Sud Ouest 5 janvier 2011 06h00
Avant le traité sur l'Union européenne, le droit de punir demeurait l'un des attributs les moins contestés de la souveraineté des États. La législation pénale relevait de la compétence des États membres, une façon de rappeler le « déficit démocratique » fréquemment imputé à l'Union européenne. L'institution en 2002 d'un mandat d'arrêt européen (MAE) après les attentats du 11 septembre oblige à regarder différemment les choses. Cet instrument définit une procédure rapide et simplifiée, de juge à juge, de remise d'une personne par les autorités d'un État membre à un autre État membre, sur la base de la confiance mutuelle que se portent naturellement les États de l'Union. Il renverse deux principes cardinaux de l'entraide répressive : la non-extradition des nationaux et la double incrimination.
Le cas d'Aurore Martin illustre les enjeux juridiques et politiques de cet instrument, l'émoi de l'opinion publique française témoignant d'une incompréhension certaine. Le but du MAE est, certes, de rendre plus efficace la coopération judiciaire en Europe, notamment dans la recherche des infractions les plus graves, mais le respect des droits fondamentaux dont il se réclame expressément implique peut-être la mise en œuvre de quelques garde-fous.
Dans l'affaire Aurore Martin, les griefs de la justice espagnole à l'encontre de cette ressortissante française se résument à des faits de « participation en qualité de membre à trois réunions publiques et à une conférence de presse du parti Batasuna à Pampelune et Saltavierra (Pays basque espagnol) en 2006 et 2007 ». Qualifiés par le juge espagnol puis, par le juge français, de « participation à une organisation terroriste », ils valent à Aurore Martin d'être livrée aux autorités espagnoles, l'infraction qui lui est reprochée étant passible d'un emprisonnement de douze ans.
Or, l'appartenance d'Aurore Martin à Batasuna, interdit en Espagne mais pas en France, est au cœur de la poursuite engagée, même si la Cour européenne des droits de l'homme n'a pas condamné cette mise à l'écart. En souscrivant à l'inscription de ce mouvement sur les listes antiterroristes de l'Union sans procéder à son interdiction, la France pose un problème évident de cohérence politique comme de technique. Mettre à l'écart la « double incrimination » n'en laisse pas moins subsister le sentiment d'une remise d'Aurore Martin pour des actions admises en droit français.
On peut alors penser que le juge d'un État invité à livrer l'un de ses ressortissants puisse exercer un contrôle des conditions dans lesquelles cette remise s'effectue. Contraindre l'État d'exécution du MAE ne doit pas dispenser d'un regard porté sur l'action du juge d'émission de ce mandat. L'émergence d'un droit pénal de l'Union rend plus que jamais nécessaire ce contrôle. Force est de constater que la Cour de cassation s'en tient le plus souvent à un contrôle minimum.
S'agissant plus particulièrement des infractions qui revêtent un caractère transfrontière, le danger peut effectivement se trouver dans la latitude laissée aux États qui peuvent être tentés par un excès de répression. Il faut dire que la définition de la collaboration à un acte terroriste retenue par le Code pénal espagnol permet d'y inclure les actions non terroristes des groupes partageant les mêmes objectifs politiques que ces groupes violents.
La participation d'Aurore Martin à une conférence de presse et à trois réunions du parti Batasuna, sans autre précision, pouvait-elle suffire à conclure, en regard des droits fondamentaux, à son appartenance à une organisation terroriste ? Ainsi en ont jugé la cour d'appel de Pau et la Cour de cassation dans des arrêts qui ne font que confirmer la faible marge de manœuvre des autorités judiciaires dans le cadre de l'entraide européenne. Elles auraient pu interroger la Cour de justice de l'Union à titre préjudiciel à ce sujet. Elles ne l'ont pas jugé utile, ce que l'on peut regretter.
Il reste l'insatisfaction du juriste comme du citoyen qui voudraient trouver dans la lecture des arrêts les éléments d'un contrôle effectif sur le respect des droits fondamentaux, des droits ne connaissant pas les frontières. Avant toute idée européenne, Blaise Pascal n'écrivait-il pas : « Plaisante justice qu'une rivière borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».
Jean-René Etchegaray, avocat, ancien bâtonnier à Bayonne.
Henri Labayle, chaire Jean-Monnet de droit communautaire, professeur à l'université de Pau et des pays de l'Adour.
Par Euroaginduari EZ - Publié dans : Prentsa