Alors que les catastrophes nucléaires conjointes sur au moins quatre des réacteurs de la centrale de Fukushuma Daichi s’aggravent de jour en jour, le lobby atomiste français déshonore notre pays par son impudence à vouloir tirer profit d’une tragédie humaine planétaire.
Au moment où un nombre croissant de personnes sacrifient leur santé et peut-être leur vie pour sauver ce qui peut encore l’être à la centrale nucléaire de Fukushima Daichi, le plus choquant devient de constater à quel point la catastrophe était prévue de longue date.
Le péril que constitue pour les centrales nucléaires japonaises la recrudescence sismique dans la région est dénoncé depuis au moins 2007. Mais l’on apprend maintenant que les réacteurs sinistrés faisaient l’objet d’un défaut de conception — connu par leur constructeur General Electric dès le début des années 70 — touchant notamment à leur système de refroidissement et à leur résistance en cas de défaillance de celui-ci.
En 1972, l’expert américain Stephen H. Hanauer avait recommandé l’arrêt de l’exploitation de ce type de réacteurs pour cause de risques de sûreté inacceptables [1]. Mais Joseph Hendrie, futur président de l’autorité de sûreté nucléaire américaine, avait objecté que, pour « séduisante » que fût cette idée, revenir sur la caution initiale accordée à cette technologie par les industriels et les organismes de sûreté aurait risqué de marquer « la fin de l’énergie nucléaire ». Il fallait donc, avant tout, sauver l’industrie nucléaire… et pas du tout des populations par avance sacrifiées.
« Pis encore, explique Marie-Christine Gamberini, référente des Amis de la Terre France sur le nucléaire et l’énergie, malgré ces défauts de conception notoires, le réacteur 3 de Fukushima Daichi est chargé depuis septembre 2010 en combustible Mox, un mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium. Or la présence de plutonium rend les réacteurs plus délicats à piloter tout en démultipliant la gravité des contaminations en cas d’accident. Et devinez qui a fourni sans sourciller ce Mox ? Areva ! »
« Dès lors, s’indigne Martine Laplante, présidente des Amis de la Terre France, comment Anne Lauvergeon peut-elle oser plastronner que le savoir-faire nucléaire français est le meilleur de la planète et devrait être le leader d’une “nouvelle gouvernance mondiale” en la matière ? Comment le PDG d’EDF peut-il comparer la catastrophe en cours avec un crash d’avion et avoir le cynisme de proposer aux Japonais l’expertise de son groupe et « son retour d’expérience » ? »
Comme le notait encore en 2001 le physicien nucléaire Roger Belbeoch : « Le crime nucléaire a un statut juridique tout à fait original. Généralement, il y a crime lorsqu’on a découvert une victime et l’identification du criminel est la tâche de la justice. Avec le rayonnement, les criminels sont connus mais les victimes demeureront inconnues. On pourra seulement les dénombrer mais ce n’est pas la tâche de la justice, et l’impunité est garantie. » [2]
Pour les Amis de la Terre, cette impunité a assez duré. Ce ne sont plus seulement les « générations futures » qui sont menacées, mais l’humanité actuelle. En matière atomique, la seule « gouvernance mondiale » tolérable est celle qui devra trouver les moyens de veiller pendant des millénaires sur les déchets radioactifs et les zones contaminées après que cette source d’énergie mortifère aura été abandonnée. Quant à prétendre au nom de « la » science, du « progrès » et du « développement » que l’on n’aurait plus le choix, c’est tout bonnement inadmissible.
Comme l’affirmait dès 1977 le philosophe Günther Anders, réfugié de l’Allemagne nazie et premier mari de Hannah Arendt, à propos du nucléaire qu’il considérait comme la principale menace pour l’humanité, « la tâche morale la plus importante aujourd’hui consiste à faire comprendre aux hommes qu’ils doivent s’inquiéter et qu’ils doivent ouvertement proclamer leur peur légitime. Mettre en garde contre la panique que nous semons est criminel. » [3].
Notes
[1] Tchernoblues, de la servitude volontaire à la nécessité de la servitude, L’Esprit frappeur, 2001.
[2] http://www.nytimes.com/2011/03/16/w...
[3] Günther Anders, Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j’y fasse, trad. Christophe David, éditions Allia 2001.
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