451.jpgNotre poison quotidien

 Ces agriculteurs malades des pesticides

 

Le 19 mars dernier, à Ruffec, en Charente, des agriculteurs et utilisateurs de pesticides ont lancé Phyto Victimes, une association d'aide aux malades qui veut «briser l'omerta».

 

C'est un père qui part en quelques mois d'une tumeur au cerveau. Et son fils, resté seul à la ferme, qui constate «Il n'a jamais mis de masque quand il traitait et il dosait à la louche. Faut pas chercher…» Ce sont les cancers de la prostate, de la vessie, qui touchent de plus en plus d'agriculteurs pourtant convaincus d'avoir eu une vie saine, justement parce qu'ils vivaient à la campagne. Mais ce sont aussi des lymphomes, des fibromyalgies, des maladies de Parkinson et d'Alzheimer dont le nombre progresse de façon inquiétante…

 

Pourtant, officiellement, jusqu'ici, tout allait bien. 80'000 tonnes de pesticides utilisés par l'agriculture en 2005 plus 10'000 tonnes pour les espaces verts non agricoles [Lire les Fiches Repère de l'Institut National du Cancer «Risques de Cancer et Pesticides»]… en France, quatrième utilisateur mondial de produits phytosanitaires. Pour l'agriculteur, la maladie ne pouvait être que la fatalité ou une soudaine faiblesse personnelle, alors qu'au voisin, «tout ça ne faisait rien».

 

La dose «admissible»

 

«C'est la dose seule qui fait le poison» avait en effet écrit au XVIe siècle Paracelse, médecin suisse, précurseur de la toxicologie. Ce faisant, depuis, un produit toxique dilué était donc forcément anodin à toute petite dose. Et partant de là, on avait donc inventé la Dose Journalière Admissible, déterminée par les chimiquiers eux-mêmes.

 

Le problème, c'est qu'une toute petite dose qui s'additionne à une toute petite dose… sur une vie, ça finit peut-être par devenir un vrai poison, dans l'organisme. Et déboucher sur une maladie professionnelle au bout de 40 ans, ainsi que l'a remarquablement montré Notre Poison quotidien, le documentaire de Marie-Monique Robin, diffusé le 15 mars dernier sur «Arte» (lire ci-contre).

 

 

 

De fait, si depuis des années, écologistes, scientifiques et médecins ont l'impression de prêcher dans le désert, voire subissent de très fortes pressions lorsque, par exemple, ils tirent la sonnette d'alarme sur le lien entre pesticides organophosphorés et multiplication des maladies nerveuses évolutives… Aujourd'hui, les choses vont peut-être bouger, avec l'association Phyto-victimes (contact), créée le 19 mars dernier.

 

Car ce sont bien des agriculteurs qui «y croyaient» qui, se rendant compte que leur métier les a empoisonnés, ont décidé de parler et de se battre pour une prise de conscience collective. «Cette bombe à retardement est pire que l'amiante» préviennent déjà les spécialistes.

 

Le chiffre : 100 adhérents > Phyto Victimes. L'association, lancée le 19 mars dernier, recense déjà une centaine d'adhérents. Dans les trois jours qui ont suivi le rendez-vous de Ruffec, elle a reçu plusieurs dizaines d'appel.

Prévention : l'édifiant test de la MSA 
Fondatrice il y a 20 ans d'un réseau de toxico-vigilance pour signaler les intoxications liées aux pesticides (150 cas graves par an), la Mutualité Sociale Agricole est aussi en pointe pour la prévention, grâce à la formation imaginée par Philippe Nonie, l'un des référents «risque chimique» de la MSA Midi-Pyrénées Sud et Gilles Lacomme, du lycée tarbais Adriana. Les professionnels de l'agriculture sont ainsi conviés à un test édifiant, lors d'une séance de pulvérisation. L'idée géniale ? C'est qu'on y remplace le produit actif par un marqueur visuel : la fluorescéine. Puis on laisse l'agriculteur traiter comme à son habitude. Le résultat se passe alors de commentaire lorsqu'on révèle les projections. L'homme s'avère maculé des pieds à la tête par le produit chimique. D'où une prise de conscience brutale de chacun. Mieux se protéger, réfléchir sur l'utilisation des produits : la démonstration change les regards.

