Que peux-tu me dire de ton départ de Paris ? Dans
quel état d’esprit étais-tu ?
J’avais envie de partir en vacances. Je suis partie à New York, sans faire de plan particulier –et j’y suis restée plus longtemps que prévu. Je me suis rendu compte que cette ville était
importante pour moi, qu’elle m’apportait quelque chose : j’ai fini par décider de m’y installer. Et je n’ai toujours pas de plan précis : je pourrais tout à fait décider de déménager ailleurs, un
peu plus tard.
Tu parles de vacances… Tu subodorais que tu avais besoin d’une rupture, assez radicale ?
J’avais besoin d’une pause, j’avais beaucoup enchaîné. Humainement, j’avais envie de penser à autre chose qu’à la musique, de faire des choses personnelles. Et au niveau musical, j’avais envie de
casser les habitudes, de déconstruire, de voir s’il n’y avait pas quelque chose d’autre à faire. Le fantasme du départ me travaillait depuis longtemps. J’étais arrivée à la fin d’un cycle ; les
albums, la bande originale, les tournées, beaucoup de voyages. Des Los Angeles-New York-Londres-Honk Kong : ça déstabilise. J’ai mis la musique de côté : je ne me suis pas dégoûté, mais j’ai eu
envie de faire de la musique avec envie et fraîcheur. Pas parce qu’il faut faire un album, pas parce que c’est devenu une habitude d’enregistrer -on devient vite accroc à ces rythmes. J’avais
besoin d’un calme intersidéral, et j’avais besoin qu’on me parle d’autre chose que de musique. Mais faire un break n’est pas si facile que ça : psychologiquement, on se demande si on sera encore
inspiré quand on reviendra, on se demande si on n’a pas déjà tout dit. Mais je savais que si je ne faisais pas cette aventure, ça n’aurait plus marché.
Paradoxalement, tu es allée chercher le calme à New York…
Je n’avais pas besoin de campagne : je voulais une remise à zéro. Un reset. C’est comme quand tu tombes malade : ton corps te lâche, tu n’as plus le choix. Tu n’as plus qu’à laisser faire et voir
où les choses mènent. Et c’est bien de le faire dans une ville comme ça : tu peux être passif, au niveau de la production, mais en même temps tu te recharges de plein de choses. La ville en
elle-même est une inspiration, tu absorbes des tonnes de choses. Elle offre une énergie folle, d’abord sur un plan humain –et si tu as de l’énergie sur le plan humain, tout le reste, la
créativité notamment, suit. Il y a aussi l’esprit des jeunes groupes : hyper curieux, très enthousiastes, rapidement à fond. Au niveau musical, c’est un renouvellement perpétuel. Ils ne sont pas
dans l’optique de carrière, ils sont dans l’instant présent. Ca m’a fait plaisir, et du bien, d’être dans cet environnement-là. Des gens qui donnent le meilleur d’eux-mêmes, avec le sourire, sans
savoir combien de temps ils seront là. Il y a une forme de surenchère permanente dans la création. Une tension créative : c’est une cocotte minute, quelque chose peut se passer à tout moment, et
tout le monde se tient prêt pour ce qui peut se passer.
Tu as eu peur, en partant à New York ?
Il y a plein de moments de doutes, évidemment. Mais le moteur était basé sur de bons questionnements. Je n’ai pas laissé les doutes ou la peur empiéter sur le moteur. Et le moteur, le
questionnement, c’est qu’est ce qui se passe quand tu perds tes repères. Quelle femme suis-je à trente ans ? Je ne devais pas me laisser distraire par les peurs et les doutes. Et je n’en ai pas
vraiment besoin : j’en ai toujours eu, je me remets en question à chaque fois. Dès que je fais un concert, que j’écris un morceau. C’est constant. Mais là, le fait de me couper de mon pays, de ma
famille, de ma culture, de mes amis, ça m’a permis de faire le tri entre les bons et les mauvais doute, de comprendre ce qui est réel et ce qui est illusoire, vaporeux. C’est intéressant de se
confronter à ça : qu’est ce que tu fais, qu’est ce que tu es quand tu n’as plus rien, quand tu n’as plus de repères ? Qu’est-ce qui reste de toi ? Je me suis retrouvée à Chinatown, pendant deux
ou trois semaines ; j’avais loué un appartement, je ne savais même pas que ce serait dans Chinatown. J’en ai d’ailleurs écrit un morceau. J’écrivais, mais sans plan ; et il me manquait l’énergie
pour aller au bout. Je sentais que ce n’était pas le moment de produire.
Et quelle femme à trente ans ? Quel était le questionnement précis ?
