Eisaku Sato, ex-gouverneur de la préfecture de Fukushima

"La catastrophe actuelle a été provoquée par l'imprudence des hommes"

 

 

 

Tokyo, correspondant - Depuis des années, des personnalités politiques ont mis en cause le manque de transparence de la politique nucléaire japonaise. C'est le cas de l'ancien gouverneur de la préfecture de Fukushima, Eisaku Sato, qui avait engagé une bataille contre Tokyo Electric Power Company (Tepco), le propriétaire et l'exploitant de la centrale de Fukushima.


 
Réélu à cinq reprises, hostile à la politique néolibérale du premier ministre Junichiro Koizumi (2001-2006), cet ancien diplomate et sénateur, âgé de 71 ans, fut, entre 1988 et 2006, à la tête de la préfecture où il réside toujours.


Depuis des années, Tepco a falsifié des documents d'inspection. Vous-même, avez-vous pu constater ces malversations ?

Eisaku Sato : Il n'y a pas que Tepco qui est en cause. En 2002, mon administration a reçu un document de l'Agence pour la sécurité nucléaire et industriel (NISA) nous informant que Tepco avait reconnu avoir falsifié le contenu de rapports d'inspection concernant des dégâts détectés sur l'enveloppe du cœur de deux réacteurs dans Fukushima Daiichi.

J'ai pensé qu'une telle attitude était inadmissible, aussi bien de la part de Tepco que de NISA, l'organisme d'Etat chargé de la surveillance du fonctionnement des réacteurs nucléaires, qui avait gardé secrète cette information alors qu'elle leur avait été révélée deux ans auparavant.

Ce scandale a entraîné la fermeture du réacteur n° 1 et l'année suivante de 16 autres réacteurs pour procéder à des inspections. Jusqu'au 11 mars, je suis resté obsédé par ce cauchemar de falsification, lourd de présages. Ce que je redoutais s'est révélé exact.

Au début des années 2000, vous avez reçu une vingtaine de lettres d'employés de sous-traitants de Tepco se plaignant du non-respect des normes de sécurité à la centrale…

Nous avons commencé à recevoir des "notifications de l'intérieur" de la part de ceux qui ne faisaient plus confiance à l'autorité de surveillance. Ces lettres, qui résonnaient comme des appels désespérés, reflétaient l'inquiétude des employés pour leur sécurité en raison des conditions de travail.

Les auteurs disaient qu'ils devaient effectuer les travaux d'inspection deux fois plus rapidement que le prescrivaient les directives. Sans donner les noms, j'ai fait part du contenu de ces lettres à l'autorité de surveillance. J'ignore les suites qui ont été données à ces notifications après que j'ai quitté mes fonctions en 2006.

La responsabilité de la catastrophe actuelle revient-elle uniquement à Tepco ?

La catastrophe à laquelle nous assistons a été provoquée par l'imprudence des hommes due à une dégradation progressive du processus de décision politique. Des voix se sont élevées depuis des années pour demander que l'organisme de surveillance soit séparé du ministère de l'économie, du commerce et de l'industrie (METI).

En d'autres termes, l'organe de surveillance est dans la mouvance de l'administration qui promeut la construction des centrales. On peut difficilement en attendre qu'elle soit très regardante. Le Japon passe pour un pays démocratique. Il l'est jusqu'à un certain point. Mais bien des décisions sont prises en fonction d'intérêts opaques et bien des domaines sont gangrenés par la corruption.

Pensez-vous que la gestion de l'énergie nucléaire doit être laissée à des entreprises privées, guidées par le principe de rentabilité ou bien par l'Etat ?

Je ne pense pas que le problème se pose en ces termes. La tragédie de Tchernobyl s'est produite dans une centrale sous contrôle de l'Etat. Au Japon, c'est une entreprise privée, mais la question de fond reste le contrôle démocratique du processus décisionnel.

Propos recueillis par Philippe Pons

Source : Le monde

Tag(s) : #environnement
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :