Accidents nucléaires au Japon : « Ça dépasse le pire cauchemar »

« Condamner deux réacteurs, ça n'est jamais arrivé dans l'Histoire », pointe Mycle Schneider, consultant interrogé par Rue89.

Des Japonais ayant fui le voisinage de la centrale Fukushima-Dai-Ichi 1 se réfugient dans un gymnase, à Kawamata, au nord du Japon, le 14 mars 2011 (Yuriko Nakao/Reuters).

Mycle Schneider (Heinrich Böll Stiftung/Wikimedia Commons).

 

 

L'Allemand Mycle Schneider est consultant indépendant en énergie et politique nucléaires, auteur de nombreux articles dans des revues spécialisées et co-animateur d'un blog de l'université américaine de Princeton sur les matières fissiles.

Il décrypte pour Rue89 la communication défaillante des autorités japonaises et françaises sur les accidents nucléaires qui ont suivi séisme et tsunami au nord-est de l'archipel, et explique pourquoi il est très inquiet.

 

 


Rue89 : Comment évaluez-vous la gravité de ce qui se déroule actuellement dans les centrales nucléaires au Japon ?


Mycle Schneider : On a déjà connu des situations difficiles sur beaucoup de réacteurs dans le monde. Mais, toujours, les meilleurs cerveaux ont pu se concentrer sur la gestion de la crise. Là, c'est complètement différent : il y a actuellement sept réacteurs en situation d'« urgence nucléaire », dont deux connaissent un début de fusion [les réacteurs 1 et 3 de la centrale de Fukushima-Dai-Ichi 1, ndlr] et un troisième qui commence à connaître un très sérieux problème de refroidissement [le réacteur 2].


Imaginez-vous une Cocotte-Minute, c'est la même chose : si on ouvre la valve de sûreté, on relâche la pression, c'est bien mais on perd de l'eau et on accroît la température. Soyons précis sur les faits. 


  • Sur les réacteurs 1 et 3 de la centrale Fukushima-Dai-Ichi 1, on a assisté à des explosions d'hydrogène impressionnantes. (Voir la vidéo de l'explosion du réacteur 3, lundi, par Sky News, en anglais)

     

Ces explosions sont le signe d'un début de fusion du cœur, et elles ont dégagé des bouffées de gaz radioactifs. Cela signifie que le combustible est endommagé, et c'est particulièrement inquiétant car pour l'un des deux, c'est du combustible au plutonium MOX (fabriqué en France, d'ailleurs), qui est beaucoup plus radiotoxique.


Reprenons l'image de la Cocotte-Minute, comment cela peut-il évoluer ?

Relâcher de la pression fait augmenter la température, c'est donc un jeu de Yo-Yo. Si on n'est pas capable de remettre de l'eau pour refroidir, c'est dramatique.

Pour la tranche 1 [le réacteur et son système de production d'électricité – turbine et alternateur –, ndlr] de Fukushima-Dai-Ichi 1, on a littéralement inondé la centrale, ce qui signifie qu'on l'a condamnée à jamais.

Pour la tranche 3, on a injecté de l'eau de mer dans la cuve.

Condamner deux réacteurs nucléaires, ça n'est jamais arrivé dans l'histoire, c'est inimaginable. A Three Mile Island, en 1979, on a eu une fusion avancée du cœur, mais on n'a pas perdu tous les moyens, là on perd tous les moyens. On est passés dans une phase palliative.


Que sait-on des moyens qui restent à disposition des autorités japonaises ?

Il est certain que les explosions font des dégâts, ça dégrade encore leurs moyens. Si, comme ils le disent, l'enceinte de confinement du réacteur [3] n'a pas cédé, c'est tant mieux, mais ça peut évoluer.


Qu'est-ce qui vous inquiète le plus ?

Je suis surtout extrêmement inquiet par rapport au combustible irradié dans les piscines de refroidissement, et personne n'en parle. Un cœur de réacteur à Fukushima-Dai-Ichi 1 contient de l'ordre de 50-100 tonnes de combustible ; cela dépend des tranches qui sont de taille différente. Mais les piscines contiennent des centaines de tonnes de combustible usé, déchargé des réacteurs au fur et à mesure de leur fonctionnement. La perte de l'eau de refroidissement peut conduire à une surchauffe, les combustibles pourraient s'enflammer et dégager d'énormes quantités de radioactivité.

On est face à des phénomènes qu'on n'a jamais appréhendés. Là, c'est une centrale des années 70 mais dans le cadre de la construction de l'EPR [réacteur pressurisé européen, ndlr], on a imaginé le pire du pire : c'est un combustible chauffé à plus de 2 000 degrés et qui se transforme en sorte de lave, le corium. Le combustible peut transpercer la cuve et interagir ou même traverser le béton avant de se refroidir.


Que faut-il dire alors de la gravité de la situation ?

Il faut dire clairement que ça dépasse le pire cauchemar possible, que la situation est très loin d'être stabilisée, que l'on est entrés dans des procédures U, ce qui signifie « ultime ». Quand on abandonne une installation, qu'on dit aux ingénieurs : « Oubliez votre travail habituel, inventez des procédures où l'objectif est exclusivement de réduire l'impact sur la santé et l'environnement… » C'est inimaginable.


Trouvez-vous les autorités françaises à la hauteur ?

L'Autorité de sûreté nucléaire française a publié dimanche un communiqué de presse, et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire a été le premier à parler de « rejets radioactifs très importants », alors qu'au même moment, les Japonais ne disaient pas cela. Peut-être ont-ils des informations que les Japonais ne veulent pas divulguer, mais alors qu'ils le disent !

On les a entendus tout le week-end dans les médias avec la ministre de l'Ecologie Nathalie Kosciusko-Morizet, or, je suis stupéfait du manque d'éléments objectifs. Je ne comprends pas pourquoi ils ne sont pas capables de produire quelques pages pour expliquer aux journalistes et au public directement les enjeux, avec des schémas clairs des installation ; ainsi, quand les gens entendent parler d'explosion, ils sauraient si c'est grave ou pas. Là ,on assiste à un bricolage incompréhensible.

Dessin de Baudry sur les accidents nucléaires au Japon.

Que sait-on de ces hommes en tenue blanche que l'on voit sur les photos ?

Une partie fait probablement des mesures de radioactivité, une autre est en salles de commande, mais sans doute le minimum. En temps normal, il doit y avoir des centaines de personnes, là probablement des dizaines.

On sait que deux opérateurs ont fait des malaises, il faut s'imaginer qu'ils travaillent avec des masques à gaz, et qu'en plus du fait qu'ils ont perdu des proches ou leur maison, ils sont sous un stress sans précédent depuis trois jours.


On se concentre sur Fukushima-Dai-Ichi 1. Quid des autres centrales ?

Je suis très inquiet pour la centrales de Tokai qui est la plus proche de Tokyo, et qui a un problème de sûreté aussi.

Dés le premier jour, il était question d'un arrêt de pompes de refroidissement sur Onagawa, pourtant la plus proche de l'épicentre, il n'y a pratiquement pas d'infos depuis l'incendie en salle des turbines en début des événements…

Une chose est certaine : dimanche, l'Histoire connaissait le 11-Septembre, désormais, le 11-Mars sera gravé dans la mémoire collective.

Illustrations et photo : des Japonais ayant fui le voisinage de la centrale Fukushima-Dai-Ichi 1 se réfugient dans un gymnase, à Kawamata, au nord du Japon, le 14 mars 2011 (Yuriko Nakao/Reuters) ; Mycle Schneider (Heinrich Böll Stiftung/Wikimedia Commons) ; dessin de Baudry.

Tag(s) : #environnement
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