Fukushima : « L’océan mondial conservera la mémoire de cette catastrophe »...
Jacqueline Goy, biologiste et spécialiste des méduses, maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle et membre du conseil scientifique de l’Espace des sciences, vient de nous envoyer son analyse sur la pollution radioactive au Japon.
Depuis le 11 mars 2011, au large de la centrale de Fukushima, de l’eau fortement radioactive se déverse
chaque jour en mer. Il y aura effectivement un avant et un après Fukushima comme il y a eu un avant et un après Tchernobyl, avec cette différence énorme que le phénomène Tchernobyl a été
instantané et s’est produit loin des côtes. Ici, à Fukushima, depuis 20 jours l’eau s’écoule et il ne semble pas que le processus puisse dans l’immédiat être stoppé.
Or, il n’y a pas d’étude sur les effets d’une pollution radioactive de cette ampleur en mer et les données
disponibles font état de suivis des radioéléments devant les circuits de refroidissement des centrales, toujours préoccupants mais en général sans effet sur les organismes. Cette fois, il
s’agit d’un véritable cocktail à haute dose avec un mélange d’iode, de césium, de plutonium, d’uranium … dont la pollution à long terme dépend de la durée de vie de chaque
élément.
Les conditions hydrologiques dans ce secteur montrent une vaste ouverture sur l’océan Pacifique
septentrional avec des marées qui contribuent à brasser quotidiennement cette pollution sur une côte déjà saturée. L’eau chargée en radioéléments percole lentement à travers les sables et les
graviers du cordon littoral et contribue ainsi à emmagasiner pour longtemps ces éléments dans les sédiments côtiers.
La courantologie générale de l’océan Pacifique place le Japon dans une position géographiquement symétrique
à celle des côtes américaines atlantiques avec un courant chaud, ici le Kuroshio, qui remonte en direction des îles Aléoutiennes puis tourne pour longer ensuite les côtes américaines. Le
transport de la pollution est évident dans tout ce secteur du Pacifique septentrional, et même bien au-delà avec le tapis roulant de la grande circulation océanique. C’est aussi dans ce secteur
que se situent les plus grandes fosses océaniques et le transfert des différents éléments radioactifs peut se réaliser de bien des manières.
D’abord parce qu’à cette époque de l’année, le réchauffement de la température de surface de l’eau de mer
n’a pas commencé et les eaux ont une remarquable homothermie sur toute la colonne d’eau, ce qui contribue à favoriser les échanges entre les eaux de surface et les eaux du fond. Les polluants
ont ainsi toutes les chances d’atteindre les grands fonds.
Ensuite, par la fixation sur les organismes marins. Les premiers affectés sont les organismes qui sont
fixés et ne peuvent s’enfuir. Comme les doses sont léthales, il n’y a probablement plus signe de vie dans un premier cercle autour des écoulements. Puis la surcharge en éléments radioactifs
s’établit en zones concentriques de plus en plus diluées en direction de la haute mer.
Mais les organismes irradiés vont à leur tour propager et diffuser la radioactivité par leur propre
déplacement car la plupart d’entre eux effectue de grandes migrations, journalière entre la surface et les couches sous-jacentes ou saisonnière entre la côte et le large en fonction de leur
cycle de reproduction. Ainsi les larves et les juvéniles de crustacés ou de poissons sont souvent dans les zones littorales alors que les adultes vivent au large. Par leur métabolisme, ces
animaux vont rejeter des particules radioactives dans leurs pelotes fécales dont la sédimentation va polluer le fond. Enfin la relation proie prédateur va également contribuer à perturber toute
la chaîne alimentaire.
Cette radioécologie est encore peu étudiée, surtout dans une perspective de contamination à long terme
engendrant un dysfonctionnement du mileu marin de cette ampleur à cause de la sursaturation en éléments radioactifs. La notion de seuil léthal est sans doute différente pour chaque espèce, non
seulement elle est liée à la durée de vie du radioélément mais aussi à la durée de vie de l’espèce considérée. Certains groupes ont montré une affinité plus grande pour un type d’éléments,
ainsi les poissons accumulent le césium, les crustacés et les mollusques le plutonium, mais les moules privilégient l’uranium et le thorium et sont sélectionnées comme bon indicateur. Enfin
toutes les algues fixent les radioéléments, ce qui est un danger de plus lorsque la nappe radioactive va atteindre la zone intertropicale des coraux du Pacifique central. Si l’on ajoute les
essaims de petits crustacés si abondants dans les eaux japonaises au printemps, on peut en déduire que les grands cétacés qui s’en nourrissent ne seront pas épargnés.
En fait, il n’y a pas de barrière entre les océans et dans quelques années c’est l’océan mondial qui
conservera la mémoire de cette catastrophe.
Source : facebook.com (01.04.11) / Réseau-Cétacés