Nucléaire : le Japon a joué à l'apprenti sorcier. Et la France ?

Des militaires japonais portent une victime probablement irradiée, le 13 mars (Yomiuri Yomiuri/Reuters).

 

 

 

Alors que nous nous apprêtions à célébrer le vingt-cinquième anniversaire de Tchernobyl, et que l'opinion publique mondiale semblait oublier peu à peu cette catastrophe, le séisme du Japon a remis sur le tapis le risque technologique majeur que représente l'énergie nucléaire.

Les écologistes militent depuis de nombreuses années pour une sortie progressive du nucléaire, non seulement pour des raisons de sécurité liées à l'exploitation des centrales : le risque terroriste est bien réel et les travailleurs précaires de cette industrie en subissent les conséquences sanitaires.

Mais surtout du fait de l'irrésoluble gestion des déchets radioactifs, tant par le problème du stockage définitif des déchets que par les risques liés à leur utilisation à des fins terroristes. Le drame japonais confirme aussi un risque trop souvent sous-estimé voire caché : la vulnérabilité des centrales aux risques naturels.

Des informations contradictoires sur la centrale de Fukushima

Il faut savoir que le Japon est, avec la France, un des pays les plus nucléarisés au monde, le troisième plus exactement. Un tiers de sa production électrique dépend de l'atome, et comme d'autres pays, le Japon continue à accroître cette dépendance en visant les 50% pour 2030.

Concernant la centrale de Fukushima-Daiichi, le contrôle de l'information empêche de savoir jusqu'ici ce qui s'est exactement passé. La nature de l'explosion reste douteuse : même si on l'attribue celle-ci à des tuyaux transportant de l'hydrogène, il est aussi fort probable que l'hydrogène soit le résultat d'une réaction chimique ayant eu lieu dans un espace situé entre la cuve et le bâtiment.

Une température élevée peut en effet provoquer une dissociation des molécules d'eau, aboutissant à la création de molécules d'hydrogène. Reste aussi à savoir si la cuve a pu être endommagée par cette explosion. (Voir la vidéo)


Principal danger : la fusion du réacteur

Il y a donc aussi des doutes sur l'état du cœur du réacteur, qui pourrait être en fusion partielle. Sur LeMonde.fr, on apprend que « les informations sont parcellaires » selon Thierry Charles – directeur de la sûreté des usines nucléaires à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) – qui constate que les déclarations de l'autorité de sûreté japonaise et celles de l'exploitant Tepco ne concordent pas totalement, Tepco indiquant que la fonte du cœur n'est pas en cours alors que l'autorité de sûreté annonçait samedi matin une probable fusion du cœur.

Le plus grand danger serait donc la fusion du réacteur et c'est pour cette raison qu'une réaction de type Tchernobyl est envisageable. Si le cœur entre en fusion, il risque de faire fondre la cuve du réacteur. Contrairement à l'accident de Three Miles Island (où avait eu lieu une fusion partielle du cœur), dont l'enceinte de confinement était restée intacte et empêchait alors les fuites radioactives, le cas de Fukushima peut différer.

Si l'enceinte a été détruite par l'explosion, il n'y a plus de barrière au relâchement de particules radioactives.

Les autorités japonaises doivent donc agir dans une fenêtre de temps très réduite pour éviter la fusion du cœur. Les doutes concernant toute fusion du cœur seront à l'évidence dissipés très rapidement, espérons-le.

Conséquences sanitaires pour les Japonais et les pays voisins

Concernant le relâchement volontaire de vapeur radioactive pour aboutir à une diminution de la pression dans le réacteur, effectuée samedi matin, c'est une procédure logique qui, malgré les risques de contamination, permet de minimiser les risques d'explosion. Seulement, le nuage radioactif qui a été relâché représente de réels risques pour la santé.

Premièrement, la radioactivité émise est importante : selon l'agence Kyodo, la radioactivité reçue en une heure par une personne se trouvant sur le site de la centrale de Fukushima correspond à la limite de radioactivité à ne pas dépasser annuellement.

De fait, un nombre réduit de personnes habitant une ville proche de la centrale ont été exposées à des radiations. Ces personnes vont avoir à subir un lavage spécial mais il semble que leur état de santé ne présente rien d'anormal. Dans le cas actuel, la contamination au césium radioactif présente moins de risques que celle à l'iode radioactif, puisque l'iode est bien plus volatil.

