Grèce

Crise de la dette : du Sud au Nord

 


8 décembre par Panos Angelopoulos

 

 

 

 


Il était une fois le premier monde, le « Nord », le deuxième monde, issu du bloc soviétique, et le tiers-monde, regroupant les peuples du Sud. Le deuxième monde s’est effondré avec la chute du mur de Berlin. Dix ans plus tôt, le tiers-monde avait été soumis au diktat du FMI et de la Banque mondiale. Avec la crise financière de 2008, c’est le premier monde qui a basculé. Pourtant, malgré ce changement, ni le rapport dominants–dominés ni les mécanismes de domination ne sont substantiellement modifiés. Actuellement le mécanisme de la dette est au premier plan et donne naissance à des politiques de choc combinant privatisations massives, baisse drastique du coût de travail et dérégulation des relations sociales.


Jamais au cours des 70 dernières années, dans les pays européens, nous n’avons vécu une offensive d’une telle ampleur qu’aujourd’hui. Partout en Europe, on utilise le prétexte de la dette pour appliquer des politiques d’austérité budgétaire. En Grèce, nous voyons clairement les résultats dans la version la plus brutale. Mais la Grèce n’est que le début d’une offensive qui affecte déjà les peuples du Portugal, d’Irlande, d’Espagne et d’autres pays européens.

Un des avatars de la crise du secteur financier qui a débuté en 2007 aux États-Unis et s’est étendue comme une traînée de poudre à l’Europe, c’est l’enthousiasme avec laquelle les banques de l’Ouest européen (surtout les banques allemandes et françaises, mais aussi les banques belges, néerlandaises, britanniques, luxembourgeoises, irlandaises…) ont utilisé les fonds prêtés ou donnés massivement par la Réserve fédérale et la BCE pour augmenter, entre 2007 et 2009, leurs prêts dans plusieurs pays de la zone euro (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne) où ils réalisaient de juteux profits en raison des taux d’intérêt qui y étaient plus élevés. À titre d’exemple : entre juin 2007 (début de la crise des subprimes) et septembre 2008 (faillite de Lehman Brothers), les prêts des banques privées d’Europe occidentale à la Grèce ont augmenté de 33%, passant de 120 milliards à 160 milliards d’euros. Les banquiers d’Europe occidentale ont joué des coudes pour prêter de l’argent dans la périphérie de l’Union européenne à qui voulait bien s’endetter. Non content d’avoir pris des risques extravagants outre-Atlantique dans le marché des subprimes avec l’argent des épargnants qui, à tort, leur faisaient confiance, ils ont répété la même opération en Grèce, au Portugal, en Espagne… En effet, l’appartenance à la zone euro de certains pays de la périphérie a convaincu les banquiers des pays de l’Ouest européen que les gouvernements, la BCE et la Commission européenne leur viendraient en aide en cas de problème. Il est plus qu’évident qu’ils ne se sont pas trompés !

Lorsque de fortes turbulences ont secoué la zone euro à partir du printemps 2010, la BCE prêtait au taux avantageux de 1% aux banques privées, qui à leur tour exigeaient de pays comme la Grèce une rémunération bien supérieure : entre 4 et 5% pour des prêts d’une durée de trois mois, environ 12% pour les titres à 10 ans. Les banques et les autres investisseurs institutionnels ont justifié de telles exigences par le « risque de défaut » qui pesait sur les pays dits « à risque ». Une menace si forte que les taux ont considérablement augmenté : en mai 2011, les taux grecs à dix ans dépassaient 16,5%, ce qui a obligé le pays à n’emprunter qu’à trois ou à six mois, ou à s’en remettre au FMI et aux autres gouvernements européens. La BCE doit désormais garantir les créances détenues par les banques privées en leur rachetant les titres des États… auxquels en principe elle s’est interdite de prêter directement.

En 2009, la dette publique grecque représentait 125% du PIB, trois ans après, le traitement préconisé par la Troïka a aggravé l’état du pays, puisque sa dette publique est passée de 175% du PIB et, selon les estimations, elle grimpera à 189% en 2013.
Alors que faire, entre des Grecs qui sont déjà en faillite -qui ne dit pas son nom- et de l’autre côté des créanciers qui ont compris qu’ils ne reverront sans doute jamais la couleur de leur argent !

