L'été approchant, nous commençons tous à songer aux vacances.
Normal.
Et qui dit vacances, dit lectures de vacances, et pour aller à la plage ou sur les sentiers de randonnées en haute montagne, rien ne vaut le format poche, et surtout une bonne histoire, facile à lire, sans prise de tête, mais qui en même temps possède un sens.
Alors le roman noir est là pour satisfaire toutes ces envies, et celui de Sylvie Cohen en particulier. Elle est enseignante, et cela se sent bien dans ses pages, elle connait son sujet. Elle écrit aussi des chroniques littéraires à La Marseillaise car elle a vécu à Marseille de longues années, avant de s'établir à Paris. Peut-être avez-vous lu "Dernier combat" ou "Manuel de subversion amoureuse" chez Après la lune ou encore "Les chiens fous" chez Belfond, sans oublier "Sale type" adapté au théâtre en 2001 avec Géraldine Danon.
Avouons-le, ici on aime bien les romans noirs, des romans qui très souvent en disent plus sur la déliquescence de notre société capitaliste que les œuvres complètes de BHL et Glucksmann réunies. Pourtant souvent les sujets choisis se ressemblent, sauf ici, où notre auteur choisit un thème d'actualité peu traité, celui de la violence à l'école.
Les multiples faits divers récents illustrent son choix judicieux.
Loin des clichés souvent proposés dans les "news magazines" qui nous vendent à la fois du vent et du papier, Sylvie Cohen nous propose une belle tranche de vie dans une "réserve", et qui dit "réserve" dit "Shérif", le tout raconté par des lycéens, à la manière de lycéens de 2011, avec leurs codes et leur vocabulaire. Des ados aussi insupportables parfois qu'attachants où la haine laisse poindre la tendresse.
Ou l'inverse d'ailleurs.
Des ados pas faciles, mais bien vivants. Mais les adultes, eux, semblent parfois en voie de fossilisation. Et un des profs qui rament, va bientôt devenir une sorte de cible.
Un enchaînement implacable va se mettre en place, et la grande machine éducative va se bloquer. Et quand une grande machine se bloque, cela fait toujours des dégâts qui n'épargne personne.
Tout cela avançant vite, avec un zeste d'humour et assaisonnée d'une belle férocité, ce qui fait le charme de l'auteur.
Dan29000
Mammouth rodéo trash
Sylvie Cohen
Collection Lunes blafardes
Editions APRES LA LUNE
2011 / 224 p / 10 euros
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EXTRAIT /
"Avant que le car démarre le chauffeur a pris le micro. "Voilà si j'entends un seul bruit, un souffle même, pendant le trajet, j'arrête et je vous débarque sur le bord de la route avec deux baffes en prime. Moi, je ne suis pas dans l'Elévation nationale et je ne me gênerai pas." On a pas moufté mot de tout le voyage. C'est chouette de décramponner, parfois. On peut regarder le paysage, observer le traffic automobile et consacrer ses neurones au jour lointain où aucun tordu ne sera assis à côté de vous."
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Un entretien de Sylvie Cohen avec Eric Furter sur Mammouth rodéo trash
Eric Furter. Quel est pour vous le point de départ de ce livre : un cri de révolte contre l’éducation nationale ou « un dépit amoureux » ?
Sylvie Cohen. Un cri de rage plutôt contre le système. Malgré le tourbillon de folie contagieuse qui anime Mammouth rodéo trash, c’est, je crois aussi, un hymne au métier : pour exemple, le surnommé « Ultralucide ».
E.F. La violence crue que vous décrivez ne semble pas pouvoir être endigué par une morale ou un valeur démocratique quelconque. Au-delà de la perte de valeur n’y a t-il pas une carence démocratique, une limite à ce qu’elle prône : l’égalité des chances, le respect des uns envers les autres... bref la religion démocratique n’est-elle pas tout simplement au bout du rouleau ?
S.C. Je n’ai pas eu pour idée de penser politique, idéologie en écrivant mon livre. C’est un roman : je ne démontre rien, je raconte une histoire en tentant d’émouvoir le lecteur. La violence semble devenir le seul repère, toutes catégories sociales confondues. Ainsi, le jeune surnommé JCE, a tout pour lui a priori : il est issu d’un milieu favorisé et pourtant…
E.F. Les enseignants sont comme des pions sur un échiquier ; ils disparaissent dès qu’ils craquent : que deviennent-ils après ? Reviennent-ils ? Sont-ils condamnés à finir leur vie de clinique psychiatrique en clinique psychiatrique ? Peuvent-ils se défaire de l’idée d’avoir été abandonné ou trahis ?
S.C. Le lieu que je décris n’appartient pas aux zones violences, ni aux zones d’éducation prioritaire mais à la petite classe moyenne mais cela n’empêche que la violence y règne contre l’enseignant mais aussi entre les jeunes eux-mêmes. Les enseignants réagissent différemment : certains craquent mais d’autres tiennent bon. Ainsi une des « formatrices » après avoir voulu innover s’incline devant la hiérarchie. Ils sont surtout humiliés : tout est de leur faute. L’administration les abandonne, la famille elle-même se laisse déborder par leur enfant, ou alors autre dérive : l’enfant est considéré comme un dieu.
E.F. Les personnes que vous décrivez représentent une catégorie de population frappée par la crise mais pas particulièrement exposée. Considérez –vous que le désarroi social annihile la notion de catégorie ou au contraire la renforce ?
S.C. Non, ce n’est pas le désarroi social mais le désarroi psychologique et le mimétisme qui provoque le dysfonctionnement. Aucun de mes personnages n’est misérable. Et même les plus défavorisés s’en sortent plutôt bien comme celui surnommé « Yeux bridés ». Max, le dit caïd, a surtout des problèmes à cause de sa structure familiale : une mère déconnectée et un père quasi inexistant.
E.F. La violence est-elle la seule issue à la situation actuelle dans le monde de l’éducation ; voyez-vous une autre issue ?
S.C. La violence existe dans la société et non pas seulement dans le monde de l’éducation. C’est « du copié-collé » comme dit un de mes personnages. Il est entendu qu’il faudrait une solution dans le monde de l’éducation. Il y a de nombreuses possibilités mais je ne suis que romancière.
E.F. Votre travail littéraire passe par une langue renouvelée : quelles ont été vos influences littéraires ou cinématographiques ?
Comme vous l’avez bien souligné dans votre critique, seuls le travail sur la langue et la structure narrative peut placer le lecteur dans ce tourbillon vertigineux, cette spirale obsédante dans lesquels les personnages s’enfoncent. Mon influence essentielle littéraire est la littérature américaine : de Faulkner, Norman Mailer, Styron, Carson Mac Cullers etc…Et plus près de notre époque, certains romans de Joyce Carol Oates, Volmann, Widerman, un ou deux de Palahniuk, Bret Easton Ellis. Pour le cinéma, David Lynch, Polanski, « Pulp fiction » de Tarantino, certains de C. Eastwood, quelques uns de Almodovar., Visconti.
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