Les politiques de tous bords rejoignent les écologistes dans leur opposition à ces projets d’exploitation d’hydrocarbures jugés dangereux. L’Assemblée nationale débat aujourd’hui de ce dossier brûlant.
Les politiques s’emparent de la polémique sur les hydrocarbures non conventionnels, ces gaz et pétrole piégés dans les roches schisteuses. L’Assemblée nationale prévoit d’en débattre cet après-midi, à l’initiative de Martine Billard, députée de Paris et coprésidente du Parti de gauche. «On n’a pas le temps d’attendre que les deux études demandées par le gouvernement rendent leurs conclusions cet été, dit-elle. Nous voulons des réponses beaucoup plus précises.» Rien n’y fait.
Le gouvernement n’a pas, pour l’heure, réussi à calmer le feu qu’il a allumé. Et ce, en dépit de l’annonce, début février, de la suspension des travaux d’exploration de gaz de schiste dans le sud de la France, dans l’attente des conclusions d’une mission d’évaluation sur les enjeux environnementaux prévue pour le 31 mai. L’étincelle qui a tout déclenché ? L’octroi, en mars 2010, de permis de prospection dans trois zones des Cévennes et du Larzac (sur les départements de l’Hérault, de l’Aveyron, de la Lozère, de l’Ardèche et de la Drôme). Une petite bombe, lancée en catimini en plein débat sur le Grenelle de l’environnement par le ministre de l’Ecologie de l’époque, Jean-Louis Borloo, très discret aujourd’hui sur le sujet.
Fracturation. Sur le terrain, la mobilisation enfle. Objectif : ne pas répéter ce qui se passe aux Etats-Unis, où l’exploitation massive des gaz de schiste depuis une poignée d’années provoque d’énormes dégâts, polluant les nappes phréatiques. «N’inschistez pas !» peut-on lire sur les pancartes, dans le Sud comme dans le bassin parisien, où les forages d’huile (ou pétrole) de schiste pourraient démarrer très bientôt. La firme américaine Hess, alliée à la société Toreador, dont le PDG est conseillé par Julien Balkan (demi-frère de Patrick, proche de Nicolas Sarkozy), trépigne, qui prévoyait un premier forage conventionnel en mars à Doué (Seine-et-Marne). Préalable, si les recherches s’avèrent concluantes, à ces fameux forages par fracturation hydraulique, tant décriés par les environnementalistes.
Les revendications citoyennes (lire ci-contre) sont largement relayées par les élus de tous bords. Y compris de l’UMP. A l’initiative d’un des leurs (aux côtés d’un député PS), 80 parlementaires avaient cosigné début mars une motion contre l’exploitation du gaz de schiste. Nouvelle salve, mercredi : le sénateur-maire UMP de Toulon, Hubert Falco, a dit sa «ferme opposition» à l’extraction des gaz de schiste dans le Var. «Au nom du principe de précaution», notion qui laisse pourtant souvent sceptique dans la majorité. Le même jour, la ministre de l’Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, tentait une nouvelle fois de calmer le jeu - en promettant que toute exploration du sous-sol serait désormais précédée d’une «consultation du public». La fronde a pris une nouvelle ampleur hier avec la sortie du patron des députés UMP, Christian Jacob, qui parle d’une «aventure» risquée pour l’écologie. «Je souhaite clairement que le moratoire soit prolongé ad vitam aeternam», assure-t-il. Le pourtant très libéral Jacob a été rejoint par le… FN, qui a appelé hier à l’abandon «pur et simple de tout projet de forage de gaz de schiste».
Ce front bigarré a de quoi donner des sueurs froides aux quelques dizaines de sociétés, souvent américaines, qui ont déposé des demandes d’exploration. Si Total et GDF-Suez, qui disposent de permis de prospection dans le Sud, font plutôt le dos rond, l’Amicale des foreurs et des métiers du pétrole tente, elle, de multiplier les contre-arguments. A la veille du débat parlementaire, cette association «à vocation sociale», 1 800 membres, dont 110 sociétés, parmi lesquelles Total et GDF, a adressé aux députés deux documents. Une lettre «sollicitant leur intervention au cours des débats pour éviter le lynchage des pétroles et gaz de schiste face aux erreurs et contrevérités diffusées par les médias», et une «analyse critique» de Gasland, ce documentaire-choc américain présenté dans toutes les réunions anti-gaz et pétrole de schiste qui, selon les foreurs, «est en train de porter un tort considérable à une profession qui ne le mérite nullement». Selon eux, la controverse actuelle a deux tares. Elle ignorerait les avantages des hydrocarbures non conventionnels (emplois, indépendance énergétique…). Elle exagérerait les risques environnementaux : la technique de fracturation hydraulique (à grand renfort de produits chimiques) serait «mise en œuvre à des profondeurs trop importantes pour avoir un quelconque impact sur les nappes aquifères d’eau douce».
«Coquins». José Bové s’agace : «Ce sont des coquins, confie-t-il. L’argument de l’emploi n’est pas sérieux. L’exploitation risque de détruire des emplois dans le tourisme ou l’agriculture. Quant aux dégâts sur l’environnement, même la ville de New York a demandé un moratoire.»«Il n’existe pas de manière propre d’extraire ces hydrocarbures», ajoute Anne Valette, de Greenpeace. De toute façon, pour elle, le débat est mal posé : «Si on veut maîtriser les émissions de gaz à effet de serre de manière à ne pas dépasser les 2 °C de hausse des températures du globe d’ici 2100, on ne peut de toute façon pas se permettre de brûler jusqu’à la dernière goutte d’énergie fossile.»