« Tuer un policier, c'est servir la cause de l'unité irlandaise »
Par Jean-Baptiste Allemand | Journaliste | RUE 89
En Irlande du Nord, les groupes armés républicains opposés au processus de paix ont redoublé d'activité. Rencontre avec deux de leurs soutiens, pour qui la violence continue d'être « la seule
solution ».
Un policier catholique grièvement blessé, un ancien membre assassiné froidement à Derry, plusieurs alertes à la bombe ayant semé la panique… Ces
dernières semaines, les dissidents républicains ont refait parler d'eux,
après avoir défrayé la chronique l'an dernier en tuant deux soldats et un policier.
Parmi leurs dernières actions majeures, un attentat à la bombe contre un tribunal à Newry, qui a fait de sérieux dégâts matériels. L'attaque a été unanimement condamnée par l'ensemble de la
classe politique et de la population… ou presque.
« Aucun problème. C'était une cible légitime » : Martin Duffy a beau avoir l'air bonhomme, ses idées sont autrement moins pacifiques. Assis à côté de lui, Sean Maloney, qui a accueilli la
rencontre, ne bronche pas. Mais un simple coup d'œil à son appartement, orné de tableaux à la gloire des paramilitaires, suffit à convaincre qu'il est manifestement d'accord.
« Une menace sérieuse mais limitée »
Les deux hommes vivent tous deux à Lurgan, une ville sinistrée (28% de chômage en 2003), réputée pour être un bastion des groupes armés républicains. Tous deux sont membres du Republican Sinn
Féin (RSF), un parti ayant fait scission avec le Sinn Féin en 1986 (qui partage aujourd'hui le pouvoir avec les unionistes protestants).
Le mouvement est également présenté, dans les médias, comme l'aile politique de la Cira (Continuity IRA), un des groupes armés encore actifs. Martin Duffy ne dément pas :
« Officiellement, on n'a aucun lien avec la Cira. Officieusement, si… »
Et eux, font-ils partie du groupe armé ? « On ne peut pas vous répondre ».
La Rira (Real IRA), ou « Oglaigh na hEireann » sont d'autres milices républicaines ayant survécu à la fin du conflit armé. Le tout représente, selon Pete Shirlow, spécialiste des paramilitaires à
la Queen's University de Belfast, « de 300 à 400 combattants ». Pour lui, la menace qu'ils font peser est « sérieuse mais limitée » :
« Certains sont d'anciens membres de l'IRA, ils savent où trouver des armes. Et il suffit d'être un groupe de 10 ou 15 personnes pour provoquer des incidents. Pour autant, ils ne sont pas assez
nombreux pour mettre en place des actions de grande ampleur. »
La police, « une force d'occupation »
Pourtant, Martin Duffy assure que les rangs du RSF « grossissent » à Lurgan. Sean Maloney, interrogé en pleine préparation de tracts à distribuer, confirme cette popularité :
« Notre journal se vend à plus de 200 exemplaires par mois ici ! »
Mais pour Pete Shirlow, rien à voir avec l'époque de l'IRA, qui jouissait d'une grande popularité parmi la population républicaine :
« Aujourd'hui, le soutien logistique et financier des dissidents est limité à quelques quartiers seulement. Les temps ont changé. L'égalité entre protestants et catholiques est maintenant réelle,
l'Irlande du Nord a un pouvoir autonome et mixte. Même la présence de la frontière avec l'Irlande n'est quasiment plus perceptible. »
Tout ce processus, Martin Duffy le rejette. Le Parlement nord-irlandais ? « Un organe illégal plein de politiciens corrompus ». Il faut dire que le Republican Sinn Féin ne reconnait pas
l'existence légale de l'Irlande du Nord, ni même celle de la république d'Irlande. « L'Irlande, c'est l'ensemble des 32 comtés de l'île, et rien d'autre », martèle Martin Duffy.
Et pour achever l'unification, « la violence est la seule solution », assure l'activiste. Pourtant, il ne se définit pas comme « anti-paix » : « Tout le monde est pour la paix ». Mais pour lui,
le processus actuel ne fait qu'entériner une « occupation britannique toujours d'actualité, que le Sinn Féin a choisi d'accepter ».
Même avec une nouvelle police, le Police service of Northern Ireland (PSNI), qui recrute désormais autant de catholiques que de protestants ? « La religion ne change rien, évacue Martin Duffy.
L'uniforme n'est pas le même, mais c'est toujours la même force britannique colonialiste. » Il considère d'ailleurs que « tuer un policier, c'est servir la cause de l'unité irlandaise ».
Martin Duffy prend pour autre exemple les récents « actes de résistance » de bandes de jeunes face à la police, non loin de Lurgan :
« Le PSNI vient provoquer les jeunes républicains en s'introduisant dans leur quartier ! ».
Les SAS toujours à l'œuvre ?
Mais pour Donna Cush, une travailleuse communautaire dans un centre de jeunesse local, le problème est loin d'être politique :
« Ces jeunes n'ont que de 12 à 15 ans. Quand ils affrontent la police, c'est sous l'effet de l'alcool. Ça leur donne de la distraction… »
Martin Duffy évoque aussi le « harcèlement » qu'infligerait la police à la population républicaine de Lurgan, par le biais de la Section 44. Cette disposition anti-terroriste britannique, qui
permet à la police d'arrêter et de fouiller n'importe quel individu sans justification, est particulièrement utilisée par le PSNI (10 000 personnes concernées en 2008).
Problème : elle vient d'être déclarée « illégale » par la Cour européenne des droits de l'homme. Et le Policing boarding, organe chargé de superviser le PSNI, est très méfiant quant à son
utilisation.
Martin Duffy affirme aussi que les forces spéciales britanniques, les SAS, sont encore actives en Irlande du Nord :
« On les a répérées à Lurgan. Pendant deux semaines, des types en noir et armés ont surveillé le quartier. »
Une présence confirmée par Jon Tonge, chef du département de politique de l'université de Liverpool, qui explique que « le gouvernement britannique estime que la situation est suffisamment
dangereuse pour intervenir ».
Un dialogue impossible
Mais Pete Shirlow met en garde : selon lui, il ne faut « pas trop en faire ». Pour lui, toute méthode directe est à bannir :
« Ces groupes sont difficilement “arrêtables”, car très petits. Ils jouent au chat et à la souris avec la police.
Si on veut les arrêter physiquement, il faudra mettre en place des grandes manœuvres, comme la fouille de maisons, qui seront très impopulaires dans les quartiers républicains.
Les gens se diront que finalement, les dissidents n'ont pas si tort que ça. Et ça ne fera qu'attirer de nouveaux membres dans leurs rangs… La solution ne viendra que par l'infiltration et le
renseignement. »
Et le dialogue, évoqué par Sir Hugues Orde, ancien chef de la police ? Pete Shirlow ne semble pas convaincu : « Ce sont des fanatiques. Pour eux, tout est blanc ou noir. C'est du même type que
les néo-nazis… » Jon Tonge renchérit : « Comment discuter avec des types comme ça ? »
Quand on lui rappelle que l'IRA a tué pendant des décennies sans rien obtenir, Martin Duffy répond avec un flegme désarmant, entre deux gorgées de thé :
« C'est parce qu'elle s'est arrêtée trop tôt… Nous, on continue la guerre. Pendant cent ans, s'il le faut. »