Samu Social de Paris : la révolte des précaires parmi les précaires
Par Sophie Verney-Caillat | Rue89
Au 115, plus grand monde au bout du fil. Une bonne partie des 600 salariés du Samu social de Paris a entamé une grève ce matin à 6h, la première en seize ans d'existence. Au sein de l'institution
créée par Xavier Emmanuelli pour venir en aide aux sans-abris, on n'en peut plus qu'« au nom de l'urgence tout soit possible » et demande à se conformer au code du travail.
Ils ont beaucoup réfléchi avant d'en arriver là, en ont parlé avec les « hébergés », qui parfois leur ont témoigné leur soutien. Ils ont mis du temps à fédérer leur mouvement, parti des
permanenciers du 115, en révolte contre le projet de la direction d'enregistrer leurs appels. Après une première grève la semaine dernière, ceux des maraudes ont rejoint le mouvement, puis ceux
qui travaillent dans les centres d'hébergement d'urgence, et au final, le conflit traverse les métiers, les statuts.
Les revendications sont multiples, à l'instar des situations que nous
ont décrites les grévistes, rassemblés devant le siège du Samu Social,
dans un ancien hospice du 12e arrondissement de Paris.
Certains ont accepté d'être filmés, d'autres ont demandé que leurs prénoms
soient changés car la plupart sont en contrat à durée déterminée et ont peur que leurs contrats ne soient pas reconduits. A chacun correspond un ras-le-bol particulier :
Amandine, infirmière dans une structure « lits halte soins santé » gagne 1490 euros bruts par mois « mais sans prime de risque, sans treizième mois ni l'équivalent d'un comité d'entreprise »
:
« le problème, c'est qu'on est un groupement d'intérêt public (GIP), et du coup on n'est rattachés à aucune convention collective, moi je suis en CDD depuis deux ans, d'autres depuis quatre ou
cinq ans. »
Irène, animatrice dans un centre d'hébergement de nuit, « un centre insalubre, sur lequel il y a un avis de démolition depuis des années, on fait grève aussi pour améliorer les conditions
d'accueil des hébergés. Certes, on fait ce métier par passion, mais il faut pas exagérer. »
Sophie, a fait six ans d'études et est payée 1100 euros nets pour répondre aux appels d'urgence. Elle a beau trouver qu'« il y a de très beaux moments, c'est dommage de ne pas pouvoir s'imaginer
rester là à long terme, à cause des carrières et de la précarité. »
Carole, permanencière a « l'impression de ne pas pouvoir orienter correctement les gens qui appellent : on doit gérer les tentatives de suicide, les travailleurs pauvres qui se font expulser, les
cas psychiatriques … tout ça parce qu'on est gratuits, on arrive en début de chaîne au lieu d'arriver à la fin. Victimes de notre succès, on n'a pas les solutions à long terme, on n'a pas à gérer
ce que les autres structures sociales n'arrivent pas à gérer parce qu'elles sont débordées. »
Emma, travailleuse sociale dans une équipe mobile d'aide (les maraudes), elle touche 1450 euros nets mais travaille 15 nuits et deux week-end par mois « avec des primes de nuit de 97 centimes de
l'heure, et des primes de dimanche de 3,5 euros… C'est la passion qui me fait tenir. »
Ce soir, sur les dix-sept camions qui circulent habituellement dans Paris, il n'y en aura que cinq, et les grévistes assurent que seules quatre personnes au lieu de dix-huit répondront aux appels
du 115.
Mais une partie des centres resteront ouverts, la directrice générale Stefania Parigi ayant fait appel à l'équipe d'encadrement et à des bénévoles pour assurer un « service minimum ».
Un des soucis de la directrice, est de ne pas être décisionnaire sur tout et de devoir en référer à de multiples tutelles, l'Etat, la mairie de Paris, Ddass notamment et des financeurs
privés.
Des CDD jusqu'à six ans d'ancienneté
Stefania Parigi demande « du temps pour analyser la demande d'augmentation de 10% net sur les salaires qui sont en dessous de 2000 nets » :
« Au départ, les demandes étaient plus généralistes, désormais elles portent essentiellement sur les rémunérations. Je vais m'y pencher. »
Et concernant la précarité :
« On applique la loi qui nous autorise à proposer des CDD jusqu'à six ans d'ancienneté, et à ne pas proposer de prime de précarité, c'est la jurisprudence. Je suis prête à proposer des CDI à ceux
qui le demandent, mais très peu l'on fait depuis le début du conflit le 10 mars. »
Les grévistes ne reconduiront pas le mouvement « car c'est trop dur pour les hébergés », mais ils disent pouvoir recommencer une grève la semaine prochaine si nécessaire.
La directrice analyse ce mouvement comme « une crise de croissance, liée à l'angoisse sur l'après-2011, année où doit prendre fin le statut de groupement d'intérêt public (GIP) ».