Faire_le_mur_-_Copie.jpgFaire le mur


 Par Dominique Bry  


Maximilien Le Roy est un jeune auteur de 23 ans. Il est à l’origine de l’album collectif Gaza, Décembre 2008 – Janvier 2009 (La Boîte à Bulles) et le dessinateur de Nietzsche (Le Lombard) adaptation d'un script de Michel Onfray sur la vie du philosophe allemand. Avec Faire le mur (Casterman), il livre un album dense, révolté et intelligent sur la question des territoires occupés.

Durant l’été 2008, dans le camp de réfugiés d’Aïda, en Cisjordanie, Mahmoud Abu Srour, jeune Palestinien de 22 ans, s’évade par le dessin et ses lectures. A l’intérieur de cette prison à ciel ouvert, Mahmoud rêve d’une autre vie, ne plus être un captif, comme tant d’autres de ses compatriotes. La Cisjordanie est une enceinte close, cernée par un mur presque infranchissable de 700 kilomètres de long…

Son sésame pour une autre vie rêvée : Audrey, une jeune Française de 19 ans, « venue en Palestine pour comprendre ce qui s’y passe ». Mahmoud en tombe amoureux, il espère la séduire. Il l’invite à passer deux jours chez sa sœur installée dans une ville israélienne toute proche. Mais pour faire ce simple voyage, il lui faudra défier l’autorité en place. Enfreindre des règles et prendre des risques. « Il lui faudra faire le mur… »

Avec ce livre-objet, Maximilien Le Roy nous livre un cri, un témoignage. Faire le mur est un roman graphique qui s’installe sur la fine ligne de démarcation qui sépare le reportage de la fiction. Cet album est né d’une vraie rencontre, entre Maximilien Le Roy et Mahmoud Abu Srour. Le dessinateur a mis en scène ce personnage d’épicier rêveur et amoureux, épris de liberté. Prisonnier, comme beaucoup d’autres, sur sa propre terre.

Pour Mahmoud, cette liberté a un visage : celui d’Audrey. Un visage rêvé, fantasmé, dessiné. Maximilien fait s’illuminer les yeux de Mahmoud. On passe du noir et kaki à la couleur. Enfin. Pour raconter les souvenirs d’enfance, les visages aimants, un oiseau dans le ciel. Les yeux, le visage, le corps d’Audrey. Les temps heureux. Et puis, « des soldats sont entrés ». Et c’en était fini.

Le texte est un brûlot. Les monologues de Mahmoud-Maximilien sont autant de dénonciations de la guerre, des choix politiques, des drames. L’auteur et le narrateur font corps pour délivrer ce message d’incompréhension absolue mêlée de révolte totale. Le Roy n’explique pas le monde de Mahmoud, il le dépeint dans sa réalité la plus brute. Il puise dans l’Histoire pour illustrer cette montagne de douleur ressentie chaque jour par ceux qui veulent traverser librement leur terre. Et pour qui cela est impossible.

Entre « je » fictionnel et « je » d’auteur, la lisière est ténue, volontairement ambiguë. Mahmoud, l’aspirant artiste et Maximilien, le dessinateur et auteur partagent la même envie, la même veine : vouloir raconter et dessiner ce qu’ils vivent, ce qu’ils ont vu. Pour l’un, il s’agit de souvenirs, d’impressions. Celle d’un prisonnier face à ses geôliers. Sur un territoire occupé, sur une terre qui l’a vu naître. Pour l’autre, il s’agit de s’engager, de parler de la question des territoires occupés, de remonter le temps et de livrer sa vision des choses quand la communauté internationale détourne les yeux jour après jour. Comme en janvier 2009 à Gaza. « Imaginez qu’en trois semaines, 1400 personnes soient tuées. Dont 300 enfants et plus d’une centaine de femmes. »

Le dessin de Maximilien Le Roy est délicat et fin. Il concentre les rancœurs dans les regards de Mahmoud envers sa situation, la destinée de son peuple, de sa famille. Sous le crayon, on voit affleurer le grain du papier, la trame ressort, presque en relief. Les images s’impriment. S’expriment. Le jeu fictionnel continue. La réalité est pourtant là.

Faire le mur est un travail sur les frontières. La frontière née de la complicité entre Maximilien et Mahmoud est malmenée par une narration en forme de dénonciation des dictatures et des causes indéfendables. De tout temps. Le Roy se jette dans cette bataille contre l’injustice avec une force de conviction rare et étaye son propos de faits, de dates, de chiffres. La frontière incompréhensible personnifiée par ce mur que Mahmoud veut franchir et, comme le souligne Simone Bitton* dans sa préface, par « tous les murs qui emprisonnent les hommes et les séparent les uns des autres ».

BD
Maximilien Le Roy
Faire le mur
Casterman
96 pages couleur
En librairie le 21 avril 2010
15 €

Tag(s) : #Monde arabe - Israël
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