15/09/2012
Les écologistes le serinent depuis 24 heures: ils sont contents. Ils ont même éprouvé «un moment de satisfaction, et même de plaisir», selon les termes de Pascal Durand, secrétaire national d'EELV, en écoutant le discours d'inauguration de la Conférence environnementale du président Hollande. Aussi fugace soit-il, ce moment est toujours bon à prendre. Même si chacun sait qu'offrir du plaisir n'engage à rien.
Tout à son bonheur d'avoir un président qui «a fixé de grandes et belles orientations» vendredi matin, Pascal Durand a néanmoins déploré une annonce: la date de la fermeture de Fessenheim, fixée par François Hollande en 2016. Plus de trois ans d'attente... Pourquoi les conseillers énergétiques du président ont-ils choisi 2016 ? Parce que ça rime avec foutaises ? Hier soir, lors d'un court debriefing devant les journalistes, la ministre de l'écologie Delphine Batho a avancé deux pistes. «Il faut que cette fermeture se fasse dans des conditions responsables: il faut donc garantir la sécurité de l'approvisionnement électrique de la région et préserver les emplois.» Certes.
Par ailleurs, l'argument de la sauvegarde des emplois est particulièrement spécieux. On sait que c'est un sujet sensible en ce moment, mais en phase de démantèlement, rien n'indique que les emplois sont menacés. Pour exploiter une centrale d'une puissance d'1 gigawatt, 500 personnes sont nécessaires, d'après les calculs de Benjamin Dessus du think-tank énergétique Global Chance. A Fessenheim, environ 900 travailleurs assurent l'exploitation des deux réacteurs, en situation normale. Une multiplicité de métiers sont requis, de l'ingénieur spécialiste du cœur-réacteur au chaudronnier, en passant par les mécaniciens, les plombiers et autres techniciens divers. Lors des arrêts pour maintenance, visite décennale ou remplacement du combustible, le site peut accueillir le double d'employés.
Mais sait-on seulement combien d'hommes il faudra pour démantèler les deux réacteurs, mais aussi les bâtiments, les générateurs de vapeur et les kilomètres de tuyauterie associés ? Il faudra les mêmes chaudronniers, chauffagistes et techniciens. Mais aussi d'autres corps de métier qui seront employés sur de longues durées, tant les expériences précédentes de démantèlement montrent qu'on s'y prend comme des manches. Au pire, rappelons qu'il restera 56 réacteurs à faire tourner en France... (oui, je sais, pas en Alsace)
Pourquoi ne pas engager, au plus vite, ce démantèlement promis? Et «ouvrir enfin le chantier de la filière du démantèlement en France», interroge Nadir Saïfi du Rassemblement pour la planète, lequel préconise «d'utiliser le site de Fessenheim comme un démonstrateur des bonnes pratiques en la matière, et d'en planifier le démantèlement dès maintenant pour arrêt de production au 1er janvier 2017».
Pourquoi attendre plus de trois ans avant d'engager ce chantier ? Pascal Durand avance une piste: «on offre à EDF la possibilité de faire monter la surenchère des indemnités qu’elle percevra à la sortie de l’exploitation parce qu’elle est en train d’engager des travaux». Ah, oui, c'est vrai: EDF doit se plier aux prescriptions de l'Autorité de sûreté nucléaire, laquelle, suite à la catastrophe de Fukushima, a préconisé le renforcement du radier de la centrale alsacienne. "Si le radier [la dalle de béton] du réacteur n°1 de Fessenheim n'est pas épaissi d'ici juillet 2013, on ferme." a prévenu André-Claude Lacoste, président de l'ASN, lors d'une audition par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Montant des travaux : 20 millions d'euros. «On aurait mieux fait d’utiliser l’argent pour ces travaux, qui, de toute façon, vont ne servir à rien, pour commencer à préparer le plan de réorientation des emplois» tâcle Pascal Durand.
Ces vingt millions d'euros s'ajoutent aux frais engagés l'année dernière lors du changement des trois générateurs de vapeur du réacteur 2. Une opération onéreuse, d'environ 200 millions d'euros, unique dans la vie d'un réacteur et qui lui permet de repartir pour trente ans supplémentaires. Faut-il vraiment lifter Fessenheim avant de l'enterrer?
Que les écolos du gouvernement soient contents, c'est bien. Qu'ils se contentent de la fermeture d'une centrale, c'est regrettable. Pour certains, l'annonce fleure bon le foutage de gueule puisque Fessenheim approche de l'âge de la retraite, avec 35 ans au compteur. «EDF et l'ASN reconnaissent qu'au-delà de 2017, le vieillissement des matériaux et les incidents de toute nature la feront sortir des limites de sécurité posées au démarrage», selon Jean-Marie Brom, membre du Groupement des scientifiques pour l'information sur l'énergie nucléaire et expert lors des 2ème et 3ème visites décennales de la centrale. Ainsi, le symbole du pacte EELV-PS n'a même pas la saveur d'une prise de guerre.
SOURCE / ENVIRONNEMENT BLOGS LIBERATION / LAURE NOUALHAT