Publié le 14 mars 2011
A environ un mois du 25ème anniversaire de Tchernobyl, et à 16 jours du 32ème anniversaire de Three Mile Island , le 3ème plus grave accident de l’histoire du nucléaire civil vient de se produire au Japon à Fukushima. Une catastrophe majeure, qui va relancer la question sur la sécurité nucléaire en France.
Fukushima, un des plus graves accidents du nucléaire civil mondial
Depuis le 11 mars, le Japon a d’abord subi un tremblement de terre d’une violence rare auquel il a pu résister grâce à sa technologie. Ensuite il a dû assister à l’assaut d’un tsunami qui a tout emporté le long de la côte est sur des kilomètres, balayant une ville de 1 million d’habitants : Sendai…et de nombreux villages côtiers dont on est toujours sans nouvelles.
Puis les problèmes de refroidissement sur certains réacteurs nucléaires de la centrale de Fukushima Daiishi sont apparus. Alors que la fusion partielle du cœur commençait, le bâtiment entourant le réacteur N°1 explosait. Lundi matin, c’était au tour du réacteur N°3. Pour que le N°2, dont le cœur rentrait également en fusion partielle ne connaisse pas le même sort, le toit de celui-ci a été tout simplement percé, ce qui évite l’impressionnante explosion mais pas la dangereuse fuite de matières radioactives.
Explosion du réacteur N°3 :
Au moins en ce qui concerne le réacteur N°1, le combustible utilisé est le MOX, un mélange d’uranium et de plutonium dont Areva est le leader mondial, et qui présente selon les spécialistes plus de risques notamment car il est plus instable et difficile à refroidir.
A cette heure, l’accident est de niveau 4 selon l’échelle médiatique INES destinée «à faciliter la perception par les médias et le public de l’importance des incidents et accidents nucléaires» mais «ne constitue pas un outil d’évaluation ou de mesure de la sûreté nucléaire».
En effet, celle-ci, conçue et proposé par les autorités françaises et utilisée désormais dans les pays reconnaissant l’AIEA , n’analyse que l’exposition à la radioactivité et ne prends pas en compte par exemple, le fait d’être passé de très peu à coté de l’explosion complète du réacteur et de la fusion complète du Cœur. Selon la préfecture de police, l’exposition à la radioactivité était de 1,015 mircrosieverts samedi.
Le Japon exploite à peu près le même nombre de réacteurs nucléaires que la France mais sur un territoire 2 fois moindre et 4 fois plus densément
peuplé.
Alors que l’on craint l’explosion d’un 2ème réacteur, les autorités japonaises sont contraintes pour faire baisser la pression de laisser s’échapper des gaz
radioactifs : selon un spécialiste du centre de recherche atomique de l’université de Tokyo, la radioactivité à 80km de la centrale de Fukushima est ce dimanche plus de 400 fois supérieure à la
radioactivité habituelle.
Cet accident japonais doit et commence déjà à être le point de départ d’une prise de conscience de tous les pays qui utilisent l’énergie nucléaire. La France,
dont le Président fait la promotion permanente de son industrie nucléaire, doit tirer toutes les conséquences de cet accident.
Le fait d’utiliser de l’eau de mer pour refroidir le réacteur est un « acte de désespoir », estiment des spécialistes américains de l’atome, rapporté par le site LeMonde.fr.
Une première idée des impacts économiques
Les actions des groupes automobiles japonais ont plongé lundi à la Bourse de Tokyo peu après l’ouverture, alors que ces constructeurs ont suspendu leur production dans l’ensemble du Japon après le séisme dévastateur de vendredi
Vers 09H40 locale (00H40 GMT), l’action du premier constructeur mondial, Toyota, chutait de 10,43% à 3.220 yens, celle de son concurrent Nissan de 10,77% à 712 yens et celle de Honda de 7,70% à 255 yens. »
L’indice Nikkei de la Bourse de Tokyo s’effondrait de plus de 6% lundi après la pause de la mi-journée, les investisseurs redoutant les conséquences du séisme dévastateur de vendredi.
AREVA perdait 9% à l’ouverture de la bourse de Paris, EDF 4%.
Situation en France : L’incroyable M Besson
« Toutes les centrales françaises ont été conçues en intégrant le risque sismique et le risque inondation » a déclaré aujourd’hui M. Besson. Le risque sismique n’a-t-il pas été « intégré » à la conception des réacteurs japonais ?
L’Autorité de sûreté nucléaire française (ASN) doit se prononcer, en principe en avril, sur une poursuite de la production de la plus veille centrale du pays, celle de Fessenhiem, située de plus « dans une zone sismique connue et reconnue ». L’Alsace est une des régions les plus sismiques de France.
La vallée du Rhône, une des régions les plus nucléarisées au Monde est également en zone sismique (« modérée » et « moyenne »).
«Ce séisme dévastateur montre que le nucléaire est un colosse aux pieds d’argile » estime pour sa part le Réseau « Sortir du nucléaire » dans un communiqué. Il rappelle que « les tremblements de terre n’arrivent pas qu’en Extrême-Orient ».
«Nous avions révélé en juillet 2007 que les centrales nucléaires françaises n’étaient pas aux normes sismiques et qu’EDF avait falsifié les données sismiques de ses centrales nucléaires pour ne pas supporter des travaux de mise aux normes trop onéreux», ajoute « Sortir du nucléaire » pour qui «cette situation perdure aujourd’hui».
Que penser également des conséquences des inondations sur la centrale du Blayais (Gironde) en 1999, alerte de « niveau 2″ consécutive à la tempête Martin?
A l’époque, selon les déclarations de l’adjoint au directeur de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) au journal SUD-OUEST avait signalé des « problèmes de conception majeurs ».
De plus, M Besson respecte-t-il l’information préventive et l’article 21, (article L 125-2 du code de l’environnement), qui dispose que : « les citoyens ont un droit à l’information sur les risques majeurs auxquels ils sont soumis dans certaines zones du territoire et sur les mesures de sauvegardes qui les concernent. Ce droit s’applique aux risques technologiques et naturels prévisibles ».
Il est vrai que M BESSON n’est pas seul. Il peut également compter sur le réalisme de la Ministre de l’Ecologie Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET qui a assuré lundi que « les centrales nucléaires françaises étaient préparées à faire face aux catastrophes naturelles les plus graves intervenues pendant le dernier millénaire, et qu’une mise à niveau était effectuée « tous les dix ans » ».
Au-delà de la prétention française habituelle, qui rappelle les propos de ceux qui semblaient penser que le nuage de Tchernobyl reconnaitrait l’ « exception française » et ne traverserait pas nos frontières, ou celle encore qui prétendait que « la crise financière » n’aurait pas de conséquences importantes en France, Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET fait part d’une vision qui ne peut être que dramatiquement naïve ou malhonnête. A-t-elle par exemple entendu parler des graves risques liés au recours toujours plus important à des sous-traitants mal contrôlés ? Ceci est représentatif d’un problème culturel de nos « élites » vis-à-vis des français : ces-derniers seraient toujours incapables de comprendre la réalité et la vérité.
Me KOSCIUSKO-MORIZET et M BESSON sont également les ministres en charge du dossier très sensible de l’exploitation des gaz de schiste en France et ont reçu, vendredi, la veille de ses premières déclarations concernant la crise au Japon et la sécurité nucléaire en France, une lettre officielle de M FILLON leur rappelant le nécessaire respect de la Charte de l’Environnement. Peut-être sera-t-il nécessaire de renouveler l’opération concernant l’industrie nucléaire française ?
L’exploitation des huiles et gaz de schiste nécessite le recours à la technique de fracturation hydraulique. Celle-ci peut déclencher des séismes comme au Texas en 2008 et 2009 (2,9 et même 3,3 sur l’échelle de Richter) ou encore celui de magnitude 4,7 sur l’échelle de Richter qui a été enregistré le 6 février dernier dans l’Arkansas, qui bien que n’étant situé sur aucune faille, est en proie à une activité sismique inhabituelle depuis six mois. La corrélation n’a pour l’heure pas été officiellement démontrée mais les soupçons sont élevés.
Connaissons les conséquences globales et à long terme de cette activité sismique d’origine humaine ? En Europe, où les couches de schiste sont beaucoup plus difficiles à atteindre qu’aux Etats-Unis et nécessitent des puits verticaux beaucoup plus profonds, quelles conséquences cette exploitation des huiles et gaz de schiste pourrait avoir sur l’activité sismique et donc également sur la sureté de l’’industrie nucléaire ?
Alors que d’hors et déjà les anciennes mines d’uranium en France constituent un problème écologique et de santé publique, la situation au Gabon et au Niger est catastrophique. AREVA a quitté le Gabon de façon parfaitement irresponsable : presque toutes les eaux sont polluées. Faut-il ce genre de négligences pour faire passer l’énergie nucléaire pour une énergie « décarbonnée » ? N’est-ce pas du devoir de tous de réfléchir collectivement à notre dépendance énergétique et aux futures conséquences de nos choix de consommation ?
Chaque français peut dès à présent choisir de se passer du nucléaire en choisissant un fournisseur d’énergie renouvelable tel que Enercoop. N’est-il pas tant de réfléchir sérieusement au scénario Negawatt (sobriété, efficacité, renouvelables) ?
Quel traitement médiatique en France dans ce pays nucléarisé et nucléocrate?
La France est le 2ème plus grand pays nucléarisé au monde après les Etats-Unis, le 1er proportionnellement au nombre d’habitants.
L’investissement colossal de l’Etat français dans la technologie et le commerce du nucléaire, les 20 millions d’euros annuels investis en publicité par Areva, les prétentions de Martin Bouygues dans le secteur du nucléaire ou l’influence de GDF-SUEZ ne risquent-ils pas de dissuader les rédactions françaises de paraître « zélées » ou tout de simplement particulièrement intéressées par le sujet?
Que se passerait-il en France si nous connaissions un accident nucléaire du même type ? Est-il prévu d’informer convenablement la population ou bien plutôt de restreindre la diffusion d’information au nom de la sécurité intérieure comme cela avait été fait en France lors de la catastrophe de Tchernobyl ? Sommes-nous aujourd’hui correctement informés du comportement à adopter en cas d’accident ou bien certains jugent-ils préférable d’éviter même l’ « information préventive » pourtant constitutionnelle?
Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET a relevé aussi que le Japon avait « une culture de la discrétion », alors que la France « a pas mal évolué après la catastrophe de Tchernobyl ». « Elle s’est dotée d’une autorité de sûreté indépendante, garante de la transparence », alors qu’au Japon « il n’y a pas eu encore la même évolution en matière de transparence », a-t-elle déclaré.
La réalité est que sur la question nucléaire, les médias, comme les citoyens, manquent cruellement d’experts indépendants et d’une classe dirigeante plus respectueuse de la capacité des français à comprendre, parfois, les réels enjeux.
Thomas Couderette
Quelques liens
- Détails de l’échelle INES
- Charte de l’environnement de 2004
- Carte du Réseau Sortir du Nucléaire (http://www.sortirdunucleaire.org/carte/)
- Carte interactive Greenpeace : (http://www.greenpeace.fr/france-nucleaire/)