En ce sens, les autorités japonaises préparent les mesures qui s'imposent, à savoir la distribution d'iodure de potassium aux habitants et leur éloignement des centrales (20 kilomètres selon les autorités).

Sachez-le, à défaut d'avoir de telles pastilles dans un cas similaire, vous pouvez aussi utiliser de l'eau iodée afin de saturer la thyroïde en iode stable et éviter l'incorporation d'iode radioactif menant à un cancer de la thyroïde (un des symptômes principaux de l'après-Tchernobyl).

Les nuages radioactifs ne connaissent pas les frontières

Deuxièmement, les risques pour la santé sont réels car les vents et le nuage radioactif ne connaissent pas de frontières. Même si les autorités se sont réjouies des vents repoussant le nuage vers la mer, celui-ci risque de survoler d'autres pays. La Russie notamment s'inquiète d'une contamination de son territoire, la péninsule de Kamchatka pouvant être atteinte dans les 24 heures.

Le fait est que le danger résidera plus dans la contamination radioactive des terres agricoles mais aussi du bétail, puisque l'ingestion d'aliments contaminés représente de sérieux risques pour la santé, notamment pour les enfants et les femmes enceintes. Si les normes de contamination en venaient à être dépassées dans les pays affectés, toute la production alimentaire devra être détruite.

En France, Nathalie Kosciusko-Morizet a promis la plus grande transparence sur l'impact éventuel de cette catastrophe et l'IRSN rendra public sur son site Internet les données recueillies en France.

Puisque que l'on n'est jamais trop sûr, sachez aussi que la Criirad a mis en alerte la vingtaine de balises situées sur le territoire français : dès que la moindre hausse des niveaux de radioactivité sera mesurée, les résultats seront diffusés immédiatement.

Catastrophes naturelles et centrales nucléaires

Le cas présent est extrême. Cependant, l'évidence est que les décideurs japonais ont joué aux apprentis sorciers avec leur programme nucléaire, les complexes nucléaires japonais étant théoriquement construits pour résister à un séisme d'une magnitude de 7.

Alors même que des précédents moins graves avaient eu lieu, comment le Japon a-t-il pu juger concevable de sécuriser des centrales dans un pays à forte activité sismique ? Rappelons que 20% des secousses supérieures à une magnitude de 4 enregistrées à travers la planète ont lieu au Japon.

Mais qu'en est-il en France ? Le risque est-il le aussi extrême ? Le risque existe vraiment selon le réseau Sortir du Nucléaire, qui avait révélé en 2003 que EDF avait falsifié les données sismologiques pour s'éviter des travaux onéreux, pourtant indispensables pour la sûreté nucléaire.

La France n'est pas à l'abri

L'Autorité de sûreté nucléaire avait du intervenir pour rappeler EDF à l'ordre, suite à la falsification de certaines données primordiales à la sécurité des centrales. Alors que les normes sismiques doivent être basées pour chaque centrale sur un Séisme majoré de sécurité (SMS), l'ASN a remarqué que EDF avait utilisé des normes inférieures à celles déterminées par l'IRSN.

Les centrales de Chinon, Blayais, Saint-Laurent, Dampierre, Belleville, Civaux, Bugey et Fessenheim sont les plus en danger. D'ailleurs, Fessenheim est au centre de toutes les préoccupations depuis la décision de rallonger sa durée d'activité. Sur la base de ces informations, une seule décision s'impose : la fermeture définitive de la centrale de Fessenheim et la vérification des normes sismiques.

Sécheresses, inondations mettent en péril le refroidissement

Au niveau de l'UE, cet évènement au Japon est déjà pris au sérieux : la Commission européenne va convoquer en début de semaine prochaine une réunion des autorités européennes chargées de la sécurité nucléaire et l'industrie du secteur pour tirer les leçons de l'incident nucléaire au Japon.

Par ailleurs, les risques liés à l'exploitation des centrales vont aller croissant avec la multiplication des aléas climatiques extrêmes. Tant la sécheresse peut provoquer une diminution du débit des cours d'eau servant au refroidissement des réacteurs, tant les inondations peuvent aboutir à des épisodes critiques et donc difficilement contrôlables. Les épisodes caniculaires obligent souvent EDF à réduire l'activité des centrales, ce qui pousse alors la France à importer de l'énergie.

Photo : des militaires japonais portent une victime probablement irradiée à côté de la centrale de Fukushima, le 13 mars (Yomiuri Yomiuri/Reuters).

Tag(s) : #environnement
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