Bernard Dugué est un scientifique, philosophe, écrivain, enseignant en universitée, animateur d'un café philo et  chroniqueur à AGORA VOX, il vient de publier un livre intitulé "La pandémie de la peur". Voici sa dernière chronique sur le site AGORA VOX et son interview.

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Que n’a-t-on parlé et entendu à propos de ce qui paraît maintenant constituer un événement important de 2009, la pandémie grippale, vraie menace pour les uns, vaste farce pour les autres. Les uns trouvent que les Etats agissent conformément au principe de précaution, les autres pensent qu’il y a beaucoup de tintamarre et d’agitation pour une banale grippe. Quelques uns imaginent des complots menés par divers intérêts plus ou moins occultes. Mais une chose est sûre, l’opinion publique navigue en plein brouillard. Si l’on admet que cette pandémie n’est qu’une grippe saisonnière ordinaire, alors une analyse s’impose. Il se peut bien que les ressorts de « l’événement pandémie de 2009 » échappent à une rationalité strictement scientifique, relevant alors de processus sociaux et psychiques qu’il faut mettre à jour. C’est cet enjeu qui a justifié la rédaction puis l’édition du livre « H1N1, la pandémie de la peur », paru le 17 novembre 2009 aux éditions Xenia. 

Cet ouvrage est né des nombreux billets écrits pour Agoravox, que je remercie pour les avoir publiés et d’ailleurs, au vu des frilosités médiatiques régnantes, je ne vois pas quel journal aurait pu accepter cette série d’articles critiques rédigés depuis l’apparition de cette pandémie. On trouvera (chap. 2) dans cet essai sur la pandémie une composition de lignes écrites sur Agoravox entre mai et septembre 2009, et remastérisés pour qu’en ressorte le sentiment de parcourir un contre journal de la pandémie, autrement dit un autre regard, une autre analyse sur les faits. Mais ce n’est pas l’essentiel de ce livre, qui présente deux analyses inédites, l’une étant sociologique, portant sur les machines sanitaires, les médias (chap. 3) ; l’autre relevant du cadrage philosophique et historique (chap. 4) Enfin, un premier chapitre offre des éléments scientifiques pour faire connaissance avec ce « nouveau virus grippal ». Ce livre devrait répondre à l’attente de ceux qui souhaitent comprendre pourquoi on en est arrivé là avec ce virus pas si méchant. Quelques commentateurs perspicaces avaient pressenti dans mes billets des bribes d’interprétation plus profonde du phénomène. En lisant cet essai, j’espère qu’ils auront une réponse à leurs interrogations. Certains seront déçus de ne pas trouver matière à confirmer la thèse du complot. En vérité, il n’y a pas besoin d’invoquer un quelconque complot jouant le rôle d’un mythe moderne. La raison balaye l’irrationnel et sait comment aborder ce phénomène pandémique assez complexe mais parfaitement intelligible pour peu qu’on utilise quelques boîtes à outils offertes par les penseurs contemporains de la société, Ellul ou Broch notamment.

Ce livre est-il intéressant, bien fait, sensé, intelligent ? Il ne m’appartient pas de le dire. Je peux juste situer cet essai dans le champ épistémique qu’il vise. Ce n’est ni le récit de la pandémie, ni un traité sur la grippe et encore moins un manuel pour aborder cette pathologie et décider s’il faut ou non se vacciner. Cet essai parle surtout d’autres choses : de la société, des médias, des politiques, des machines sanitaires, des industries médicales. Il tente d’expliquer pourquoi le monde s’est affolé pour un banal virus auquel l’humanité s’est habitué depuis près d’un siècle. En évoquant de plus le trouble jeu de l’industrie médicale. En ce sens, cet essai mérite et risque de faire débat dans la mesure où il présente deux, voire trois idées fondamentales sur le cours des sociétés hyper techniciennes. Et ces analyses, je pense qu’elles constituent un cadre pouvant être élargi à d’autres phénomènes sociaux, comme la gestion des peurs climatiques. Ces idées, on peut les trouver juste ou bien démontrer que l’auteur s’est fourvoyé. Autant dire que j’attends avec impatience les réactions, à moins que les médias ne supportent pas d’évoquer un livre qui par son contenu et son style, rompt avec la pensée unique et le socialement correct.

