DEUX ARTICLES EDIFIANTS (LIBERATION ET LE MONDE) SUR L'EXPLOITANT DE LA CENTRALE : TEPCO
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Les incidents sur le parc nucléaire japonais, qui se sont multipliés ces dernières années, mettent en lumière les carences des exploitants. Et alimentent la méfiance actuelle de la population.
Les Japonais ont de bonnes raisons de ne pas avoir confiance en leurs autorités nucléaires. Et plus particulièrement dans les communiqués de l’électricien Tepco (Tokyo Electric Power), l’exploitant des centrales de Fukushima, dont au moins trois réacteurs sont entrés en fusion. Il se trouve que le 16 juillet 2007, un puissant séisme endommageait l’énorme centrale nucléaire de Kashiwazaki-Kariwa, sur la côte Ouest du Japon. Et déjà, Tepco, gérant de la centrale, était montré du doigt. La compagnie d’électricité venait en effet de reconnaître que le tremblement de terre avait provoqué la chute de fûts abritant des déchets radioactifs empilés les uns sur les autres… Sauf que l’agence de presse Kyodo, citant des experts de l’Agence de la sûreté industrielle et nucléaire du gouvernement, précisait de son côté que ces fûts avaient été trouvés «ouverts». Détail très gênant…
Résultat : Tepco était aussitôt accusée d’opacité. D’autant plus que quelques mois plus tôt, en mars, les Japonais avaient appris, ahuris, que le géant électrique avait caché au pays une série d’incidents nucléaires survenus dans ses centrales depuis la fin des années 80. L’un d’eux était arrivé en 1993 dans l’une des deux centrales de… Fukushima.
Principe. Il y a trois ans, déjà, après le séisme qui venait de secouer la centrale de Kashiwazaki, nombre d’experts, à coups de rapports remis aux autorités, avaient réclamé de «lourds investissements» et un «changement de cap», afin de renforcer les normes parasismiques d’une quinzaine de centrales nucléaires japonaises. Ces dernières étaient-elles assez solides ? Pouvaient-elles résister à des séismes majeurs ? Les réacteurs nippons sont tous équipés de systèmes limitant au maximum les moindres vibrations et de capteurs sismiques reliés à des dispositifs d’alerte. Mais était-ce suffisant ? Le ministre de l’Economie et de l’Industrie d’alors, Akira Amari, assurait que l’Etat japonais allait «accélérer les travaux pour vérifier si les réacteurs pouvaient résister à divers scénarios de tremblements de terre…» Reconnaissant ainsi des carences.
Le 9 août 2004, un accident nucléaire au sein de la centrale de Mihama (à 320 kilomètres à l’ouest de Tokyo), propriété du géant Kansai Electric Power, faisait 5 morts et 7 blessés dans la préfecture de Fukui. En cause : une fuite de vapeur au niveau des turbines d’un réacteur à eau pressurisée. Déjà, des experts avaient mis en cause la manière dont l’accident avait été présenté à l’opinion publique. Les responsables avaient préféré minimiser. «La fuite de vapeur a été présentée comme non radioactive et donc inoffensive pour l’homme. Mais à 280 degrés, cela tue aussi, et quatre hommes sont morts», témoignait alors un scientifique. Avant l’accident de Mihama, il se trouve aussi que les trois derniers incidents nucléaires reportés dans le monde avaient eu lieu au Japon.
En avril 2003, Tepco, encore lui, avait dû stopper net 17 réacteurs nucléaires «pour des raisons de sécurité» : des fissures et des fuites, apprenait-on, avaient été cachées aux autorités de tutelle. C’est un fait : puissance économique, technologique et scientifique, le Japon figure curieusement en tête de liste des pays victimes d’accidents nucléaires à répétition. Dans un pays, paradoxalement, où le rejet de l’atome reste, pour beaucoup, une question de principe, Hiroshima et Nagasaki oblige…
Omettre. Pourquoi donc le Japon semble-t-il ainsi abonné à des défaillances majeures de son secteur nucléaire civil ? Au-delà de la crise de ces derniers jours autour des sept réacteurs à problèmes des centrales de Fukushima, experts et industriels s’interrogent. L’industrie nucléaire nippone (qui alimente plus d’un tiers des besoins en énergie du pays) est un sujet ultrasensible entre Japonais.
Beaucoup ressentent, quasi intrinsèquement, une méfiance à l’égard des réacteurs nucléaires du pays depuis le très grave accident survenu dans la centrale de Tokai, le 30 septembre 1999. Une centrale très proche de la mégalopole tokyoïte (près de cent kilomètres)… A l’époque, déjà, les autorités avaient préféré, pour rassurer l’opinion, omettre d’annoncer certains détails. Or, il s’était vite avéré qu’il s’agissait d’un des plus sérieux accidents nucléaires depuis Tchernobyl : 2 techniciens tués (ils avaient reçu une dose de radiations 17 000 fois supérieure aux normes) et 600 personnes exposées à des doses relativement élevées, et 320 000 personnes évacuées. Il y a dix ans, le Japon rêvait d’opérer 80 réacteurs. Il en gère aujourd’hui 55. Moins ceux perdus depuis vendredi…
Source : Libération
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Kyoto, correspondance - La catastrophe nucléaire qui menace le Japon s'accompagne d'une vive mise en cause de la Compagnie d'électricité de Tokyo, Tepco, quatrième producteur mondial d'électricité. Les quatre centrales touchées dans le nord-est de l'Archipel sont gérées par cette entreprise créée en 1951 après la privatisation du secteur. Tepco fournit du courant à neuf préfectures, dont celle de Tokyo, et dispose de bureaux à New York et Londres. A l'exercice fiscal 2009 clos fin mars 2010, la société a vendu 290 187 gigawatts (GW) à 28,6 millions de clients et dégagé un chiffre d'affaires de 40 milliards d'euros.
La puissante compagnie assure un service jugé de qualité, meilleur que celui des neuf autres entreprises d'electricité japonaises. Ce service est reconnu comme un des plus efficaces, avec notamment un taux de coupures de courant parmi les plus faibles au monde. Cette fiabilité en fait une société attractive pour les ingénieurs. Les meilleurs veulent y travailler.
Cette belle mécanique a un gros défaut : elle a tendance à s'enrayer lors d'une crise grave. La manière d'appréhender l'enchaînement des incidents à la centrale no1 de Fukushima (au nord de Tokyo) en est le triste exemple. Elle aurait refusé l'aide proposée par les Etats-Unis et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) dès les premiers incidents samedi 12 mars. Puis les retards pris dans l'annonce des incidents à répétition, les communiqués difficiles à comprendre et les multiples questions restées sans réponse ont fini par faire réagir le gouvernement nippon.
Mardi 15 mars au matin, le premier ministre japonais, Naoto Kan, s'est rendu au siège de l'entreprise à Tokyo. Là, il aurait eu, selon la presse, une discussion particulièrement houleuse avec les dirigeants de la compagnie. "Alors que les explosions étaient filmées par toutes les télévisions, il vous a fallu plus d'une heure pour en informer le gouvernement", leur aurait-il reproché.
"SOYEZ PRÊTS À TOUT"
Naoto Kan a également vivement critiqué l'attitude du groupe qui, selon des rumeurs insistantes, aurait retiré une grande partie de son personnel du site, laissant la gestion des problèmes à des employés de filiales. "Vous êtes les seuls face à ces problèmes, leur a rappelé le chef du gouvernement. Quitter la centrale est impossible. Soyez prêts à tout. Si vous vous retirez maintenant, ce sera la fin de Tepco."
La colère de M. Kan suit les excuses publiques présentées lundi par le PDG de Tepco, Masataka Shimizu. Une intervention vite critiquée: il avait choisi de s'exprimer 29 heures après les premiers problèmes, alors que durant tout le week-end les responsables de l'entreprise répondaient aux questions par un invariable : "Nous continuons d'enquêter sur le problème."
Tepco n'en est pas à son premier hiatus de communication. Le groupe en est même coutumier. Des révélations de fausses déclarations dans des rapports d'inspections de routine menées par le gouvernement – plus de 200 en vingt ans – avaient contraint la direction à démissionner en 2002. En 2007, la NISA, l'Agence de sûreté industrielle et nucléaire, avait fait savoir qu'entre 1978 et 2002, 97 incidents, dont 19 jugés "critiques", avaient été dissimulés aux autorités. Ces affaires concernaient les dix compagnies d'électricité japonaise, mais Tepco était la plus critiquée.
Ces différents rappels à l'ordre n'ont pas véritablement changé sa manière de fonctionner. En juillet 2007, Tepco a de nouveau été critiqué pour avoir tardé à donner des informations précises sur un incendie et une fuite radioactive à la centrale de Kashiwazaki-Kariwa, la plus grande du monde, à l'arrêt après un séisme de magnitude 6,8. Le manque de transparence de sa communication ayant suscité des inquiétudes dans la population, elle avait dû attendre vingt et un mois pour relancer la centrale.
Cette fois, son attitude jugée inacceptable par beaucoup de Japonais pourrait lui coûter le peu de crédit qui lui reste.
Philippe Mesmer
Source : Le Monde