L'exécution prévue de Troy Davis suscite l'indignation des médias américains

LEMONDE.FR | 21.09.11 |


 

Manifestation en soutien à Troy Davis à Atlanta, mardi 20 septembre.

Manifestation en soutien à Troy Davis à Atlanta, mardi 20 septembre.REUTERS/JOHN AMIS

 

 


"Une journée de honte", "une tragique erreur judiciaire". Au lendemain de la confirmation par le comité des grâces de l'Etat de Géorgie de la condamnation à mort de Troy Davis, qui doit intervenir mercredi 21 septembre dans la soirée, les éditoriaux dans la presse américaine sont cinglants. Troy Davis, 42 ans, dont vingt à clamer qu'il est innocent du meurtre d'un policier en 1989, n'a désormais plus aucun recours, sinon une hypothétique grâce de dernière minute.

Dans une tribune virulente publiée par le Huffington Post, Bianca Jagger – ex-épouse de Mick Jagger, chanteur des Rolling Stones, et militante des droits de l'homme – appelle l'Etat de Géorgie à faire un geste immédiat, "le système judiciaire américain ayant échoué à établir la culpabilité de Troy Davis au-delà d'un doute raisonnable". Bianca Jagger rappelle toutes les failles dans le dossier Troy Davis : absence de preuves matérielles directement liées au meurtre ; l'arme du crime jamais retrouvée ; le retournement de sept des neuf témoins clés ;  les soupçons de pressions policières (lire notre synthèse sur l'affaire Davis).

"Comment le comité des grâces de Géorgie peut-il refuser la clémence à Troy Davis quand tant de doutes persistent quant à sa culpabilité ?" s'interroge la militante. Et de mettre en garde l'Etat de Géorgie : "Rien ne peut entamer davantage la confiance publique dans un système judiciaire qu'une exécution d'un condamné pour lequel il existe de sérieux doute. La Géorgie ne peut se permettre une telle erreur."

"UNE MÉTHODE DE PUNITION PRIMITIVE"

Pour plusieurs journaux américains, l'abolition de la peine de mort est une évidence : "Nous ne savons pas si Davis est innocent ou pas. Lui seul le sait, avance le Los Angeles Times. Mais tant de doutes ont surgi depuis sa condamnation qu'il est impossible de dire avec certitude s'il est coupable. C'est pourquoi sa peine aurait dû être commuée en prison à vie, sans discussion, et c'est pourquoi la peine de mort doit être abolie."

 

Troy Davis doit être exécuté mercredi 21 septembre, à la prison de Jackson, en Géorgie.

Troy Davis doit être exécuté mercredi 21 septembre, à la prison de Jackson, en Géorgie.AFP/HO

 


Pour le LA Times, la faiblesse du système judiciaire américain repose sur la difficulté à inverser une décision rendue en première instance. En effet, alors qu'en première instance la culpabilité du prévenu doit pouvoir être démontrée au-delà du doute raisonnable, en appel l'accent est mis sur la recherche des preuves d'innocence, souligne le quotidien californien. Or, dans le cas de Troy Davis, les avocats de la défense n'ont pu apporter de preuves matérielles convaincantes de son innocence. "Cela signifie que même lorsque de nouveaux témoignages jettent un doute sur le premier verdict, ce n'est pas suffisant pour sauver la vie d'un condamné. Cette exécution, si elle est menée à son terme, doit rappeler à tous les Américains l'injustice inhérente à une méthode de punition primitive", conclut le LA Times.

Si le cas de Troy Davis a provoqué une mobilisation internationale, "il n'est pas différent par essence d'autres cas d'exécution, rappelle le New York Times. D'un bout à l'autre des Etats-Unis, le processus légal de la peine de mort a prouvé son caractère discriminatoire et injuste. (...) Cas après cas, les raisons s'accumulent pour abolir la peine de mort." Et le journal de remettre en cause les méthodes utilisées par la police pour faire reconnaître des suspects par des témoins, ou de questionner la validité de preuves matérielles sur lesquelles reposent des condamnations, comme par exemple les traces d'ADN, qui peuvent facilement être manipulées. Pour le New York Times, la décision du comité des grâces de Géorgie représente une "tragique erreur judiciaire".


 "STATISTIQUES GLAÇANTES" 

Sur le forum Web de CNN, malgré de rares soutiens au comité des grâces (Andy, pour qui "Troy Davis a eu un procès équitable. La défense n'a jamais pu apporter la preuve que le jury s'était trompé. Son cas a été vu et revu : il faut appliquer la sentence du jury"), les commentaires abondent dans le sens d'une nécessaire clémence : "Je suis un ardent partisan de la peine de mort, mais il y a ici tellement de doutes que le rejet de sa demande de clémence défie toute logique", écrit ainsi Chris.

En Espagne, El Pais rapporte les "statistiques glaçantes de la peine de mort aux Etats-Unis" : selon les données du Centre d'information sur la peine de mort, les Etats-Unis ont exécuté cent douze condamnés en 2010, un chiffre en baisse de 50 % par rapport à 1999, mais qui fait apparaître les Etats-Unis "au même niveau que l'Arabie saoudite, la Chine, l'Iran ou le Yémen", souligne El Pais.

Le journal s'est penché sur les données montrant le caractère discriminatoire de la peine capitale : 75 % des assassinats punis par la peine de mort sont des meurtres de Blancs, alors que 50 % des assassinats recensés aux Etats-Unis concernent des Blancs. Sans parler du coût de cette peine : en Caroline du Nord ou au Texas, chaque exécution coûte 2 millions de dollars, trois fois plus que le coût de maintenir quelqu'un en prison hautement sécurisée pendant quarante ans. Conséquence : de nombreux Etats suspendent les exécutions, mais pour une raison purement pragmatique, par manque de fonds.

Les défenseurs de Troy Davis espèrent qu'un débat de fond sera engagé aux Etats-Unis sur l'abolition de la peine de mort. "Le combat pour la justice ne s'arrête pas avec moi, leur a écrit le condamné, hier, après la décision du comité des grâces. Ce combat est pour tous les Troy Davis avant moi et tous ceux qui viendront après moi."

Mathilde Gérard

Intense mobilisation internationale

La mobilisation pour Troy Davis dépasse largement le cadre des Etats-Unis. A Paris, le Quai d'Orsay a souligné, mercredi, que son exécution constituerait une "faute irréparable" et a appelé "une dernière fois le procureur et les autorités de Géorgie à arrêter son exécution, des doutes réels et sérieux demeurant sur la culpabilité de M. Troy Davis".

Le Conseil de l'Europe appelle lui aussi les Etats-Unis à l'épargner. "La raison n'est pas seulement notre désapprobation concernant la peine capitale, mais avant tout les doutes sérieux qui persistent sur l'intégrité de la condamnation", explique le Conseil dans un communiqué. "L'Europe est un proche allié et un ami des Etats-Unis d'Amérique, et dans des moments comme celui-ci, les vrais amis sont ceux qui s'expriment avec le respect et l'honnêteté que notre relation mérite."

M. Davis jouit de l'appui de personnalités comme l'ancien président Jimmy Carter, le pape Benoît XVI ou l'actrice Susan Sarandon. Des centaines de manifestations de soutien sont prévues aujourd'hui dans le monde, dont une à Paris, à 18 h 30 place de la Concorde, à l'initiative d'Amnesty International.

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