Il est temps de se réveiller, ici aussi, de briser nos chaînes, tout comme les Tunisiens, les Egyptiens et d’autres peuples qui ont choisi d’en découdre avec l’injustice, le règne du profit pour quelques-uns et la violation constante des droits de l’homme. Certes, explique Omar Barghouti, militant palestinien, nos prisons à nous n’ont pas de portes et nous pouvons nous croire libres tant nos esprits ont été enchaînés. Un bel hymne à la résistance, et un rappel à ne pas oublier l’enfermement de la Palestine.
"Je vous souhaite d’avoir la force de résister ; de combattre pour la justice sociale et économique ; de gagner votre véritable liberté, votre véritable égalité des droits.
Je vous souhaite d’avoir la volonté et la capacité de sortir des murs de votre prison si soigneusement cachée. Voyez combien dans notre partie du monde tous les murs des prisons et toutes les portes épaisses inviolables sont manifestes, flagrants, dominateurs, choquants ; c’est pour cela que nous restons rétifs, insoumis, toujours en campagne et à préparer notre jour de la liberté, de la lumière quand nous réunissons une masse de gens qui disent non suffisamment fort pour franchir toutes les lignes rouges jusqu’alors impératives. C’est alors que nous pouvons briser ces chaînes lourdes, froides, hideuses, rouillées, ces chaînes qui ont incarcéré nos esprits et nos corps pour toute notre vie, comme la puanteur irrespirable d’un cadavre en décomposition dans la cellule de notre prison oppressante.
Les cellules de vos prisons, cependant, sont complètement différentes. Les murs en sont bien cachés de crainte qu’ils n’évoquent votre volonté de résister. Il n’y a pas de porte à votre cellule de prison - vous pourriez circuler « librement », sans jamais reconnaître la prison beaucoup plus vaste où vous êtes confinés.
Je vous souhaite l’Égypte, de pouvoir décoloniser votre esprit, car ce n’est qu’alors que vous envisagerez la vraie liberté, la vraie justice, la vraie égalité, et la vraie dignité.
Je vous souhaite l’Égypte, de pouvoir déchirer la feuille où il y a cette question à réponses multiples, « Que voulez-vous ? », car toutes les réponses qui vous sont données sont absolument erronées. Votre seul choix à les en croire serait entre le mal et le moindre mal.
Je vous souhaite l’Égypte, de pouvoir, comme les Tunisiens, les Égyptiens, les Libyens, les Bahreïnis, les Yéménites, et certainement les Palestiniens, crier « Non, nous ne voulons pas avoir à choisir la moins mauvaise des réponses. Nous voulons faire un autre choix qui ne se trouve pas sur votre damnée liste ! Vous nous donnez le choix entre l’esclavage et la mort, et nous voulons expressément opter pour une vie libre et digne, pas pour l’esclavage, et pas pour la mort ! »
Je vous souhaite l’Égypte, de pouvoir collectivement, démocratiquement, et de façon responsable, reconstruire vos sociétés ; redéfinir vos règles de manière à servir le peuple, pas le capital sauvage et ses banques ; mettre fin au racisme et à toutes les sortes de discrimination ; préserver et être en harmonie avec l’environnement ; supprimer les guerres et les crimes de guerre, et non pas les emplois, les aides et les services publics ; investir dans l’enseignement et la santé, pas dans les combustibles fossiles ni dans la recherche en armement ; renverser le joug répressif, tyrannique des multinationales ; dégager d’Afghanistan, d’Iraq, et de partout ailleurs où, sous prétexte de « propager la démocratie », vos croisades bien-pensantes ont répandu la désintégration sociale et culturelle, une pauvreté misérable et un désespoir extrême.
Je vous souhaite l’Égypte, de pouvoir remplir les obligations légales et morales de vos pays pour aider à reconstruire les économies et les sociétés violées, déconstruites de vos anciennes colonies - ou toujours actuelles -, de manière à ce que leurs jeunes puissent considérer leurs propres patries, viables, vivables et attractives à nouveau, au lieu de risquer la mort - ou pire - en haute mer pour atteindre vos rivages mirobolants, abandonnant leurs êtres chers et cet endroit, qu’ils appelaient autrefois, leur foyer. Vous voyez, ils sont « ici » parce que vous étiez là-bas... et nous savons tous ce que vous y avez fait !
Je vous souhaite l’Égypte, de pouvoir raviver l’esprit du combat anti-apartheid sud-africain en mettant Israël devant ses responsabilités face au droit international et aux principes universels des droits humains, en adoptant le boycott, désinvestissement et sanction (BDS), appelés par la société civile palestinienne à une écrasante majorité. Il n’y a pas plus efficace, comme moyen non violent, pour mettre fin à l’occupation d’Israël, à ses discriminations raciales et à son refus, depuis des décennies, du droit au retour consacré par les Nations-Unies des réfugiés palestiniens.
Notre oppression et la vôtre sont intimement liées et inséparables - ce n’est jamais un jeu avec un résultat nul ! Notre combat commun pour les droits universels et les libertés n’est pas qu’un slogan scandé pour nous valoriser, c’est un combat pour une émancipation et une autodétermination véritables, valeurs dont le temps est venu, avec véhémence.
Après l’Égypte, c’est notre moment. C’est le moment pour la liberté et la justice pour les Palestiniens. C’est le moment, pour tous les peuples de ce monde et particulièrement les plus exploités et les plus tyrannisés, de réaffirmer notre commune humanité et de reprendre le contrôle de notre destin commun.
Je vous souhaite l’Égypte !"
Omar Barghouti
Publié dans The Guardian le 21/03/11
(Traduit par JPP sur le site info-Palestine.net)
Source : CAPJPO