Depuis la réussite de son premier documentaire co-réalisé avec Mordillat, "La voix de son maître" en 1978, Nicolas Philibert compte parmi nos meilleurs documentaristes, avec de belles réussites comme "La ville Louvre" ou le magnifique "Le pays des sourds". Chaque sortie de ses films est un petit événement. Il est donc indispensable de voir l'ensemble de son œuvre, ce qui est possible en se procurant un coffret de 9 DVD contenant ses 14 films,chez le même éditeur que "Nénette".
Si Nicolas Philibert est fort connu, il n'en était pas de même pour Nénette, avant la sortie de ce film. Même si elle avait déjà une belle notoriété, mais limitée aux visiteurs de la Ménagerie du Jardin des plantes à Paris. Née en 1969 dans les lointaines forêts de Bornéo, et présente dans les lieux depuis 1972, elle est devenue la doyenne de l'endroit toujours aussi visité. 600 000 personnes par an. Peu à peu, Nénette est devenue une vedette à part entière face à cette foule sans cesse renouvelée. On la photographie, on la filme, on discute devant sa cage de verre, on l'admire, et chacun essaie de deviner son état d'esprit du moment.
Formidable sujet pour ce réalisateur de talent qui filma durant plusieurs semaines la "star", enregistrant les commentaires des visiteurs ou les confidences des soigneurs. Ajoutons même les réflexions de quelques amis du cinéaste, comme une psychanalyste ou un comédien.
Mais au-delà du film sur cette orang-outan, on distingue assez vite une réflexion passionnante sur le regard, sur la captivité et donc la liberté, et même sur le voyeurisme.
Difficile alors de ne pas se demander, qui regarde qui ?
Le regard persistant au fil des jours de Nénette nous trouble.
Un regard attentif, attentif à l'équipe technique, attentif à la caméra, comme profitant du spectacle improvisé qui lui était offert.
Nicolas Philibert ne cache pas, qu'initialement le film devait durer de quinze à vingt minutes. Il fit le choix de filmer de manière frontale, à travers la vitre de la cage, permettant de restituer ainsi la vision des visiteurs.
Autre formidable atout du film, l'absence de contrechamp. Le réalisateur nous offre une formidable disjonction entre image et son. On voit alors les animaux sans les entendre, et on entend les humains sans jamais les voir. Cela surprend au début, mais cela est rapidement terriblement efficace. Sans ce choix audacieux le filme n'aurait pas été identique.
Si parfois les humains dégagent une forte animalité, ici, Nénette, impressionnant animal, dégage un sentiment d'humanité par ce regard troublant qui vient se poser dans nos yeux. Difficile d'échapper alors à l'émotion, une émotion qui, elle aussi, trouble.
Nénette est loin de nous, enfermée, inaccessible, mais aussi très proche.
Enfin, signalons une magnifique bande son qui nous offre des paroles diverses :
commentaires des visiteurs dans leur diversité (familles, touristes, bande d'ados ou encore étudiants), soigneurs, et aussi un texte de Buffon, le créateur du jardin, et même un air de musique tzigane !
Encore une belle réussite signée Nicolas Philibert.
Dan29000
Nénette
Nicolas Philibert
Editions Montparnasse
2011 / 67'+ 64' / 15 euros
Disponible le 1er mars 2011
Nénette (Nicolas philibert)
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Compléments DVD /
La nuit tombe sur la Ménagerie, par Nicolas Philibert – 11 min – 2010
C’est l’heure de la fermeture. Les derniers visiteurs s’en vont, Tandis que la nuit tombe, une étrange atmosphère gagne peu à peu les allées de la ménagerie, puis la ville toute entière…
La projection, par Nicolas Philibert – 8 min – 2010
Novembre 2010. Huit mois ont passé depuis la sortie en salles de Nénette. Nicolas Philibert, qui s'était promis de montrer le film à son héroïne principale et à son fils Tübo, met enfin son projet à exécution. Une séance de cinéma pas comme les autres…
Entretien avec Gérard Dousseau, chef-soigneur à la Ménagerie du Jardin des Plantes, par Christine Masson, pour l’émission « On aura tout vu » (France Inter) – 45 min
Employé à la ménagerie depuis 1974, Gérard Dousseau a noué des liens très forts avec les orangs-outans, en particulier avec Nénette. Il est le seul, si nécessaire, à pouvoir entrer dans sa cage. Dans ce long entretien, il analyse la nature de ces liens, évoque sans complaisance le rôle et l’évolution des zoos, revient sur le film de Nicolas Philibert et le comportement des animaux face à la caméra…
Presse /
« Comme tous les films de Nicolas Philibert, “Nénette” n’est pas un film « sur » ce qu’il montre. Ce n’est ni un film sur les singes, ni un film sur le fossé entre humains et animaux, ni un film sur les zoos et leurs visiteurs, encore moins un film sur l’incommunicabilité (au secours !). Drôle, touchant, compliqué, surprenant, Nénette est un film. C’est bien mieux. »
Jean-Michel Frodon – Slate.fr
« J'ai vu “Nénette”. Avec passion. C'est un film magnifique. Même s'il est documentaire, ce n'est pas un documentaire, un film, tout simplement. Tout y est à la fois d'une beauté extrême et d'une intelligence extrême. Bien sûr, il est sur une orang outan, mais en un sens, le vrai objet du film, c'est le regard, un objet de cinéma. C'est sans doute sinon le seul film, du moins un des rares films dont on pourrait dire que le sujet, et l'objet est le regard. »
Gérard Wacjman, écrivain et psychanalyste.
« Nénette est le personnage de cinéma opaque suprême. Un visage indéchiffrable sur lequel projeter mille hypothèses, qui nous renvoit à nos interrogations sur notre part d’animalité et sur notre condition humaine » Serge Kaganski - Les Inrockuptibles
« Miracle du cinéma, l'œuvre parvient à nous passionner là où on aurait craqué au bout de dix minutes dans la réalité. » Jean Roy - L’Humanité