«Les Roms veulent pouvoir gagner leur vie»
20 août 2012

TCHAT Une réunion interministérielle a lieu ce mercredi sur l'intégration des Roms. En dépit des serments présidentiels, l'évacuation de deux camps de l'agglomération lilloise inquiète les associations. Saimir Mile, président de la Voix des Roms, a répondu à vos questions.

Lorek. Bonjour, Je suis mal à l’aise face à ces situations. En même temps, je trouve bien les évacuations des camps illégaux et insalubres où prospèrent mendicité organisée et déscolarisation. Je ne vois pas pourquoi les Roms veulent imposer leur mode de vie ici. Quelles sont vos propositions ?

Saimir Mile. Bonjour. Les Roms ne veulent imposer aucun mode de vie. D’ailleurs, la mendicité à laquelle se livrent certains d’entre eux (une infime minorité) n’est pas un mode de vie et ils veulent pouvoir gagner leur vie autrement.

Manuel. Le Premier ministre a dit ce matin qu’il était favorable à une évolution des mesures transitoires qui restreignent le marché du travail des ressortissants roumains et bulgares. Comment percevez-vous cette annonce ?
Pic. Qu’attendez-vous de la réunion interministérielle ? Votre association est-elle présente lors de ces discussions ?

Alexis. Aujourd’hui se tient la réunion interministérielle, quelles propositions feriez-vous au gouvernement ?


S. M. Il faut effectivement que le sujet soit traité dans un cadre plus large que le ministère de l’Intérieur, car nous ne sommes pas un problème de sécurité. Ce qu’on attend de cette réunion, c’est la levée des restrictions à l’accès au travail pour les ressortissants roumains et bulgares et surtout, que la concertation, la réflexion et le travail commun entre gouvernement, autorités locales et citoyens (en n’oubliant pas ici les Roms eux-mêmes) s'élargisse à d’autres acteurs de terrain. La voix des Roms avait demandé à participer à la réunion mais n’a pas reçu de réponse. Nous restons cependant disponible pour nous associer à des initiatives intelligentes, pragmatiques et efficaces, et avons des propositions concrètes allant en ce sens.

Pierre. Existe-il un pays européen qui pourrait être un modèle en terme d’intégration des Roms ? Si oui, lequel ? Et quelles solutions met-il en place ?
Sem. Existe-t-il des pays en Europe qui ont réussi l’intégration des migrants roms ou qui s’en donnent les moyens ?
Litoun. Comment peut-on laisser vivre en France des personnes dans une telle misère ?


S. M. D’abord, les Roms migrent très peu, et dans chaque pays, la très grande majorité d’entre eux ont la nationalité du pays en question (en France par exemple, environ 96-97% des quelque 500 000 Roms sont Français).

Un pays qui réussit plutôt bien, c’est l’Espagne. Ceci notamment parce qu’il considère les Roms (qu’on appelle Gitanos/Gitans là-bas) non pas comme un groupe ou un problème social, mais bien comme une identité particulière s’inscrivant dans les identités régionales et dans l’identité nationale espagnole. Par conséquent, les Gitans et leurs organisations sont de vrais interlocuteurs et acteurs, non seulement de leur propre sort, mais aussi de la vie du pays. A titre d’exemple, M. Juan de Dios, député espagnol et européen, Gitan, est un des députés qui ont signé la constitution démocratique espagnole après Franco.

Carl. Dans les rues, on voit des familles roms installées à même les trottoirs avec de jeunes enfants qui sont dans un état de misère inimaginable, d’où viennent-ils ? Pourquoi en sont-ils arrivés là ? Que font vos associations pour eux ?
Sidiifni. Concrètement, en tant que citoyen, que peut-on faire, à part aider les Roms que nous croisons (il y en a beaucoup où je vis), leur parler normalement, échanger ? Il me semble que nous souffrons d’un manque d’espaces de partage ? Qu’en pensez-vous?
Hugo. On parle d’intégration, mais les Roms souhaitent-ils s’intégrer ? Ça ne semble pas si évident...


S. M. Cher Hugo, on parle d’intégration sans se poser la question de savoir ce que c’est : vivre comme un employé de banque ? Comme un marchand ambulant ? Comme un prof d’université ? En tant que Roms, nous représentons une très large diversité sociale, qui reste très mal connue (qui savait ici quelque chose de Juan de Dios, pour ne prendre qu’un exemple ? Et du fait que Yul Brynner était Rom et président d’honneur de l’Union romani internationale ? etc. etc. Ceux parmi nous qui sont dans des situations d’exclusion extrême, le sont à cause de politiques répressives ou bien d’un assistanat aveugle qui ne les considère pas comme des êtres humains responsables.

Ce qu’on peut faire en tant que citoyen, c’est déjà de parler avec eux, normalement, de ne les prendre ni de haut, ni come objet d’admiration, de compassion etc., mais comme des égaux. A Saint-Denis, où j’habite, il y a un réseau de solidarité qui s’est constitué autour de citoyens et de militants associatifs et il contribue beaucoup à ce que les Roms du Hanul, expulsés de leur quartier en 2010, vivent normalement dans la ville et participent à la vie de celle-ci.

Réseau GDV. Attention à ne pas retomber dans les amalgames. Les Roms dont il est question actuellement sont les Roms migrants, pas les gens du voyage de nationalité française.
Sem. «Les Roms migrent très peu»... Les camps Roms évacués dont il est question dans l’actualité concernent des migrants ou des Roms français ?

S. M. Merci réseau GDV pour cette précision. Oui, les Roms qu’on évacue de leurs terrains actuellement sont des migrants de nationalité roumaine et parfois bulgares. D’ailleurs, il y a aussi, sur des terrains et des squats, des Roumains et des Bulgares non-Roms. Les Roms migrent très peu, c’est vrai. Par exemple, on estime qu’en Roumanie il y a environ 2 millions et demi de Roms. En France, dans des situations précaires, on a environ 15 000 personnes, et parmi celles-ci toutes ne sont pas Roms, comme je l’ai dit plus haut.

Gerad599. Bonjour, existe-t-il une donnée chiffrable quand au coût annuel qu’engendre les Roms en frais de vie (allocations ? nettoyage d’un terrain après expulsion, dégradation, utilisation de l'électricité...)

S. M. Bonjour, nous n’avons pas de données chiffrables, mais en parlant des Roms roumains et bulgares en situation précaire (il faut toujours qu’on soit clairs sur ce point), ils ne bénéficient d’aucune aide sociale. Quant aux frais occasionnés par votre liste, eau et électricité sont payées par les occupants à chaque fois que les autorités locales acceptent l’occupation, mais c’est très rare que ce soit le cas. La plupart du temps, les occupants utilisent des générateurs. Puis, en ce qui concerne le nettoyage des ordures, c’est une demande constante partout, mais les mairies y satisfont rarement. Cela coûte un certain prix, mais ce n’est un énorme trou dans le budget d’aucune ville.

Cdelco. Quel est le montant des sommes (annuel ou étalé), versé par l’UE à la Bulgarie et la Roumanie, pour l’amélioration de la situation des Roms ?
Réseau GDV. Quelle devrait être selon vous la coordination entre les pays d’origine des Roms migrants et les pays d’accueil ?

S. M. Bonjour Cdelco. Je ne connais pas le montant des subventions versées à la Bulgarie et à la Roumanie, mais d’une part, elles ne sont pas utilisées (entre autres parce que leur gestion est très complexe) et d’autre part la Roumanie n’excelle pas dans l’honnêteté et la transparence en matière de gestion financière, sans qu’elle soit la seule dans ce cas !; sans compter le manque de volonté politique, qui est aussi très présent en France, puisque la France peut aussi, comme la Roumanie, bénéficier de ce type d’aides européennes. Enfin, il faudrait aussi que cet argent n’alimente pas des business sociaux qui n’aboutissent à rien si ce n’est nourrir la haine raciale (voir l’exemple hongrois ou encore, en France les villages d’insertion) mais dans des vraies initiatives qui marchent et qui respectent tout le monde.

@Réseau GDV : On pourrait par exemple imaginer des jumelages entre collectivités locales, qui seraient soutenues aussi au niveau de l’Etat, et dans lesquels les Roms migrants en France seraient des ponts. Mais là aussi, comme dans toute chose, il faut que les politiques sortent de leurs peurs électorales et prennent le courage de faire de la politique autrement. On essaie de les y pousser...

Patoo41. Pourquoi une loi qui empêche les Roumains et les Bulgares de travailler comme les autres européens ?
Feuille. L’annonce du gouvernement affirmant que le travail serait le levier d’intégration des Roms me fait peur parce que, dans les milieux salariés, les discriminations sont actives et violentes parfois. Qu’en pensez-vous ?

S. M. Bonjour patoo41. Fin 2006, à la veille de l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union européenne, mais aussi de la présidentielle 2007, le gouvernement de l'époque a décidé de mettre ces freins au travail pour les citoyens de ces deux pays. Il s’agissait pour lui de promettre des objectifs chiffrés d’expulsion d'étrangers «en situation irrégulière» et de présenter des résultats chiffrés, ce qu’il a fait. Depuis, un tiers des expulsés tous les ans étaient Roumains et Bulgares, la plupart du temps Roms (soit environ 10 000 chaque année). Et pourtant, depuis 2006, on a à peu près le même nombre de Roms précaires en France, environ 15 000. Ils ont réussi donc à expulser 50 000 personnes sur 15 000! Il fallait y penser !

LouiseM. Avez-vous des informations concernant les programmes d’aide au retour et à la réinsertion dans les villages d’origine en Roumanie mis en place par l’OFII ? L’OFII pourrait-il servir de base institutionnelle pour l’exemple des jumelages que vous évoquez dans votre réponse à GDV, par exemple ?

S. M. Une info confidentielle : les personnels français de l’OFII à Bucarest se demandent s’ils appliquent leur obligation de réserve ou s’ils se mettent en grève, après avoir vu des rapatriements en Roumanie de mineurs et même de malades mentaux non accompagnés par leurs tuteurs. C'était le charter parti de Lyon. Les «opérateurs de l’OFII» en Roumanie, qui sont des associations agréées, ne sont pas exemptes de la maladie de la corruption. Le fait est que, parmi les expulsés, nous ne connaissons que des exemples négatifs : on a promis aux gens de les aider à commencer des activités économiques (élevage notamment) et on les a laissés tomber.

Justine. Dans quels secteurs professionnels les Roms pourraient trouver du travail ?
Quivive. La diversité des Roms ne rend-elle pas complexe les solutions à apporter ?
Ponot. Donnez-leur la possibilité de travailler, on réglera ainsi cette situation inhumaine !

S. M. Merci à tous les trois pour vos questions. La diversité des Roms rend les solutions diverses, complexes aussi, peut-être, mais en tout cas pas compliquées. Bien au contraire, elle aide à trouver les meilleures réponses. Comme je l’ai dit, nous exerçons des professions très différentes (il y a aussi des banquiers roms, sachez-le). Pour les quelques 10 à 15 000 en situation difficile, ils sont pour la plupart des paysans qui savent travailler dans des conditions difficiles et ne connaissent pas autre chose que l’agriculture bio. N’est-ce pas une piste ? Ensuite, culturellement nous gardons toujours nos personnes âgées dans la famille. Des jeunes pourraient accompagner des personnes âgées ou handicapées, quitte à ce qu’on leur offre une formation préalable. Et des idées comme ça, il y en a plein, il suffit juste d’en parler aux intéressés, ce que pas grand monde ne fait.

 

 

SOURCE, SUITE ET FIN / libération.fr

Tag(s) : #actualités
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