L’équation est difficile, mais une chose est certaine : avant, c’étaient les banques européennes qui détenaient la dette grecque, aujourd’hui, cette même dette est détenue à 70% par la BCE et par les États d’Europe – et donc, par les contribuables ! Tôt ou tard, les dirigeants européens vont donc devoir annoncer à leur population que la Grèce ne remboursera jamais les presque 200 milliards d’euros qu’elle doit à ses voisins.
Officiellement, personne ne veut encore l’avouer, mais, tôt ou tard, il faudra rayer d’un trait de plume la dette grecque. Plus on tarde et plus l’ardoise sera lourde. Mais aucun dirigeant en Europe n’a envie de donner ce genre d’explication à ses contribuables. En attendant un orage qui finira par arriver, on gagne du temps. Comme on le fait déjà depuis 3 ans avec un résultat désastreux.

Les Mémorandums

Le délabrement en cours de la société grecque traduit bien la crise d’ensemble du système capitalisme. Mais il est aussi le résultat d’un cumul de plans successifs d’austérité (Mémorandums) imposés en mai 2010, février et octobre 2012 par la Troïka, de concert avec les créanciers privés (banques, fonds d’investissement, etc.) qui avaient fait de la Grèce un hôte ensoleillé pour leur business durant les années 1990 et 2000. Notamment pour leurs ventes d’équipement militaire (avions de chasse, sous-marins, chars de combat, etc.), marché sur lequel la Grèce fut un excellent client.

Le contenu des Mémorandums est présenté comme un ensemble de mesures strictement techniques visant à « rééquilibrer les comptes publics », « atteindre un ratio raisonnable dette/PIB », « accroître la compétitivité de l’économie grecque », « fluidifier le marché du travail », « introduire une efficacité des instances administratives et gouvernementales, afin d’imposer une bonne gouvernance », autrement dit une gestion similaire à celle d’une entreprise « lancée dans la compétition mondiale ». La société grecque et son histoire, les classes sociales qui les structurent n’existent pas. Toutes ses composantes sociales sont strictement réifiées ; il ne s’agit que de « choses à régler » avec efficience. Elles deviennent donc l’objet d’une « action rationnelle » d’experts qui ne peut pas être mise en cause. Celle-ci doit y compris échapper au fonctionnement d’une démocratie formelle bourgeoise lorsque ses caractéristiques font obstacle aux « raisons supérieures » de « l’ordre économique » de la zone euro. Dans ce sens, les termes Mémorandum, état d’exception et état d’urgence dialoguent entre eux.

Du côté de la bourgeoisie, un débat en quelque sorte parallèle sur l’affirmation d’un nouveau leadership –qui peut conjuguer technicité et autoritarisme– est à l’ordre du jour. C’est là une caractéristique du type de crise d’ensemble qui touche aujourd’hui certaines formations sociales au sein de l’Union européenne.

Dettes illégitimes et odieuses

Disons-le clairement : en Grèce, comme dans les autres pays qui ont passé des accords avec la Troïka, les nouvelles dettes sont non seulement illégitimes ; elles sont également odieuses, et ce pour trois raisons :
1.les prêts sont assortis de conditions qui violent les droits économiques et sociaux d’une grande partie de la population ;
2. les prêteurs font du chantage à l’égard de ces pays (il n’y a pas de véritable autonomie de la volonté du côté de l’emprunteur) ;
3. les prêteurs s’enrichissent abusivement en prélevant des taux d’intérêt prohibitifs. Pour des pays comme la Grèce, le Portugal ou des pays d’Europe de l’Est, c’est-à-dire des pays qui sont soumis au chantage des spéculateurs et de la Troïka, il convient de dénoncer et annuler les Mémorandums et recourir à un moratoire unilatéral du remboursement de la dette publique. C’est un moyen incontournable pour créer un rapport de force en notre faveur.