Je devais me mettre à l’épreuve, tester ma solidité. Un peu éprouvant, mais c’est ce que je trouve génial dans cette
aventure : je suis partie sans aucun plan, les gens qui ont bossé sur mon albums sont des gens que j’ai rencontré en chemin, je n’avais rien prévu du tout. Tout s’est fait naturellement, ça
devait se passer comme ça. J’ai laissé la vie décider pour moi, tout en étant, paradoxalement, hyper active, ce qui déclenchait des situations. Mais une fois que les situations, que les
rencontres se faisaient, je pensais qu’elles devaient se faire, et je laissais les choses se dérouler. Alors qu’avant, j’étais sans doute un peu plus bloquée, j’avais peur de perdre ce que
j’avais en tête.
Tu es moins en contrôle ?
Pas tout à fait. L’état d’esprit est différent. Au final, je suis toujours en contrôle. Mais j’étais arrivée à un moment où j’étais obligée de changer les règles du jeu, si j’avais envie
d’apprendre, de progresser. J’ai du désapprendre pour apprendre à nouveau.
Tu connaissais du monde, à New York ?
Tu t’es laissé du temps…
Je n’avais pas de deadline pour l’album. J’avais des mélodies ; j’écris tout le temps. Mais je n’avais pas mis de cadre. Je m’étais imposé une règle : ne pas utiliser d’ordinateur. Toujours ce truc de désapprendre, surtout pour moi, qui suis une vraie nerd… Du coup, ça a complètement cassé mes repères, et ça a donné naissance à des mélodies que je n’imaginais pas avant. Quand tu composes sur ordinateur, ce sont des mélodies que tu vois, que tu empiles. Les mélodies que j’ai eues à un moment en tête, je me suis forcée à ne pas les enregistrer sur ordinateur. Je voulais tout casser, tous mes repères : je voulais tout simplement faire un album à l’envers. Mais pour moi, faire un album à l’envers revient à faire un album avec une méthode classique. Avant, j’écrivais sur ordinateur, je produisais, j’allais ensuite en studio avec des musiciens qui découvraient les morceaux, puis je retraitais les sessions sur ordinateur, je finissais la réalisation, je mixais, je trouvais un groupe pour la scène, et on tournait. Là, pour résumer : j’ai monté le groupe avant de finaliser l’album, pour la scène, pour y finaliser l’écriture –les morceaux n’étaient même pas finis. Je voulais que l’album ait déjà un peu de bouteille à sa sortie.
Quand as-tu commencé à écrire, concrètement ?
Mi-janvier 2008. Il y a eu un déclic. J’ai senti l’énergie qui revenait. J’avais été fatiguée de la tournée, mais j’avais eu mes vacances, j’étais contente : ça commençait à revenir. J’entendais des sons, des mélodies, ça coulait de source. Après, ça s’est construit sur la durée –mais à ce moment précis, j’ai su où je voulais aller, quelle couleur je voulais donner à ce que j’écrivais. Ecrire des morceaux, ce n’est pas ce qu’il y a de plus compliqué pour moi : ce qui est dur, c’est de déterminer où on veut aller, de dessiner un horizon. Surtout quand on veut à tout prix faire quelque chose de différent.
Mais l’album, au niveau des prises en tout cas, a été quasiment terminé en décembre. Mais toute la base a été posée assez vite : la basse-batterie, primordiale, la direction que j’allais prendre avec les programmations, quelque chose de plus brut.
Ca a été assez long… Alors que tu voulais quelque chose de plus instinctif…
Ca a été un périple. Ca n’a pas été une année enfermée dans mon studio. J’ai déménagé. En juin, j’ai commencé à avoir un petit set de morceaux, électroniques. En septembre, j’ai joué huit ou dix nouveaux morceaux au Roxy, à Los Angeles ; c’était expérimental, je jouais en face de Quincy Jones, c’était fou… Puis une résidence à New York, avec cinq dates : le challenge était d’ajouter un nouveau morceau à chaque date. A la fin de la résidence, j’avais mon album, et j’avais une énergie particulière, liée aux gens qui venaient au concert. Parce qu’il y a eu ce dont je parlais tout à l’heure, cette surenchère, de plus en plus de mon venait, je sentais qu’il y avait une forme de dialogue. Et ça, je n’ai pas voulu le perdre : tout de suite après, j’ai commencé à chercher un groupe, à faire passer le mot auprès de mes amis que je cherchais un batteur et un bassiste. Tout s’est passé comme ça, du bouche à oreille, des amis d’amis, naturellement. J’ai trouvé mes musiciens, puis il fallait que je trouve une salle où enregistrer, je ne connais pas bien les salles à New York, j’ai pas l’habitude d’enregistrer de la basse et un batteur. J’ai aussi rencontré Mark Plati, aussi un peu par hasard, via un ami commun, je lui ai demandé de m’aider. Et c’est lui qui m’a conseillé d’enregistrer à Electric Lady. Tout s’est enchaîné, la salle était libre quand on voulait. En octobre, j’ai enregistré. A Noël, j’avais tous mes morceaux basse-batterie, avec des idées de synthés, d’arrangements. Il ne me restait qu’à décider la place de l’électronique.
Source : Les inrocks, lire la suite ici :
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