mediator-censureMediator : le rapport de l'IGAS accable Servier et le système de santé français
 


 Rendu public samedi 15 janvier, le rapport (.pdf, 2309 Ko) des trois inspecteurs de l'’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur le Mediator épingle "dès l’origine, une stratégie de positionnement du Mediator par les laboratoires Servier en décalage avec la réalité pharmacologique de ce médicament."

 

Même si la mission n’avait pas légalement compétence pour investiguer les pratiques du groupe Servier ou auditionner ses responsables, elle n’en consacre pas moins une part importante du document à des agissements qui font porter au laboratoire une " responsabilité première et directe ", comme l’a indiqué pour sa part le ministre du travail et de la santé, Xavier Bertrand.

Le rapport examine tout d’'abord l'’origine historique du benfluorex, nom générique du Mediator. Il rappelle les recherches menées à partir de la fin des années 1950 pour mettre au point des médicaments contre l’'obésité. "L'’objectif des travaux alors engagés et de parvenir à dissocier les propriétés anorexigènes des amphétamines de leurs effets stimulants potentiellement dangereux." Ces travaux aboutissent, en 1960, à la découverte d’'un dérivé de l'’amphétamine, la norfenfluramine à partir de laquelle une famille de médicament va être développée, les fenfluramines.

C'’est à elle qu’appartiennent les molécules qui seront commercialisée sous le nom de Pondéral (fenfluramine) et Isoméride (dexfenfluramine), le Mediator (benfluorex) se transformant comme elles deux en norfenfluramine dans l’'organisme.

Les inspecteurs de l'’Igas ont prêté beaucoup d’'attention à un document : les actes, parus en 1970 grâce au financement de Servier, d’'un symposium tenu à Milan en 1969 sur les molécules dérivées de l'’amphétamine. On y apprend dans un article de chercheurs des laboratoires Servier que le benfluorex (Mediator) est repéré en 1966 "pour son fort potentiel anorexigène et la faiblesse apparente de ses effets secondaires."

LES "DISCORDANCES" DANS LA COMMUNICATION DE SERVIER

L'’Igas relève "une discordance surprenante et frappante" entre cet article qui met en avant une action au niveau cérébral et un second, rédigé par un autre groupe de chercheurs de Servier, puisque le benfluorex apparaît tantôt comme un anorexigène assurément puissant, tantôt pouvant peut-être entrainer une baisse du poids en agissant sur les métabolismes des lipides et des glucides.

La mission a retrouvé des études initiales sur le benfluorex montrant qu’'il s’'agit d’'un "anorexigène puissant et même très puissant chez l'’animal". Mais, comme Servier commercialise déjà depuis 1963 un anorexigène, la fenfluramine, sous le nom de Ponderal, il va privilégier "l'’hypothèse d’'une action du benfluorex sur le métabolisme des lipides et des glucides". Ce sera la base du positionnement choisi par Servier : mettre en avant une "spécificité" du benfluorex par rapport au groupe des dérivés fenfluraminiques. Cette "doctrine" sera mise en application jusqu’'à la suspension de l’'autorisation de mise sur le marché (AMM) du Mediator en novembre 2009.
 

"L'’insistance ultérieure des laboratoires Servier à valoriser des indications thérapeutiques qui seraient propres au benfluorex – dont on verra plus loin qu’'elles n'’ont pourtant jamais été validées – contribuera à faire oublier au plus grand nombre ces données pharmacologiques de base. Au moment où le benfluorex va être mise sur le marché, la préoccupation des laboratoires Servier est de présenter ce nouveau médicament comme ce qu’'il est peut-être :– un adjuvant au traitement des hyperlipidémies et du diabète de type 2 -, et non comme ce qu’il est à coup sûr – un puissant anorexigène ", assènent les inspecteurs de l’'Igas. 

La stratégie de camouflage adoptée par les laboratoires Servier consiste minimiser le caractère anorexigène du benfluorex mais aussi le fait qu’il n’'est actif qu’une fois transformé dans l’'organisme en norfenfluramine. Les laboratoires Servier ont affirmé eux-mêmes ce dernier point dans un document qu’'ils ont adressé le 23 décembre 1998 au ministère italien de la santé. "Cet “aveu”, écrivent les inspecteurs de l’'Igas, (…) les laboratoires Servier ont cherché, après l'’avoir reconnu, à le faire oublier."

"OCCASION MANQUÉE"

Cette mention a en effet été supprimée dans la version du même document envoyé six mois plus tard à l’'Afssaps, à la demande de celle-ci. De même, après qu'’il sera établi en 1995 que la fenfluramine est une molécule dangereuse, le groupe Servier ne cessera de répéter que le benfluorex est radicalement différent et que les niveau de norfenfluramine atteints dans l’'organisme sont moindre avec lui qu’'avec la fenfluramine et ses dérivés. Or, rappelle le rapport, après administration d’'Isoméride, de Pondéral ou de Mediator aux doses préconisées en thérapeutique, les niveaux des concentrations dans le sang de la norfenfluramine sont "similaires".

 

La stratégie de communication des laboratoires Servier, qui oublie les caractéristiques pharmacologiques du benfluorex, va permettre au Mediator, "en dépit d'’alertes nombreuses et répétées" de "franchir sans encombre divers barrages qu'’auraient dû être les commissions d’'AMM, les comités techniques, les commissions nationales de pharmacovigilance, les commissions de la transparence, les vagues successives de déremboursement", résument les inspecteurs. Ce médicament "pourra ainsi poursuivre son chemin de spécialité pharmaceutique pendant encore 14 ans et échappera en particulier à la mise à l'’écart des anorexigènes et des fenfluramines en 1995". Après cette "occasion manquée", le benfluorex restera encore douze ans sur le marché.

 "ROULÉS DANS LA FARINE"

La mission estime que le déroulement des événements qu’'elle retrace "est très largement lié au comportement et à la stratégie des laboratoires Servier qui, pendant 35 ans, sont intervenus dans relâche auprès des acteurs de la chaîne du médicament pour pouvoir poursuivre la commercialisation du Mediator et pour en obtenir la reconnaissance en qualité de médicament antidiabétique". Les inspecteurs reprennent une expression employée par plusieurs personnes auditionnées qui témoignaient que les laboratoires Servier avaient "anesthésié" ces acteurs et les avait même "roulés dans la farine", ainsi que l’on déclaré deux anciens présidents de la commission d’'AMM.
 

Dans un communiqué publié le jour même, les laboratoires Servier "prennent acte des premières conclusions de l’enquête de l’'Igas", mais ils "s'’étonnent des responsabilités que semblent leur faire porter les conclusions du rapport d'’enquête" et "qui ne leur apparaissent pas conformes à la réalité." Faute d’'avoir été auditionnés, "ils souhaitent répondre point par point et avoir l’'opportunité de montrer qu'’ils ont toujours travaillé en étroite collaboration avec les instances de pharmacovigilance et les autorités de santé, dont ils ont scrupuleusement appliqué toutes les décisions". Les laboratoires Servier rappellent également "leur engagement d'’assumer toutes leurs éventuelles responsabilités à l'’égard des patients qui constituent leur première préoccupation".

 

Paul Benkimoun

 

Source : LE MONDE.FR

Tag(s) : #actualités
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