Dans le cas de la Grèce, et pour fonder juridiquement une annulation unilatérale de dette extérieure, il est aussi possible de s’appuyer sur un argument de droit international : l’état de nécessité. Celui-ci se caractérise par une situation de danger pour l’existence de l’État, pour sa survie politique ou économique, comme une instabilité sociale grave ou l’impossibilité de satisfaire les besoins de la population (santé, éducation, etc.). Il ne s’agit pas d’un empêchement absolu de remplir ses obligations internationales, mais le fait de les remplir impliquerait pour la population des sacrifices qui vont au-delà de ce qui est raisonnable. L’état de nécessité peut justifier une répudiation de la dette, car il exige alors d’établir une priorité entre les différentes obligations de l’État.

Il y convient également de réaliser, sous contrôle citoyen, un audit de la dette publique. Son objectif est l’annulation/répudiation de la partie illégitime ou odieuse de la dette publique et la plus forte réduction du reste de la dette. La réduction radicale de la dette publique est une condition nécessaire mais pas suffisante pour sortir de la crise. Il faut la compléter par toute une série de mesures de grande ampleur dans différents domaines (impôts sur le grand capital et patrimoine, rapatriement des capitaux placés dans d’autres pays, transfert du secteur de la finance dans le domaine public, socialisation des secteurs clés de l’économie, garantir l’emploi, les salaires, le quotidien, etc.).

Court bilan de la crise en Grèce sur le plan économique, social et politique :
Crise économique
PIB

ELSTAT, l’agence de statistique de la Grèce, vient de publier ses dernières données : l’économie continue de s’effondrer, et ce sur une pente désormais rapide. Depuis 2009, en valeur constante, le PIB a passé de 211 milliards d’euros à 171 milliards, soit une chute cumulée de 19%. En termes de chiffres, c’est pire que la faillite de l’Argentine en 2001 et à peu près l’équivalent de la dépression économique aux États-Unis et en Allemagne dans les années ’30.

La rapidité de cet effondrement est due à plusieurs facteurs. Il y a en premier lieu les politiques d’austérité. En second lieu, la contraction du crédit et le développement de l’économie de troc qui en découle aboutissent à une accélération du processus d’effondrement. Des pans entiers de l’économie grecque sont à l’arrêt non parce qu’ils n’ont pas de clients (en particulier à l’export), mais parce qu’ils ne peuvent plus financer le cycle de production. Il y a un énorme problème de liquidité. Dans le même temps, d’autres secteurs sortent de l’économie officielle du fait du développement du troc. En fait, on peut considérer qu’un tiers de la population ne survit que par le troc ou des systèmes de paiements locaux. Ce phénomène semble être en train de s’accélérer. Il devrait provoquer à relativement court terme un effondrement des ressources fiscales.
Pourtant, personne n’a pensé toucher le grand capital, les banques, les armateurs et le plus grand propriétaire foncier dans le pays, l’Église.

La consommation s’est contractée de manière très forte. Par rapport au niveau de 2005, le niveau des ventes de détail a baissé de 24%, et de 15% pour la production alimentaire. Si l’on peut espérer que cette baisse est en partie compensée par le développement des réseaux de troc pour l’alimentation et la consommation courante, il ne peut en être ainsi pour certaines consommations, comme celles des services publics (éducation, santé).

Puis, la croissance est négative et de l’ordre de -7% pour le 2012

Croissance économique de la Grèce (PIB) :

Année Prévisions de la Troïka en Septembre 2010 : Réalité :
2010 -4,00% -4,90%
2011 -2,60% -7,10%
2012 +1,10% -7,00%**

**prévision début novembre 2012

Les investissements productifs ont également chuté : en volume, ils ont passé d’un indice de 175 à 75.

Les exportations ont passé d’un indice de 140 à moins de 120.

La masse des impayés fiscaux recensés (impôts, taxes, TVA, etc.) a passé de 3,8 milliards d’euros à plus 10 milliards (tandis que certaines estimations la veulent supérieure).
Une telle dépression – dans sa durée et son ampleur – est une « première » en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.


Revenus des ménages


Le pouvoir d’achat a baissé d’un tiers.

 

 

 

Source, suite et fin

Tag(s) : #actualités
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