Mourir pour exister
par POL
J’écris alors que la mort de Mohamed Merah vient d’être annoncée, à 11h 37. Il est mort comme je le craignais (Le Monde titrait à 10h42, vie et mort d’un Djihadiste). Il y a eu deux blessés parmi les policiers. Et c’est vraiment terrible que ce jeune homme soit décédé dans ces circonstances, en tirant sur des policiers.
J’écris au lieu de me taire, mais j’écris parce que France 2 a diffusé une vidéo amateur où l’on voit Mohamed Merah, il y a deux ans, frimant au volant d’un véhicule. Que voit-on ? L’image heureuse d’un petit mec qui roule des mécaniques, l’image banale qui pourrait avoir été réalisé par d’autres jeunes gars, pour d’autres regards. Le genre d’image captée au téléphone portable et immédiatement diffusée sur Facebook. Cette vidéo rendue public pendant le journal est criante de vérité, elle ne correspond pas à ce que nous entendons depuis le début de cette histoire. On peut y lire tellement de chose banale. On voit déjà que ce jeune homme n’est pas très discipliné, et que sa conduite correspond probablement à la manière dont il veut faire cabrer le véhicule. Dans cette vidéo, triviale, réelle, qui nous montre comment, lui, il se voit, comment il veut se représenter lui-même, il y a deux ans, nous voyons l’image bête d’un garçon frimeur ! Nous sommes loin de l’image de la bête assoiffée de sang qu’on avait fabriqué pour nous. Je retrouve le Mohamed Merah décrit par son avocat à la télévision, comme un petit délinquant sympathique, doux, poli, incapable de ce genre d’acte. C'est la question qu’il nous faudra résoudre: comment un petit gars, comme cela, peut devenir le monstre criminel qui tient en otage toute la République. Il faudra répondre à cette question, et cela va prendre un certain temps, pour éviter de dire toutes les bêtises qu’on entend à la télévision, à la radio, sur Facebook et ailleurs. (Et que personne ne vienne me dire que je prends la défense du criminel, ou que je ne suis pas sensible à la douleur des victimes; parce que ce serait évidemment faux)
C’est un garçon FRANÇAIS, qui commet un massacre en se proclamant Djihadiste. Un garçon qui ressemble comme une goutte d’eau à une pléthore d’autres. On ne peut pas dire seulement que c’est un psychopathe qui a manqué d’une figure paternelle. Sinon j’en connaîs plein d’autres qui deviendraient terroriste. La folie, évoquée à tout moment, ne peux en aucun cas servir d’explication. Je trouve une partie des réponses à mes questions dans le livre de Christian Salmon, Kate moss machine, Quel rapport entre Kate Moss et Mohamed Merah? Et bien vous le voyez dans la vidéo, à l’âge du numérique, dans la société néolibéral nous sommes tous des mannequins anglais, qui sommes obligés de faire des performances, continuellement, pour nous, pour nos amis, pour notre profil Facebook. Ce que j’écris ici, n’est pas un plaidoyer, ni une excuse, c’est juste un élément d’explication. Christian Salmon m’a fait comprendre : Qu’il nous faut devenir stratège, devenir des sujets aguerris capables de faire un usage intensif de nos compétences et de nos affects, dans le but de donner la meilleure image de nous-mêmes. Qu’il faut plutôt que d’avoir une vie qui ne vaut rien, trouver un moyen d’exister en tant qu’image, en poussant la logique au plus loin. Ce n’est pas un fou de dieu – à mon avis – qui a commis ces actes, mais bien un Français. C’est la question du travail, de l’insertion, de la reconnaissance qui est pour moi la question poser par cette histoire. Mohamed Merah a trouvé sa voie, pour exister, pour se détruire, il aurait pu s’intégrer dans l’armée ou ailleurs. Son itinéraire devrait permettre de comprendre que les solutions proposées par certains son absurdes.
Philippe Cohen que j’ai rencontré au quatrième forum de la géopolitique de Grenoble au début du mois, interroge mon camarade Christian Salmon (dont vous pouvez lire des billets sur Médiapart http://blogs.mediapart.fr/blog/christian-salmon/210312/letat-de-peur-totale) dans Marianne. http://www.marianne2.fr/Christian-Salmon-La-suspension-de-la-campagne-a-installe-le-monologue-sarkozyste_a216551.html
Je cite : On vient de vivre plusieurs jours de psychodrame national, orchestrés par le président des effrois successifs, l'ordonnateur de la grand-peur nationale. On le sent bien désormais. Ce n’est pas la campagne seulement qui a été suspendue par les principaux candidats, c’est le sens, la capacité à débattre et à symboliser. Le storytelling de la peur se donne à lire pour ce qu'il est : un déni de démocratie. J’en veux pour preuve la débauche de récits médiatiques qui n’ont d’autre but de plonger le pays dans un « Etat de Peur Totale». De sidération.
Il va falloir sortir de la sidération, et essayer de comprendre le parcours de Mohamed Merah, et comprendre aussi pourquoi depuis plus de trente heures, la télévision – twitter donne de meilleures infos – fonctionne avec cette vacuité de sens.
Nous sommes tous des crapules romanesques comme le disait Pierre Michon. Nous feignons de nous intéresser au Chômage, à la Crise aux victimes du terrorisme, alors que alors que nous sommes assoiffés d’histoires, de héros et de méchants. Nous nous vautrons dans les feuilletons politiques qui n’ont d’autre but que de nous tenir en haleine. Nous exigeons du suspens, des coups de théâtre. Nous revendiquons notre part d’émotion.
Comme je l’écrivais moi-même, l’idée de suspendre la campagne électorale était une stupidité, Christian Salmon lui est plus précis : Suspendre une campagne électorale à l’heure de l’info 24/7 et d’internet cela relève du leurre. La figure de la suspension de campagne fait partie désormais des campagnes comme l’avait bien montré en 2008 la double requête de John MacCain. Ce n’est pas une suspension, c’est une mise sous tension, c’est un suspense imposé au rythme de la campagne, autrement dit, c’est la continuation de la campagne par d’autres moyens. En vérité, c’est pour Sarkozy le moyen de se placer au cœur de la campagne et de réduire au silence ses adversaires. Sidération et stupeur. D’ailleurs, depuis que la campagne est suspendue on n'entend plus que lui. Il est le seul à faire campagne. Mélenchon et Bayrou ont eu raison de refuser ce piège, l’un au nom d’une résistance à la xénophobie et l’autre au nom d’une réflexion nationale. Mais réfléchir c’est aussi résister et vice versa
J’écris pour ne pas être dans cette sidération. Christian Salmon continue
Le sarkozysme est à faible teneur idéologique mais à forte densité émotionnelle. Le duo que forme Sarkozy avec Guaino, c'est un souverainisme des passions tristes, un républicanisme émotionnel, j'allais dire reptilien. C'est le régime des passions tristes, des identités pleurnichardes qui cherche à rendre contagieux un état d'esprit de petit blanc névrosé. Tout cela s'appuie sur une mythologie de classe primaire, une culture constituée de vignettes historiques... Ces gens qui parlent sans cesse d'identité nationale, de hiérarchies de civilisations ont un imaginaire provincial, daté. C'est l'identité vintage des hommes sans récit. Ils pratiquent le mixage des décennies et ne réussissent qu'à reproduire la confusion qui est dans leur esprit.
Il faut reprendre la campagne et combattre la confusion, j’y reviendrais.
Source : MEDIAPART