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Parfois les personnages de certains romans ne sont que des personnages de papier, destinés à ne vivre qu'entre les pages d'un livre. Celui-ci achevé, il n'en reste rien, ou si peu. Dans ce nouveau roman de Thierry Beinstingel, les deux personnages principaux demeurent longtemps dans notre esprit tant ils sont vivants, brossés avec un réel talent, nous touchant souvent.


  Le premier, appelé "l'ancêtre" par ses collègues, ou encore "l'ours", est VRP. Plus précisément VRP en papier peint, parcourant les routes de l'hexagone à longueur d'années. Une vie souvent monotone, une vie "on the road", faite de petits hôtels, de petits restaurants, de milliers de kilomètres accumulés, de zones commerciales, de stations d'essence, de repas solitaires, d'autoroutes anonymes. Il passe de clients en clients avec d'épais volumes d'échantillons reliés en cuir.

  Un jour là, le lendemain ailleurs. Ainsi va sa vie.

  Pourtant sa vraie passion, c'est Rimbaud. La correspondance de Rimbaud. Sans doute avec une légère identification avec l'un des plus célèbres voyageurs de commerce. Une passion qui l'amène parfois sur la tombe du poète, à Charleville.

  Second personnage principal qui va croiser le destin du premier, une jeune femme qui vient de prendre la direction de l'équipe des représentants qui va devoir convaincre l'ancêtre de vendre des canapés assortis aux revêtements muraux.

  Si !

  En réalité elle est embauchée pour virer cet homme vieillissant aux méthodes d'hier.

 

  Thierry Beinstingel qui débuta sa carrière professionnelle à La Poste, a déjà publié plusieurs romans, presque tous chez Fayard, avec un fil rouge, la déshumanisation des relations dans l'entreprise. Il confirme donc ici son talent déjà remarqué il y a deux ans, avec "Retour aux mots sauvages".

 

  Un vrai roman de résistance, résistance aux pratiques habituelles des entreprises cherchant à se défaire des salariés les plus âgés, résistance aussi à la routine mortifère du travail, résistance à la vie matérielle en s'échappant vers l'ailleurs, un ailleurs ici nommé Rimbaud. Résistance aussi, même si elle est plus rare, de ceux qui sont payés pour virer des travailleurs, une résistance en forme de prise de conscience. Si le travail peut tuer fréquemment, enlever un travail à quelqu'un peut aussi le tuer.

 

  Deux grandes qualités pour ce roman qui "sonne" juste, un grand sens du détail, dans les personnages, les situations, les lieux. Et une belle empathie face à la terrible violence ambiante dans les rapports sociaux actuels. Digne d'Arthur Miller et de Patrice Leconte, auteurs de beaux portraits de commis voyageurs.

 

  Un magnifique roman qu'il faut lire, illustrant ce que notre site répète inlassablement, chacun, à un moment donné de sa vie, a la possibilité de dire non. Une belle réussite sur le plan littéraire, mais aussi sur le plan humain. Un roman qui nous donne l'envie de lire les précédents de Thierry Beinstingel.



 

Dan29000

 

 

 

 Ils désertent

Thierry Beinstingel

Editions Fayard

2012 / 252 p / 19 euros


 

Voir le site de Fayard

 

Et aussi le blog de l'auteur : Feuilles de route

 

 

 

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L'auteur en chat pour liberation.fr le jeudi 06/09/12

 

Une jeune femme embauchée dans une entreprise de papier peint est chargée d’une mission: renvoyer l'«ancêtre», un vieux VRP qui y travaille depuis quarante ans... L'écrivain Thierry Beinstingel (photo Christine Tamalet), auteur de Ils désertent (Fayard), a répondu à vos questions.

Richard. Le titre de votre livre Ils désertent peut s’entendre «Iles désertes» ? Pourriez-vous m’en dire plus ?

Thierry Beinstingel. «Iles désertes», c’est à la fois le symbole de l’isolement et, en même temps, de la volonté de mouvement dans une autre graphie.

Rose. Pourquoi avez-vous choisi d'écrire votre livre à la deuxième personne ? Ce «vous» qui donne de la distance, qui nous et vous place comme spectateur ?

T. B. J’ai envie que le lecteur se sente comme un témoin bienveillant. Quand on vouvoie ou qu’on tutoie quelqu’un, on est face à lui, en empathie, sans prise de pouvoir, on se sent proche. Pérec l’a déjà expérimenté, et Michel Butor, aussi.

Jules. Votre blog s’intitule «Feuilles de route» pourquoi ? Passez-vous beaucoup de temps sur les routes ?

T. B. Il s’intitule «Feuilles de route» simplement parce qu’il a été créé en 2000, à un moment où Internet était un désert, et que l’expression «Feuilles de route» n'était pas si commune. «Feuilles de route» c’est aussi le titre d’un ouvrage de Blaise Cendrars que j’aime beaucoup. Ça évoque bien le cheminement intérieur de l'écrivain. Par ailleurs, je fais 40 000 kilomètres par an, pour mon travail, essentiellement.

Elodie. Ecrire pour vous, c’est quoi: un boulot car vous en vivez ? Ou une passion qui ne vous fait pas vivre ?

T. B. Pour l’instant, je répondrais bien que c’est un métier qui n’est pas lucratif. Mais c’est vraiment un métier au sens noble, une sorte d’artisanat.

Benoite. J’aimerais savoir comment vous travaillez ? Trimballez-vous, par exemple, un petit carnet où vous notez au fil de vos pérégrinations des petites scènes, des moments de dialogues ?

T. B. Non, je dois être peut-être l'un des premiers à travailler à l’ordinateur. Mais j’ai des fichiers sur des microportables qui me servent de carnets. Et mon site internet «Feuilles de route», me sert de carnet, et à chaque fois que j'écris une anecdote, elle va peut-être me servir plus tard.

Laurence. Comment l’idée de ce livre vous est-elle venue ? Mûrissait-elle depuis longtemps ?

T. B. Le point de départ, c'était la situation qu’induit le mouvement et la route. La deuxième raison, c’est que je voulais écrire un personnage féminin, je ne l’avais jamais fait jusqu'à présent, c’est pour cela que j’ai créé deux personnages, un masculin et un autre féminin.

 

 

SOURCE,  SUITE ET FIN

Tag(s) : #lectures
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