Des colères ordinaires

Rencontre avec Fadwa Barghouti. Il est onze heures quand Fadwa Barghouti nous reçoit dans ses nouveaux locaux, situés en face de la Mouqataa où repose Yasser Arafat. Cette belle femme d’une quarantaine d’années aux yeux clairs et élégamment habillée est la femme du plus célèbre prisonnier politique de Palestine.

C’est dans un étrange mélange d’admiration et de colère que nous écoutons le récit de cette femme, qui nous parle du manque, de l’absence de contact avec son mari durant les quatre premières années de sa détention (elle voit son mari au parloir à travers une vitre), de l’injustice résultant de son emprisonnement pour son engagement politique et uniquement politique pour une Palestine libre, du courage et de l’espoir qui nourrit toute sa famille de le voir sortir un jour de détention.

Difficile de ne pas faire le lien entre Marwan Barghouti, condamné cinq fois à la perpétuité sur la base d’un dossier juridiquement vide, et un prisonnier politique autrement célèbre : Nelson Mandela. Difficile aussi de ne pas saluer le parcours de cet homme, forcé dans un premier temps à l’exil, rescapé de deux tentatives d’assassinat, avant d’être condamné à la prison à vie.

Malgré des conditions de détention précaires, il reste le seul homme politique à fédérer plus de la moitié dup euple palestinien autour d’une Palestine libre, laïque et indépendante. Triste anniversaire puisque demain il entamera sa dixième année de détention.

Il est dans l’intérêt du peuple palestinien de voir Marwan Barghouti sortir de détention pour voir enfin ce projet devenir realite.

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LE MUR ET LE CHECKPOINT DE QALANDIA

Depuis notre arrivée, nous y pensons tous. A quoi ressemblent les checkpoints ? Nousa vons tenu à en traverser un à pieds, dans la peau d’un Palestinien. Pour beaucoup d’entre nous, c’est ce qui symbolise le plus les humiliations et lav iolence de la politique israélienne. Déjà arrivés au pied du mur de séparation entre les territoires occupés et Jérusalem, nous sommes abasourdis par la violence de ce rejet. Des tags, des portraits de Marwan Barghouti,d’Arafat  et autre « Vive laPalestine libre », ornent tant bien que mal ce mur de béton de la honte…

Il est 14h30. Aux abords du checkpoint, des travailleurs, lycéens et autres Palestiniens forment une file d’attente, stoïques. Nous les suivons dans un ce premier couloir, à peine plus large et plus haut qu’une personne de taille moyenne. Immédiatement, on étouffe. Nous nous retrouvons  littéralement dans une cage. Comme des animaux.  Il y a des grillages partout. Les bruits de ferrailles  qui grincent nous agressent. Ils rappellent à certains d’entre nous qui ont eu l’occasion de se rendre dans des prisons en France pour des ateliers ou des présentations ce décor inhumain et froid.

Une militaire nous regarde froidement

Une colère s’empare vite de nous. Il faut attendre. Comment faire pour subir cela calmement ? Même pénétrer dans une prison est moins violent. A gauche, une militaire israélienne à peine majeure, enfermée dans une sorte de bunker vitré nous  regarde froidement. Il faut attendre encore. Nous avançons soudain pas à pas vers un premier portique de sécurité, un après l’autre. On se retrouve dans un autre couloir un peu plus large.

« Je ne comprends rien, traduisez s’il vous plait »

Face à nous, un dernier portique avec un feu rouge et un feu vert.  Comme dans un film de science-fiction, une voix retentie de nulle part,  en hébreu…« Je ne comprends rien traduisez s’il vous plaît ! » crie en guise de réponse un père de famille à la policière.  Pour passer le second portique, c’est trois par trois dès que le feu vert s’allume. Ensuite, c’est pire qu’à l’aéroport Charles de Gaulle. L’attente est interminable. La colère est de plus en plus grande. Les autres Palestiniens, en nous voyant perdus, sourient par solidarité. Comme souvent, même quand  ils’agit du pire, on s’habitue … Ils se sont donc adaptés à cet obstacle en trouvant des astuces pour économiser le plus de temps possible …

La technologie retire tout contact humain

On retire chaussures, ceinture... Le tout passe sous rayons X. Une autre militaire, aussi jeune que sa collègue, demande le passeport derrière une épaisse vitre. A aucun moment, nous n’avons eu affaire à un israélien sans être séparé par une vitre de sécurité. La technologie, mise au service de la sécurité, retire le moindre contact humain dans ce décor de fer, de barbelés et de caméras de surveillance. Nous passons, l’un après l’autre. Facile avec notre passeport français. Un jeune Palestinien d’à peine 14 ans, lui, a eu le droit à l'habituelle et etrange question « quel est le nom de ton père ? »… « Hamid », répond-il mécaniquement.  Le dernierd’entre nous passe. « Bienvenue en Israël », lâche la police. Jérusalem appartient à Israël, ah bon ? La présence de Juifs à Jérusalem-Est n’a –t-elle pas été qualifiée par l’Onu d’occupation par définition illégale ?

