Grève de la faim des salariés de Lafarge: «On tiendra jusqu'à ce qu'ils lâchent»

reportage

 

Douze employés du cimentier ont arrêté de manger pour protester contre la fermeture de leur usine de Frangey, dans l'Yonne. Installés devant le siège du groupe, ils sont déterminés.

 

 

Par L.L.

 

 

 


Ils préfèrent ne plus s’alimenter plutôt que perdre leur emploi. Depuis neuf jours, douze salariés de l’usine Lafarge de Frangey, dans l'Yonne, sont en grève de la faim pour protester contre la fermeture du site prévue entre novembre prochain et avril 2013. Et tant qu’à faire, ils se sont directement installés devant le siège de Lafarge Ciments à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). Un geste extrême «à la mesure de [leur] motivation».

Ce mardi matin, quelques employés passent rapidement devant le campement de fortune installé par les «Frangey» aux portes de l’immeuble Lafarge. Treize lits de camps sont alignés sous une bâche bleue. Quelques dessins d’enfants et des photos sont scotchés sur le plastique. Bouteille d’eau à la main ou clope au bec, les grévistes de la faim discutent. L’ambiance semble détendue, mais les sourires sont amers.

Le «coup de massue» est tombé le 25 mai dernier: le site de Frangey n’est plus viable. L’usine doit fermer, les 74 salariés seront reclassés. Une «trahison» pour les ouvriers, qui estiment que Frangey est rentable. «On ne comprend pas, leurs raisons pour fermer sont injustifiées», estime Joël Quimbre, délégué CGT du site et gréviste de la faim. «Ils nous ont dit qu’on ne vendait plus assez de ciment, mais c’est parce qu’ils ont déplacé des ventes, et même abandonné des clients», explique t-il. «On les soupçonne de s’être entendus pour se partager le marché avec d’autres cimentiers.» Les grévistes pointent également du doigt la stratégie de désendettement du groupe. Des «affabulations», rétorque la direction de Lafarge.

«On n'est pas des pions»

Le cimentier français a promis de reclasser l’ensemble des salariés de Frangey, «mais les postes proposés sont au mieux à 250 km de chez nous, où on a acheté notre maison à crédit, où résident nos parents et nos amis, où on a notre vie, quoi», s’alarme Sandrine Segado, qui a roulé deux heures ce matin pour venir soutenir son mari gréviste. La jeune factrice craint de perdre en qualité de vie et de ne pas retrouver un poste qui lui convienne. «On n’est pas des pions», s’énerve t-elle.

Jean-Claude Galaud, maire sans étiquette de Lézinnes (dont dépend Frangey), participe à la grève de la faim au côté des ouvriers. «Mon devoir d’élu», estime t-il. Son écharpe républicaine est accrochée au dessus de son lit de camp. «Notre territoire souffre, on a déjà perdu près de 2000 emplois en dix ans. Là, 500 emplois sont indirectement concernés par cette fermeture injustifiée», s’inquiète l’élu. Il faut stopper l’hémorragie

«Mesures d'accompagnement au reclassement»

Depuis son bureau du quatrième étage, Rachid Benyakhlef, directeur général de Lafarge Ciments, se dit «préoccupé et comprend l’émotion des ouvriers» qui sont en grève de la faim sous ses fenêtres. Mais il exclut tout abandon du projet de fermeture. «La petite usine de Frangey n’est plus compétitive: le marché se réduit, le site est en surcapacité de 40%, et cette usine n’est pas en mesure de produire un ciment à faible empreinte environnementale», explique t-il calmement.

«Nous proposons aux salariés et à leur famille des mesures d’accompagnement au reclassement très fortes, comme la prise en charge à 100% du logement pendant quinze ans, et réfléchissons à la possibilité d’une reconversion du site», continue t-il, «ça ne va pas enlever l’émotion mais ce sont les mesures les plus favorables possibles

En bas de l'immeuble, pourtant, l’émotion est très forte. Pour ces hommes qui travaillent souvent à Frangey de père en fils, la fermeture de l’usine est «inacceptable». Arnaud Segado a perdu 7 kilos, mais il prévient: «J’ai encore de la marge, on tiendra jusqu’à ce qu’ils lâchent, on est pas venu pour négocier».

 

Source  :  Libération

Tag(s) : #actualités
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