Présentation du livre

Si l’année 1989 a été marquée par la chute du mur de Berlin, on retiendra de l’année 2009 la pandémie grippale. Sur le plan sanitaire, cet épisode risque d’être aussi anecdotique qu’une grippe saisonnière ordinaire, celle que nous connaissons depuis des décennies. Par contre, la réactivité des systèmes sanitaires et des Etats constitue un événement extra ordinaire. Sans compter le rôle des médias qui n’ont pas chômé pour diffuser informations ainsi que déclarations d’experts et autres politiques. Appuyés par l’OMS, les pays ont mis en place un dispositif d’exception destiné à contrecarrer ce qui a été présenté comme une menace planétaire, la première pandémie du 21ème siècle selon les termes de la directrice de l’OMS, M. Chan. En dépit du battage médiatique, le regroupement et l’analyse des premières données permettaient de douter de l’utilité d’une telle mobilisation. Le livre repose sur la conviction que la réplique antipandémique décidée par les autorités n’est pas proportionnée à la menace réelle occasionnée par l’apparition du nouveau virus H1N1. Partant de cette idée, cet essai sur la pandémie de la peur propose au lecteur différents éléments pour comprendre cet épisode. Pas tant sur le plan médical et sanitaire qu’au niveau d’un enseignement pouvant être tiré du fonctionnement de nos sociétés devenues hyper techniciennes. Le plus haut degré d’analyse sera philosophique, élaboré avec l’appui d’un livre signé Hermann Broch sur la folie des masses. En 2009, parler de folie serait excessif. En vérité, nous devons conclure à un affolement des populations et des machines sanitaires. Ce qui, en restant fidèle à l’essai de Broch, amènerait la rédaction d’un autre livre où serait assigné un rôle à la démocratie, celui de lutter et conjurer cet affolement, étant entendu que cet épisode de pandémie de peur pourrait se reproduire.

Mini entretien réalisé en octobre 2009

Q1. Pourquoi cet intérêt pour la grippe A de 2009 ? Tous les phénomènes sociaux m’intéressent et si la grippe H1N1 a suscité mon attention, c’est parce qu’elle m’a semblé tracer quelque chose d’assez inédit, une sorte de rupture, un événement sociétal non ordinaire, contrastant avec le déroulement de la grippe saisonnière qu’on connaît chaque année sans qu’une telle couverture médiatique ne se déploie. 2009 est une année étrange.

Q2. A quel moment le soupçon ? J’ai pressenti une sorte de « kabbale » début mai. Je ne sais pas quels éléments ont été déterminants mais mon intuition rationnelle a capté très vite une distorsion entre la réalité de cette nouvelle épidémie grippale et la dramatisation médiatique qui s’en est suivi. Il y a eu deux vagues. Début mai puis début juin quand les autorités ont évoqué une campagne nationale de vaccination. La suite était évidente. Tous les éléments livrés dans les médias pouvaient faire l’objet d’une critique et forger la thèse complémentaire d’un affolement de la machine sanitaire et médiatique.

Q3. Quelles conclusions générales tirer ? Les réflexions sociologiques et philosophiques sont arrivées au moment où je rédigeais les billets sur Agoravox. Je les ai réservées pour écrire le livre sur la pandémie de la peur. Il était évident que la machine sanitaire s’était emballée, montrant les traits d’un activisme intempestif signé comme dévoilement de la machine technicienne et pragmatique. Quand un plan est élaboré il faut s’en servir. C’est ce ressort qui saute aux yeux. La médecine industrielle est devenue une excroissance qui se développe pour partie indépendamment des nécessités rationnelles de la société. Quant au motif philosophique qui génère l’atmosphère propice au déroulement de cette mobilisation contre la grippe, il est aussi clair. Peur, hypertrophie d’un système, bref, c’est parce que le développement technique, technoscientifique et technocratique est abouti qu’il peut engendrer ces excroissances sanitaires sans commune mesure avec le danger réel d’un virus grippal.

Q4. Comment permettre aux citoyens de se défendre face à cette peur ? Il n’y a qu’une seule possibilité, l’instruction, la raison. Le citoyen peut se protéger des vagues d’affolement s’il a atteint un seuil d’immunité rationnelle face à des diffusions intempestives d’informations anxiogènes. Nul ne peut savoir comment va réagir un individu mais une chose est sûre, si les gens ont les moyens pour accéder à une vision contrastée des choses, une vision qui n’est pas celle que veulent imposer les instances intéressées au profit et à la domination, eh bien ces gens vont se mettre à douter et finiront par se forger une opinion raisonnée des peurs diffusées par ceux qui ont peur eux-mêmes ou ont intérêt à faire peur.
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