«Il faut qu'on sorte de l'ombre et que ça explose»
Le 19 mars dernier, Serge Bordes a fait le déplacement à Ruffec pour assister au lancement de l'association Phyto Victimes. «Nous étions une soixantaine en tout, et seulement deux à n'être pas agriculteurs» précise ce quinquagénaire toulousain. De fait, lui travaillait en amont, dans la production de pesticides. «Je fabriquais des insecticides pour le traitement du bois et 15 ans durant, j'ai mélangé du xylène et beaucoup d'autres produits chimiques, des solvants, des bactéricides, des biocides et des éthers, de l'acide d'arsenic, de l'acide de chrome ou encore du cuivre, dans une entreprise albigeoise» résume-t-il en tendant la longue liste de ce qu'il a pu respirer durant toutes ces années.
«Parce qu'on travaillait sans masque, sauf pour le décapant, et encore, il avait fallu aboyer pour l'avoir, le patron nous menaçant même de délocaliser en Pologne si on n'était pas content. Mais la direction avait fini par céder car ce produit-là provoquait une réaction violente et immédiate», se souvient-il. Tandis que les autres produits… Les autres produits, eux, ont pris leur temps. Et profitant d'un moment difficile, une tentative de licenciement suivie d'un reclassement «placard» pour Serge, qui était délégué syndical, ils sont sortis de l'ombre. «En 2006, j'avais 52 ans, et je me suis mis à marcher au ralenti. J'avais mal partout.» Examens chez un rhumatologue au printemps 2007. Qui l'envoie chez un neurologue. Et le verdict tombe. «Maladie de Parkinson» s'entend diagnostiquer Serge. «D'emblée, les médecins n'ont eu aucun doute et ils me l'ont dit… c'était directement lié aux produits que j'avais manipulés.» Seulement voilà… «La maladie de Parkinson ne figure pas au tableau des maladies professionnelles. Mes deux demandes ont été rejetées alors qu'un médecin légiste m'avait lui aussi affirmé qu'il était sûr à plus de 90% que ma maladie était induite par ces produits et qu'un cas identique au mien a été reconnu, ailleurs, mais sans faire jurisprudence.»
Accepter et se taire ? Épaulé par son épouse, Serge a décidé de se battre, au contraire. «Il faut qu'on sorte de l'ombre et que ça explose car les pesticides, c'est un scandale plus gros que l'amiante» insiste-t-il, lui aussi. Toujours révolté d'avoir entendu un cadre, bien à l'abri dans son bureau, lui asséner : «Vous travaillez dans une entreprise chimique, vous savez qu'il y a un risque à prendre». Tout l'objet du combat de Serge, désormais. «Parce qu'il y a vraiment une faute lorsque l'on sait que l'on fait prendre un risque aux autres» précise-t-il. Lui dont la condamnation a déjà été prononcée, «parce qu'avoir Parkinson, c'est être prisonnier d'un corps raide et douloureux et avoir mal du lever au coucher, tout le temps…»

«Une prise de conscience»
Marie-Monique Robin, réalisatrice, auteur de
Notre poison quotidien
Vous avez réalisé deux films sur les pesticides. Est-ce que les choses bougent ?
L'industrie en général, a tendance à nier l'impact des pesticides sur la santé. Mais cela commence à évoluer. Récemment, j'ai été invitée à un face-à-face avec Jean-Charles Bocquet, directeur général de l'Union des Industries de la Protection des Plantes. Il commence à admettre que les agriculteurs peuvent avoir des cancers, il leur conseille de se protéger, de mettre des combinaisons, des masques… Un médecin de la Mutualité Sociale Agricole m'a confié que désormais, certains cancers de la peau, du cerveau, de la prostate, des maladies de Parkinson étaient considérées comme des maladies professionnelles.
Vous montrez aussi que les agriculteurs s'organisent.
Mon film Notre poison quotidien s'ouvre avec une réunion, à Ruffec, autour de Paul François qui raconte sa maladie. Il doit y avoir des adhérents dans le Grand Sud, car les viticulteurs, notamment, sont fréquemment atteints de cancer du cerveau ou de la vessie. Ils veulent demander des comptes à la fois aux fabricants et aux pouvoirs publics, car ces dégâts sont connus depuis longtemps.
Votre prochain film ?
Serons-nous capables de nourrir la planète sans pesticides ? Oui, d'autant que nous avons la preuve que la «révolution agricole» avec engrais et pesticides est un échec.

 

Source : Pierre Challier, La Dépêche, via JL

 


Tag(s) : #environnement
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :