme ces militants ardéchois, mêlés à la population locale et à la foule des anonymes venus écouter les orateurs installés au pied de l’édifice religieux. Ils sont une bonne dizaine d’élus ceints de l’écharpe tricolore parmi les représentants de diverses associations et des personnalités plus médiatiques comme Eva Joly ou José Bové dont la présence souligne encore, s’il le fallait, l’importance des enjeux.

 Le premier à prendre la parole est le maire de Doue, très remonté, dont le conseil municipal a voté à l’unanimité, le 3 Mars, une motion demandant de surseoir au projet d'exploration d' "hydrocarbures de schistes". Le président du conseil général, Vincent Eblé, très véhément, exprime le soutien du département car c’est, de fait, toute la Seine et Marne qui est ici directement menacée : à la concession de Doue s’ajoutent celles de Jouarre et de Signy-Signet (proche de Meaux). Des propositions de concertations et d’actions communes seront mises en place. La voie juridique est dessinée, les premières actions d’ores et déjà engagées sur ce terrain. Le maire de Rebais prend la parole à son tour, expliquant qu’il faudra lever des fonds pour trouver les meilleurs avocats ; son discours engagé provoque toutefois quelques rumeurs parmi les auditeurs : son étiquette UMP met en relief la contradiction dans laquelle se trouvent un certain nombre d’élus locaux de la région. Comment s’opposer à des actes provenant d’un gouvernement que l’on soutient ? Les autorisations accordées aux grands groupes pétroliers français alliés aux américains ont été signées par Jean Louis Borloo peu de temps avant qu’il quitte le gouvernement. NKM est, paraît-il, peu favorable à ces techniques violentes d’exploitation par fracturation de la roche mais elle doit composer avec Eric Besson, ministre de l’industrie. Et c’est la société « Toréador », dont le président est Julien Balkany qui a les droits d’exploitation sur les puits concernés (800 km2 autour de Château-Thierry). Quand on sait la proximité du clan Balkany avec Nicolas Sarkozy, on imagine ce qu’il faut craindre…

 Pourtant, explique Marie-Paule Duflot, présidente de Nature Environnement 77, c’est pour des quantités dérisoires qu’on met en péril tout l’environnement et la santé des français car, au regard, de la consommation nationale, c’est l’équivalent de 20 jours de consommation qui serait extrait du sous-sol français par l’ensemble des forages envisagés sur la totalité du territoire (Et oui car, à terme, c’est une proportion importante du territoire national qui est concernée).

 Après d'autres orateurs, José Bové s’exprimant en dernier va rappeler que le combat sera difficile, et sans doute de longue haleine, mais que le pot de terre peut parfois renverser le pot de terre, comme ce fut le cas il y a quarante ans lorsqu’une poignée de paysans avait fini par gagner, après 10 ans de lutte, son combat contre l’armée qui voulait annexer leurs terres. Après l’Ardèche, où la population se mobilise d’une façon aussi forte qu’imprévue, c’est au tour des habitants de la région de marquer leur volonté de refuser l’inacceptable. Rien ne sera possible sans une très forte mobilisation de gens déterminés.

          Rendez-vous est donc donné à tous autour du 15 Avril, date à laquelle prend fin la suspension provisoire des activités dites « d’exploration ». C’est alors la ronde des camions et des engins de chantier qui devrait reprendre son rythme infernal. « No pasaran ! », s’est écrié une femme dans la foule, reprenant ici le mot d’ordre des républicains espagnols pendant la guerre de 36. Car c’est bien une sorte de guerre, non violente mais résolue, qu’il va falloir mener ici contre les pouvoirs tentaculaires des intérêts privés.

       C’est une foule bon enfant, très composite, mêlant des gens de tous âges et de toutes origines, qui s’est ensuite mise en route s’ étirant pour une longue marche vers le chantier de Doue, un vaste terrain de terres remuées en tous sens, entièrement clôturé de hauts grillages. La consternation a fait place à la détermination. On s’est promis de faire circuler les informations, et de se retrouver le 15 Avril : les camions ne passeront pas ! Sur le chemin, une femme native d’Argentine tenait fièrement son panneau pour la défense de « Pacha mama », la Terre mère nourricière, la Terre sacrée des indiens. Elle a raconté comment les habitants du sud de l’Argentine se battent bec et ongle contre ces forages qu’on cherche à implanter en Patagonie. Doue est en France un des tout premiers verrous qu’il faudra tenir avant que d'autres ne cèdent ; montrer, comme à Villeneuve-de-Berg, qu'on luttera autant qu'il le faut pour ne pas subir en France et en Europe ce que vivent des populations spoliées, en Amérique du Nord et en bien d'autres lieux du globe. Car ce sont tous les sous-sols de la planète qui, à terme, sont visés..   

 Sur le chemin du retour une habitante de Doue chantait doucement à son enfant qu’elle tenait à la main « Tout est sage dans le village, le lion est mort ce soir.. » Prémonition ?

 

Source : Agoravox, Phildiogene

Tag(s) : #environnement
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