Comment va Hadopi ?
par Camille Gévaudan pour LIBERATION
Hadopi ? « Elle va très bien, pourquoi vous posez des questions dont vous connaissez la réponse ? » C’est vrai ça, pourquoi ? Le journaliste de Public Sénat serait-il sensible aux viles
plaisanteries qui caricaturent la Haute autorité en collège de clowns, se tournant les pouces dans 1 107 m² de bureaux sans savoir que faire de leur grasse enveloppe de 5,3 millions d’euros ? On
n’ose le croire. Il devait plutôt s’agir, tout simplement, de profiter de la présence sur le plateau du Ministre de la culture himself pour faire un point sur la situation. Frédéric Mitterrand,
donc, sérieusement, comment va Hadopi ?
« Elle fonctionne très bien. On a mis en place les divers conseils et comités qui correspondent, ils sont installés, les décrets passent les uns après les autres, les premiers mails — qui seront
des mails d’avertissement, pour la partie répressive que je ne souhaite pas la plus importante, je l’ai toujours dit — partiront à la fin du printemps / début de l’été. » Reprenons dans l’ordre.
Les divers conseils et comités désignent, sans doute, d’un côté les neuf membres du collège Hadopi et sa commission de protection des droits, et de l’autre le partenaire privé qui prendra en
charge la sale besogne technique. Comme on l’a appris fin janvier, c’est la société Trident Media Guard (TMG, dont 50 000 euros de capital ont été apportés par l’acteur Thierry Lhermitte) qui
s’occupera de surveiller les échanges de fichiers sur les réseaux peer-to-peer (seule technique concernée par Hadopi) et de relever les adresses IP frauduleuses. Ici ! Un pirate télécharge Lady
Gaga ! Là ! Un déliquant est en train de voler les Minimoys ! Et là ! Un cinéphile terroriste se procure illégalement Cléo de 5 à... ah non, aucune chance qu’il se fasse pincer, celui-là. La
liste des œuvres surveillées n’excèdera pas 10 000 chansons et 200 films choisis par l’Alpa, dont 100 « nouveautés » et 100 « films anciens », selon un dossier de Capital. Reste à déterminer à
quel âge un film devient « ancien ».
Ensuite, « nos programmes retrouvent ceux qui téléchargent des films via leurs adresses IP, l’équivalent du numéro de téléphone pour un ordinateur connecté à Internet », explique le patron de TMG
Alain Guislain. Chaque adresse relevée sera accompagnée du titre des œuvres téléchargées, du pseudonyme sous lequel le méfait a été commis, du protocole p2p utilisé, de la date et de l’heure des
faits ainsi que du nom du FAI auprès duquel l’accès a été souscrit. Puis, « avec ces adresses IP, l’ALPA obtiendra l’identité des abonnés auprès des fournisseurs d’accès français. »
Et c’est là qu’intervient le fichier de recoupement qui a tant fait grincer des dents la Cnil. Pour révéler qui se cache derrière les IP incriminées, il faut croiser les informations relevées par
TMG et celles dont disposent les fournisseurs d’accès à Internet, seuls capables de mettre un nom et un prénom sur une adresse IP. La création de ce grand listing des internautes délinquants
était conditionné par un avis de la commission des libertés, qui a pris tout son temps pour le rédiger. Mais la Cnil a fini par cesser de bouder, l’avis a été rendu, et le décret publié au
Journal Officiel du 7 mars. La durée de conservation de ces données personnelles est précisée dans le décret : 2 mois si aucun avertissement n’est envoyé, 14 mois si l’abonné incriminé a reçu le
premier e-mail (s’il ne se fait pas prendre une seconde fois durant cette période) et 20 mois si une lettre recommandée est envoyée.
Selon Le Monde, l’Hadopi pourrait recevoir 50 000 adresses IP par jour de la part de Trident Media Guard, et demander parmi elles l’identification de 10 000 internautes. Une fois récupérés tous
les noms, prénoms, « adresse postale et adresses électroniques » (le pluriel est à noter), coordonnées téléphoniques et « adresse de l’installation téléphonique » de l’abonné, le premier
avertissement par e-mail pourra partir.
Maintes fois repoussés, l’envoi des avertissements est désormais planifié pour le mois de juin. Enfin presque. Fin juin. Ou après. « On ne va pas les faire partir le jour de la fête de la
musique, quand même... sourit un Mitterrand au grand cœur. Le jour de la fête de la musique, on va essayer de mettre en place, au contraire, la carte qui permettra de développer l’offre légale
auprès des jeunes ». Pour la mise en place de cette « carte musique jeunes » d’une valeur de 50 euros et financée pour moitié par l’État, un appel d’offres (.doc) a été lancé le 10 mars par la
Direction des Médias et de la Communication. On y apprend que l’opération ne durera que trois ans, et que le public cible comprend l’ensemble des 12-24 ans français, « soit une population
potentielle de 10 464 188 individus » très précisément, qui représente « la catégorie moteur du marché de la musique en ligne ». L’achat de musique passera par une plate-forme en ligne sur
laquelle le jeune internaute devra s’inscrire pour découvrir les différents services de musique en ligne éligibles et gérer ses dépenses. Deux solutions lui seront proposées : investir
l’intégralité des 50 euros sur un seul site de musique ou répartir ses achats avec 5 tickets à 10 euros.
Dernier détail à régler avant de mettre en route la machine à punir les pirates : le fameux « logiciel de sécurisation », censé protéger les abonnés de toute intrusion dans leur accès Internet et
leur permettre, donc, de plaider non coupable à l’accusation de « négligence caractérisée ». Les opérateurs, qui sont responsables du développement et de la distribution de ce programme à leurs
abonnés, n’ont encore rien laissé filtrer sur ses spécifications. Sera-t-il compatible avec Mac OS et les distributions Linux ? Sera-t-il payant ? Pourra-t-il être installé et fonctionner de
manière optimale sur tous les ordinateurs, même les vieux clous ? Récoltera-t-il des informations sur la machine et les échanges qu’elle gère ?
Il serait également temps d’aborder avec les opérateurs la douloureuse question du remboursement de leurs frais techniques, avant que l’irritation de Xavier Niel ne se propage chez ses
concurrents... La semaine dernière, lors de la conférence de presse sur ses résultats financiers, le patron de Free a aimablement rappelé que « tant que l’Etat ne financera pas le coût de la loi
pour les FAI, à savoir 70 millions d’euros par an, nous ne bougerons pas. Nous ne ferons rien tant au niveau du filtrage que de la surveillance, surveillance à laquelle nous sommes totalement
opposés. »