Après le séisme du 11 mars et le tsunami qui s'en est suivi, plusieurs réacteurs nucléaires japonais sont dans une situation critique. Un scénario comparable ou pire que celui de Tchernobyl (Ukraine, 26 avril 1986) est désormais possible et, a minima, il s'agira du second plus grave accident nucléaire de l'Histoire.
Or au lieu de reconnaître que le nucléaire fait courir un risque insensé aux populations, le gouvernement français se mobilise... pour protéger l'industrie de l'atome. Cet aveuglement idéologique est comparable à celui qui a été de mise, en janvier, face à la révolution tunisienne. Le gouvernement semble en effet victime du "syndrome MAM" : les ministres rivalisent de déclarations absurdes ou choquantes.
Par exemple, la ministre de l'écologie, Mme Kosciusko-Morizet, a affirmé sans rire dimanche soir : "Le nucléaire est une bonne énergie." Cela dénote un incroyable mépris envers le peuple japonais, alors même que d'importants rejets radioactifs ont déjà eu lieu et que des dizaines de milliers d'habitants sont évacués.
Par ailleurs, de même que Michèle Alliot-Marie proposait "le savoir-faire français" pour mater le peuple tunisien, le premier ministre, François Fillon, vient de proposer, par communiqué, aux Japonais, "l'expertise nucléaire française". Or de quelle "expertise" l'industrie nucléaire française peut-elle se prévaloir alors qu'elle ne parvient pas à construire ses propres réacteurs, les fameux EPR ? Les chantiers de Finlande (menés par Areva) et de Flamanville (EDF) rivalisent de retards, de malfaçons et de surcoûts.
Déjà, dans les années 1980 et 1990, EDF avait échoué à faire fonctionner le surgénérateur Superphénix qui devait "incinérer les déchets radioactifs" mais qui n'a été capable que de désintégrer... 10 milliards d'euros !
Qui plus est, la "sûreté" nucléaire française a souvent été prise en défaut : deux fusions partielles de coeur ont eu lieu à Saint-Laurent (Loir-et-Cher), le 17 octobre 1969 et le 13 mars 1980. En 1999, la centrale nucléaire du Blayais (Gironde) a frôlé la catastrophe après une inondation qui ne "pouvait pas se produire", mais qui a quand même eu lieu. Pendant la canicule de 2003, EDF a dû arrêter de nombreux réacteurs, impossibles à refroidir, et a arrosé la centrale de Fessenheim pour éviter un accident. Plus récemment, le site nucléaire du Tricastin s'est rendu mondialement célèbre avec une grave fuite d'uranium, qui a conduit les vignerons locaux à changer leur appellation.
Quant à Eric Besson, ministre de l'énergie, il multiplie les apparitions télévisées pour prétendre que le drame japonais "n'est pas une catastrophe nucléaire". Pire : au lieu de faire amende honorable, lui qui promeut l'atome de longue date, s'en prend... aux antinucléaires, qui seraient coupables de "profiter de la situation". Mais les antinucléaires dénoncent les dangers de l'atome depuis cinquante ans et les dénonçaient encore quelques jours avant le drame japonais : pourquoi devraient-ils se taire au moment où les faits leur donnent, hélas, raison ?
Le ministre de l'énergie tente aussi de faire accepter le risque nucléaire sous prétexte que l'atome apporterait indépendance énergétique et électricité bon marché. Or les faits démentent ces belles affirmations. D'abord, tout comme la France achète pétrole et gaz, elle importe 100 % de "son" uranium, le combustible des réacteurs. D'ailleurs, les quatre Français enlevés, en octobre 2010 au Niger, et détenus depuis sont des employés des mines d'uranium d'Areva.
D'autre part, le prix de l'électricité monte en flèche en France et devrait bientôt atteindre des sommets. Or c'est bien le nucléaire qui en est la cause : la rénovation des réacteurs d'EDF, vieillissants, va coûter au moins 35 milliards d'euros. Et des factures encore plus importantes se profilent, pour démanteler les réacteurs et s'occuper des déchets radioactifs.
Mais cela dit, même si le nucléaire présentait réellement les vertus qui lui sont prêtées, cela ne justifierait de toute façon pas de vivre avec un tel risque : les Japonais peuvent, hélas, désormais en témoigner. Il faut donc sortir du nucléaire.
Il est d'ailleurs surprenant que des personnalités se prononcent ces jours-ci pour cette option... mais en avançant des délais incroyablement longs : vingt ans, vingt-cinq ans, trente ans. Puisque l'imminence du péril nucléaire est démontrée, il faut faire cesser ce risque dès que possible. Et ce d'autant que la plupart des réacteurs français ont environ 30 ans : sortir du nucléaire en vingt ans reviendrait à les laisser fonctionner jusqu'à 50 ans... démultipliant le risque d'accident ou de catastrophe.
C'est donc un défi de grande ampleur qu'il faut désormais relever : reconvertir à marche forcée le système énergétique français pour en faire un véritable modèle concernant les économies d'énergie et les énergies renouvelables.
C'est possible à condition de faire preuve du volontarisme politique qui a été de mise il y a quarante ans... pour imposer l'option nucléaire.
Mais hélas !, pour le moment, les dirigeants français préfèrent jouer les autruches. Comme leur ex-camarade Michèle Alliot-Marie, qui s'est embourbée dans les déclarations les plus contradictoires, ils tentent encore de protéger leur chère industrie nucléaire. Comme elle, ils n'ont pas compris que tout avait changé...
Stéphane Lhomme, président de l'Observatoire du nucléaire
Source : Le Monde