Une heure pour traverser une frontière d’à peine quelques kilomètres

Ouf ... Enfin dehors. Et dire que les Palestiniens vivent cela quotidiennement… Il est15h30. Une heure pour traverser une frontière d’à peine quelques kilomètres…

 

UN LIBRAIRE PALESTINIEN RESISTANT

Mahmoud Darwish a surement été inspiré par les jardins de l’American Colony Hotel, un lieu faitpour les poèmes, nous dit Munther M. Fahmi, le libraire. Un bel homme à la peau brune et à l’élégance douce qui se fond parfaitement dans ce décor de filmd ’auteur où a notamment été tourné Miral. Vingt ans à faire de la librairie de l’hôtel un lieu d’initiés et de littéraires. Munther aime cet endroit, sa librairie. Pour elle, il a quitté l’Amérique et son confort où il occupait un poste de col blanc. Il est revenu chez lui, sa terre natale, y vivre de poésie et de lettres. Pourtant, à chaque instant, son rêve palestinien peut s’arrêter.

L’Etat d’Israël dépossède les Palestiniens de leur droit de vivre à Jérusalem

L’injustice est venue taper à sa porte il y a six ans. Elle portait un uniforme israéliene t demandait son expulsion de Jérusalem. Pourquoi ? Quel crime peut se dissimuler derrière un visage si doux ? Celui d’avoir vécu jadis dans sa jeunesse aux USA ! C’était il y a plus de vingt ans pourtant. Malheureusement, l’Etat d’Israël dépossède les Palestiniens de leur droit de vivre à Jérusalem si ces derniers vont s’installer au-delà de trois kilomètres de Jérusalem, même pour un court moment. Cette nouvelle loi est, de surcroît, rétroactive.

Cela fait six ans que Munther reçoit le soutien de personnalités

Cela fait six ans que Munther se bat pour garder le droit de continuer à vivre dans la ville qui l’a vu naître. Six ans qu’il reçoit le soutien de personnalités, des propriétaires de l’Americann Colony Hotel n’imaginant pas leur librairie privée de son âme. Lui non plus n’imagine pas sa vie sans elle ni ses livres.Ce sera à la Cour suprême israélienne de rendre son ultime verdict à une date encore inconnue …

 

 

AUX PREMIERES LOGES DE LA JUDAISATION

Le libraire venait de finir de nous parler de la difficile situation qu’il traversait en ce moment quand il nous proposa de nous emmener à Sheikh Jarrah, à quelques minutes de marche de l’American Colony. Il s’arrêta et pointa du doigt une belle maison étalée sur deux étages. Un drapeau israélien imposant flottait tel un pavillon sur un bateau.  C’est ici que la famille Hanoune avait été expulsée manu militari par la police israélienne en août 2009. Remplacée en moins de deux heures par des colons sans scrupules pour qui soixante années de vie ne comptent pas.

On les avait vus à l’époque revenant de courses, les bras chargés, sous les yeux anéantis des Hanoune, qui avaient décidé, dans un geste de désespoir, de planter une tente juste en face de leur ancienne demeure. Les Nations Unies avaient octroyéa ux Hanoune cette maison en 1948. Avec le temps, ils avaient décidé de construire plus haut pour pouvoir accueillir le « clan ». Les grands-parents, les oncles et tantes vivaient au deuxième étage. Ils avaient été jetés à la rue comme des vulgaires parias, coupables d’être Palestiniens, coupables aussi de n’avoir pas assez d’argent pour se défendre devant les tribunaux, quand les colons, eux, étaient soutenus par des associations…

Les nouveaux« propriétaires », avaient réussi à obtenir le précieux sésame, un titre de propriété validé à force de shekels, par une Cour israélienne. Le libraire racontait ça, comme on raconte une histoire banale. Le cas Hanoune en était un parmi d’autres…

 

 

Source : MEDIAPART

Tag(s) : #Monde arabe - Israël
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