Comment la FNSEA embrigade les collégiens

Par Raphaël Baldos (21 février 2011) Basta !



La FNSEA est désormais chez elle dans les collèges. L’Éducation nationale a ouvert les portes des établissements scolaires au premier syndicat agricole français, à l’occasion d’un concours photo intitulé « La Terre vue du collège ». Les professeurs participent sans état d’âme à une opération de communication du syndicat, en emmenant leurs élèves visiter des exploitations. Bienvenue à la ferme FNSEA !

 

 

 

Robert Hervé élève des poules. En bio. L’agriculteur a fait le choix d’une production de qualité. Loin des standards du tout intensif des élevages qui l’entourent à Plésidy, dans les Côtes-d’Armor. Et quand le collège voisin l’a appelé pour lui demander de venir visiter son exploitation, Robert a dit oui. Pendant deux jours, il a reçu quatre groupes d’élèves de 3e et de 6e. Leur a fait visiter son élevage. Avec la satisfaction de montrer que l’agriculture peut être un métier noble et respectueux de l’environnement.

La satisfaction s’est muée en colère quelques jours plus tard, lorsqu’il a compris dans le journal local qu’il avait participé, sans le savoir, à un concours photo organisé par la FNSEA : « La Terre vue du collège ». « C’est de la com’, je me suis fait avoir  », regrette-t-il. Le premier syndicat agricole invitait les collégiens français à visiter, avec leur appareil photo, des exploitations pour découvrir leur fonctionnement. Les premières visites de ferme ont débuté en novembre. Les élèves, de retour dans leur classe, devaient imaginer avec leurs clichés une petite histoire sur l’agriculture sous forme de storyboard, un scénario en images.

Les « actions éducatives » de la FNSEA approuvées par le ministère de l’Éducation

« Ce concours vise à promouvoir l’image des métiers de l’agriculture et plus largement les secteurs d’activités de la production agricole », indiquait le règlement du jeu. Un jury, composé de six personnes (quatre – dont trois exploitants – désignées par la FNSEA, et deux enseignants choisis par l’Inspection académique) devaient sélectionner les meilleurs scénarios aux niveaux départemental et régional.

Des collèges de 13 régions ont encouragé leurs élèves à participer à ce jeu. Pourquoi ? Parce que le ministère de l’Éducation nationale a largement contribué à son organisation. Après avoir agréé la demande de partenariat de la FNSEA, il a inscrit ce concours dans les « actions éducatives » approuvées par le ministère. Puis a adressé, le 6 septembre 2010, une lettre, que Basta ! s’est procurée, à l’ensemble des recteurs d’Académie, pour les prier « de bien vouloir relayer cette information auprès des principaux de collèges et de contribuer, par les moyens qui (leur) paraîtront les mieux appropriés, au bon déroulement de cette opération ».

Des prix « estampillés FSNEA » pour les gagnants du concours

Grâce à cette bénédiction du ministère de l’Éducation nationale, la FNSEA a pu labourer plusieurs dizaines de collèges, sans que les parents en soient alertés. Au siège parisien du syndicat, on souligne que le partenariat du ministère a été long à obtenir. Et que les exploitants qui font visiter leur ferme ne sont pas forcément adhérents du syndicat. « Nous sommes ouverts », affirme Nancy Suinot, chargée de l’organisation. Une ouverture qui a conduit certaines fédérations syndicales à taire l’identité de l’organisateur.

Dans les collèges du Tarn et de Bretagne où nous avons mené l’enquête, les parents d’élèves ignoraient que les professeurs confiaient une partie de leur projet pédagogique à des promoteurs de l’agriculture intensive. La plupart ont découvert cette initiative au retour de leur enfant à la maison, lorsque celui-ci a fièrement brandi le T-shirt, la clef USB, le baladeur MP4 ou l’appareil photo-numérique, siglé « FNSEA », reçu lors des remises de prix départementales et régionales.

La CGT et le Medef bientôt dans nos écoles ?

La Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), alertée par Basta !, reconnaît que « la présence de la FNSEA pose problème ». « Il faut que l’Éducation nationale reste vigilante à la qualité pédagogique de ce type de concours, à l’adéquation avec le projet pédagogique, et qu’aucun prosélytisme d’aucune sorte ne soit toléré, observe Claire Herlic, présidente de la FCPE du Morbihan. Que dirait-on si la CGT faisait un concours sur le travail en usine, ou le Medef ? »

Dans le Tarn, Katja Auffrey, déléguée FCPE du collège Aristide-Bruant d’Albi, ne voit pas les choses de la même façon. « Ce concours est très bien pour faire comprendre aux enfants l’agriculture. Je ne savais pas que c’était la FNSEA qui l’avait lancé, mais ça ne me choque pas, tant qu’il n’y a pas de propagande. » Elle se ravise un peu en apprenant la distribution de cadeaux aux couleurs de la FNSEA et en découvrant sur le storyboard des collégiens albigeois la mention « les élèves remercient la FDSEA », la fédération départementale du syndicat. « Si cela n’a pas été dit, c’est problématique », concède-t-elle. La FNSEA a quand même sa propre vision de l’agriculture, différente par exemple de celle de la Confédération Paysanne, autre syndicat agricole, en moins bonne relation avec les tenants de l’agriculture productiviste.

« Ce qui est préoccupant, répond Véronique Villain, secrétaire générale de la Confédération paysanne, c’est que le ministère de l’Éducation nationale participe sans état d’âme à une opération de communication de la FNSEA. » Peu surprise par cette révélation des liens habituels entre l’État-UMP et la FNSEA, Véronique Villain annonce néanmoins que la Conf’ va dénoncer cette manifestation au ministre de l’Agriculture lors de son passage à leur stand au Salon de l’Agriculture, qui a ouvert ce samedi 19 février. L’organisation se réserve aussi la possibilité d’une action en justice.

« Cette action participe à ouvrir les esprits »

Du côté de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB), on s’interroge sur la finalité de l’opération. « À qui sert la communication ? Est-ce que ça sert l’image collective des paysans ou la vision FNSEA de l’agriculture ? Est-ce qu’on ne risque pas d’utiliser des images d’enfants pour porter un message positif sur un monde qui n’est pas celui que l’on veut mettre en place ? », se demande Dominique Marion, président de la FNAB.

Au rectorat de Rennes, on ne s’est pas mis la rate au court-bouillon. « Quand une manifestation est agréée par le ministère, on ne se pose même pas la question, on la propose aux équipes pédagogiques. Ce qu’on refuse, ce sont les démarches commerciales qui impliquent de débourser de l’argent », indique Christine Brisse, chargée de la communication. Jacques Vieuxloup, principal du collège Jean-Le-Coutaller de Lorient, n’a pas hésité non plus : « Je n’ai pas l’impression d’avoir vendu notre âme, ce concours nous a été proposé par le ministère. Dans notre établissement, en zone urbaine sensible, nous cherchons à ouvrir les esprits. Cette action y participe. La finale sera l’occasion d’aller à Paris. Une première pour 95% des élèves. »

De la communication bon marché sur le dos des collégiens

Il existe pourtant dans les textes un principe de neutralité philosophique et politique de l’école républicaine. N’a-t-il pas été enfreint avec ce concours ? Contacté à plusieurs reprises, le ministère de l’Éducation nationale n’a pas souhaité répondre à nos questions. Un seul storyboard sera déclaré vainqueur le 21 février, lors du Salon de l’agriculture à Paris. Les lauréats et leurs professeurs se verront offrir un voyage d’une semaine au Portugal.

Le scénario gagnant sera « transformé en court métrage cinématographique » et « aura vocation à servir de support aux actions de communication et promotion » de la FNSEA, précise le règlement. « Les actions mises en place sont la propriété exclusive de la FNSEA, qui les exploitera librement sans qu’aucune rémunération ne soit due », peut-on lire par ailleurs. Ou comment se payer une campagne de communication bon marché sur le dos des établissements scolaires.

Raphaël Baldos

 

 

Tag(s) : #environnement
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :