Exploitation des gaz de schistes en Ardèche méridionale. Aspects économiques


Trois questions et une exigence

Texte issu des propos de Michel Coste lors de la conférence de presse de EELV le 28 décembre 2010 à Aubenas.


Contexte :

Le premier mars 2010 le ministre a autorisé la compagnie multinationale américaine Schuepbach à rechercher du gaz de schistes dans le sud de l’Ardèche, grâce au « permis de Villeneuve de Berg ». Permis Exclusif de Recherche qui pourrait être suivi d’un Permis Exclusif d’Exploitation.

Le gaz de schistes contient du méthane utilisé pour créer de l’électricité ou fabriquer des engrais chimiques, après séparation du radon, de l’hydrogène sulfurée, etc.

Situé de façon diffuse, en grande profondeur, il est exploité grâce à la « fracturation hydraulique », technique d’exploitation complexe et couteuse qui soulève de graves problèmes de pollution et de santé publique, décrits par la presse internationale.

Cette réflexion porte sur les aspects économiques concernant l’Ardèche.

                                                                                                                                                                                             

Un modèle économique aléatoire

Vu de Paris, l’Ardèche est-elle considérée comme un désert ?

Les gaz de schistes sont actuellement exploités avec succès et  profits notamment par  Halliburton aux Etats Unis et au Canada dans des zones immenses et quasi-désertiques.

Cette société à été dirigée par le vice président Dick Cheney.

L’appât du gain, doublé de l’objectif d’indépendance énergétique dans un contexte de guerre “de civilisation”, a conduit le président Georges Bush à suspendre toute règle de sûreté et toute légitimité des organismes de contrôle sur ces activités. Les rares habitants subissent dans un vide d’information quasi-total, de multiples pollutions se traduisant par du gaz sortant des robinets d’eau potable, des puits remplis d’hydrocarbures, des humains et des troupeaux malades, des décès suspects…

Le silence des victimes les plus véhémentes est rapidement « acheté » par des indemnisations sous  forme de rentes liées à une obligation de confidentialité. Des arrêts d’exploitation ont cependant été prononcés par les tribunaux notamment à l’initiative de la ville de New York dont l’approvisionnement en eau était menacé.

Total et la multinationale texane Schuepbach Energy rêvent de trouver le même jackpot dans le Sud Est de la France et notamment en Ardèche méridionale. Le « permis de Villeneuve de Berg »  pour sonder à titre exploratoire tout le sud Ardèche, aux lisières de la réserve naturelle des gorges de l’Ardèche et du Parc naturel régional des Monts d’Ardèche a été accordé à la firme américaine.

Mais il y a quatre différences majeures :

- L’Ardèche n’est pas un désert.

- Les réglementations existent en France. Cependant le fait que ces permis aient pu être accordés dans l’ignorance des élus et des populations la plus totale, montre qu’elles sont insuffisantes.

- Les populations sont sensibilisées à l’écologie, structurées et réactives.

- Le sous sol est de type calcaire soit un vrai gruyère. Etant particulièrement poreux, il multiplie la difficulté technique... et réduit la probabilité de trouver du gaz en quantité.

Cela implique des procès techniques complexes et des précautions multiples augmentant d’autant les coûts de la nouvelle “conquête de l’Ouest rhodanien”.

Or, ce projet reviendrait à “Racler les fonds de tiroir des énergies fossiles”.

Dans le meilleur des cas, les poches de gaz se révéleront nombreuses, mais de volume limité, d’extraction complexe et donc de coût d’exploitation en permanence élevé.

C’est à dire que nous sommes dans un modèle économique à rentabilité marginale précaire permanente. Contrairement aux modèles classiques d’extraction des hydrocarbures ou  les investissements lourds initiaux sont suivis par de fortes marges et ou la question de la rentabilité marginale n’intervient que dans la dernière phase d’exploitation.


Indispensable pour espérer une rentabilité de ce type de projet, le prix de marché va certes tendanciellement s’élever durablement de façon importante. Cependant, cette hausse va s’accompagner de fluctuations qui peuvent rendre le chantier déficitaire par intermittence voire sur des périodes de plusieurs années consécutives.

En conséquence, afin de permettre la rentabilité de l’aventure, les règles de sûreté des personnels et de l’environnement se trouvent en situation de variable d’ajustement pendant  toute la durée des extractions. Le bras de fer sera donc permanent, avec une multinationale, de surcroît étrangère, dont on connaît la puissance et l’absence de scrupule lorsqu’elle est loin de sa base.

Pour elle, le silence des élus ou des opposants les plus actifs, voire des juges,  n’est qu’une question de prix ou de méthode.

L’ex-juge Eva Joly, peut témoigner des pressions, manipulations, attentats etc. qu’elle a subis pour avoir mis son nez dans les affaires d’ELF.

Nous sommes légitimement en droit de nous interroger sur les raisons du silence qui a prévalu de mars à décembre 2010 sur un sujet aussi sensible.

A l’évidence ce modèle économique contient en lui même le ferment de la catastrophe.                                                                             

 

Un coup de poignard à la stratégie de développement                  

Une stratégie de développement est une œuvre de longue haleine qui demande cohérence globale et persévérance dans la durée.

L’Ardèche a eu du mal à retrouver une dynamique économique après les chocs subis par son modèle agro-industriel, au XIXème siècle où elle était le quatrième département industriel de France et au début du XXème siècle. La fermeture de ses moulinages et de ses usines textiles sous les tirs croisés des fibres synthétiques et de la concurrence internationale a été concomitante de la fermeture de ses mines, nombreuses mais peu rentables. Le gel des oliviers et les maladies des vignes et des châtaigniers ont portés les coups fatals à des productions agricoles à bout de course.

Le positionnement sur la qualité environnementale à ouvert des pistes d’espérance, autant en matière agricole que touristique. Cela  passe par l’amélioration de la production et les labellisations, gages de qualité et de traçabilité. Ce furent les AOC, pour les châtaignes, les fromages, les vignobles, les pêches... au prix de longues procédures et de ré-encépage radical des vignobles. C’est aussi la décision collective de refuser les OGM sur le territoire de l’Ardèche. C’est la création d’un Parc Régional des Monts d’Ardèche , etc.

Les quelques  industries en croissance en Ardèche se situent dans le domaine des produits naturels ou traditionnels (Eaux de Vals, Melvita, Ardéval, Croustisud...) et bénéficient aussi de ce positionnement dans l’excellence écologique.

Le tourisme, essentiel au sud du département  a tout à gagner à ce choix de la qualité. Cette orientation stratégique s’est vue opportunément couronnée par la découverte de la grotte Chauvet, qui doit se traduire dans les deux ans par l’ouverture de l’Espace de Restitution (ERGC) et le classement de la zone au patrimoine de l’humanité par l’UNESCO.

L’ensemble de ces choix a été réalisé de façon démocratique et raisonné par les ardéchois eux-mêmes. Ils s’inscrivent notamment dans la Charte de développement du Pays d’Ardèche méridionale adoptée par les élus et la population dans le cadre d’une consultation participative.

En matière de stratégie, l’adage populaire qui veut que l’on ne puisse courir deux lièvres à la fois trouve toute sa pertinence.

Quand bien même il jouirait d’une forte rentabilité, ce qui reste à démontrer, un développement industriel autour du gaz, constituerait un choix aux antipodes de l’orientation que se sont donnés les ardéchois.

La simple existence de forage suffit à casser la dynamique en cours. L’autorisation de prospecter concoctée dans un obscur bureau de technocrates parisiens est dramatique.

L’éventuel doute sur le fait qu’il puisse y avoir un jour, du méthane sortant de la douche d’une chambre d’hôte, un ballet de 35 tonnes aux abords d’un camping, une odeur d’œuf pourri flottant dans les gorges de l’Ardèche, des traces d’hydrocarbures dans le merlot ou dans l’eau minérale de Vals les Bains ou des poissons sur le ventre dans l’Ibie ou la Bezorgues donne un coup d’arrêt fatal aux investissements privés. Il plombe les chances d’obtention du classement UNESCO, du site du Pont d’Arc et de la grotte CHAUVET. Les critères de l’institution internationale prennent  en considération la qualité environnementale d’un périmètre dépassant largement la zone à classer.

L’autorisation donnée en mars 2010,  par le ministre de l’environnement, avec l’accord tacite de quelques grands élus ardéchois, est non seulement une épée de Damoclès qui pèse sur la future image “Culture- Nature” de l’Ardèche, mais c’est d’ores et déjà un coup de poignard dans le dos des ardéchois, des citoyens, des agriculteurs, des entrepreneurs….qui y travaillent de longue date.

 

Une gabegie budgétaire

Quelle est la cohérence de l’action publique lorsque le bras gauche de l’Etat ignore ce que fait le bras droit ?

L’Etat participe au financement depuis des années, des différentes mutations évoquées plus  haut, à travers les aides à l’emploi, les aides à l’installation, les aides à l’arrachage, aux études, aux formations, aux infrastructures etc. Pour les dix dernières années, c’est plus d’une centaine de millions d’euros de fonds publics qui ont été transférés vers l’Ardèche.

L’Europe, la région Rhône alpes ont largement investi à travers le FEDER, les contrats de développement régionaux etc.

L’Etat s’est lui même engagé auprès des collectivités locales pour financer la valorisation du site de Chauvet. L’Espace de Restitution de la Grotte Chauvet représente à lui seul un investissement de 45 millions d’euros dont 15 de l’Etat. Il convient d’y ajouter les programmes d’accompagnement qui prennent des formes multiples.

La décision du ministre de l’environnement rend tous ces investissements publics largement stériles.

C’est de plus, la porte ouverte à de nouvelles dépenses  publiques massives.

L’exploitation demanderait des infrastructures routières susceptibles de supporter le passage de kyrielles de camions d’eau, utilisée en injection dans les puits, de produits chimiques de fracturation, de béton ou de ses composants pour les conduits et enfin de gaz. Les travaux à réaliser par la puissance publique sont aussi considérables et coûteux en matière de gestion de l’eau, pour les besoins des chantiers et surtout pour les besoins de la population. Pour chaque fracturation, 10 millions de litres d’eau sont utilisés, soit l’équivalent de plus de 3 piscines olympiques

 Les nappes phréatiques seront inévitablement souillées ou au minimum neutralisées dans les zones sensibles, or les ressources en eau sont limitées et fragiles en Ardèche.

Certes la  mise en exploitation,  pourrait créer des milliers d’emplois. Cependant,  les emplois qualifiés concerneraient des spécialistes étrangers et seuls les emplois précaires et non qualifiés, dans le terrassement, le gardiennage, le transport,....seraient proposés aux ardéchois.

Cela suffira-t-il à compenser le gâchis des investissements antérieurs et le poids de la charge des infrastructures qui reviendrait à l’Etat et aux collectivités locales ?

Et que se passera-t-il,  si après avoir lâché la proie pour l’ombre, nos dirigeants si visionnaires, voient  le maître d’œuvre, confronté à une rentabilité décevante, tirer sa révérence avant la fin prévue de l’exploitation ?

La puissance publique récupérera la charge de la remise en état du site. L’Ardèche compte déjà quelques sites industriels désaffectés de façon irresponsable par l’exploitant, attendant depuis des années que l’impôt paie la dépollution.

                                                      

Une exigence de responsabilité

En conclusion nous avons un projet qui présente des risques environnementaux majeurs.

Un projet à la rentabilité en permanence aléatoire.

Un projet qui remet fondamentalement en cause toutes les stratégies de développement décidées démocratiquement par l’Ardèche.

Un projet qui rend caducs les millions d’euros d’investissement de fonds publics engagés pour Chauvet et un positionnement touristique “Culture et nature”.

Un projet porté par une multinationale étrangère, disposant de moyens énormes doublés d’une absence de scrupule avérée.

Un projet qui bien sûr, va briser les cœurs fidèles de tous les ardéchois d’origine ou d’adoption et cela ça n’a pas de prix.

 

L’Ardèche doit établir un rapport de force favorable, c’est à dire  non seulement puissant, grâce à une mobilisation citoyenne mais aussi durable, structurée et s’appuyant sur des moyens financiers d’investigation et d’information.

Le département de l’Ardèche ne peut hélas, s’opposer juridiquement au permis accordé.

Cependant, il peut au minimum, exiger que soit mis en place dès la phase d’exploration, l’équivalent du CLIS, Comité Local d’information et de Suivi, tel qu’institué par la loi L542-13 sur l’environnement et le décret du 7 mai 2007.

Cette structure regroupe institutions, collectivités territoriales, syndicats, associations, experts et exploitant. Elle est établie dans la durée et dotée de moyens.

Elle peut permettre d’assurer la sûreté des forages de prospection déjà engagés, s’assurer que les expérimentations ne reprennent pas discrètement dans deux ou trois ans et constituer un moyen de dissuasion au passage à la phase d’exploitation.  En proposant un lieu d’expression, elle peut éviter aussi des "actes de résistance" individuels, qui pourraient mettre en danger leurs auteurs ou les sites.

Le Conseil Général d'Ardèche, resté sans voix depuis Mars 2010, se doit d’exprimer cette demande minimum indispensable.

 

Source : MEDIAPART

 

 

Tag(s) : #environnement
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