Pourquoi je quitte le PCF
par Pierre Zarka
J’ai conscience d’avoir eu au sein du PCF un parcours peu ordinaire du fait de la succession de responsabilités qui m’avaient été confiées. Je peux être considéré comme un produit de l’appareil
ce qui m’autorise à dire que j’y ai fait le tour des possibilités d’expérimenter. A chaque fois ce qui aurait dû être pris comme une incitation à ouvrir des chantiers a été réduit à l’état de
dissidence.
Je n’ai pas adhéré au PCF comme on entre dans les ordres : j’ai adhéré à la nécessité de faire la Révolution. Je pense que les mots de « communisme », « émancipation « n’ont de sens qu’associés à
« Révolution », sinon ils ne portent aucune perspective de concrétisation. C’est donc le passage de la situation d’exploités ou de dominés à celle de mouvement de masse transformateur qui fait «
mon » communisme. Agir pour dépasser tout rapport social d’assujettissement commence dès la conception de la lutte. L’organisation révolutionnaire en est un outil. Comme tous les outils, elle
prolonge la volonté humaine, élargit ses potentialités créatrices mais jamais ne se substitue à elle. Comme tous les outils, lorsqu’ils se révèlent inadéquats, sans colère et sans larme, on en
change.
Je ne peux m’empêcher de constater que depuis que l’enjeu historique n’est plus ni la lutte contre le fascisme ni contre le colonialisme mais comment la société dans son ensemble-je veux dire les
exploités et dominés- s’auto-émancipent et pour cela auto-organisent leurs propres mouvement, la structure même du PCF y fait obstacle. Pas par volonté maligne mais parce que le PCF comme tous
les partis issus de la révolution industrielle se conçoit comme devant se substituer au mouvement autonome des intéressés. Loin de moi de penser que le miracle de la spontanéité pourrait jouer en
faveur de la transformation révolutionnaire. Mais entre attendre béatement une vaine spontanéité et penser que le moyen d’y pallier serait de guider des ignorants, de se substituer à leur
intrinsèque faiblesse idéologique, il y a comme point commun de ne concevoir l’organisation que sous le mode de la dépossession et la politique sous le mode de rapports de subordination. Depuis
que le PCF a annoncé ne plus vouloir se considérer comme une avant-garde éclairée qu’a-t-il changé concrètement dans ses rapports avec les mouvements des différentes couches de la société ? La
défiance qui a été la sienne à l’égard du mouvement de 1968 vient de se renouveler lors des trois dernières échéances électorales.
Cela a de lourdes conséquences. Plus il cherche à s’inscrire dans la société et plus il confond la réalité de cette société avec l’espace des seuls partis institués. C’est donc à l’aune du
rapport de forces particulièrement entre le PS et lui qu’il croit mesurer les aspirations des gens. Plus il s’engage sur cette voie et plus il se coupe des attentes réelles. Et plus il s’en coupe
plus il réduit son univers aux seuls espaces institutionnels. Ainsi, il n’a fait avancer aucune perspective transformatrice lors de ce que tout le monde s’accorde à considérer comme la plus
formidable crise du capitalisme depuis 1929. Il n’a rien fait bouger à partir d’un mouvement comme celui qui a animé les salariés de Total qui pourtant disaient de leur entreprise « nous sommes
chez nous » et s’apprêtaient à chercher des solutions de productions sur un mode autogestionnaires. Non, durant cette période son principal problème était de savoir quelle serait sa prééminence
sur les listes des régionales. De fait son devenir est devenu sa propre finalité, celle-ci se substituant à la transformation de la société.
Que ce soit le PCF, le PG ou le NPA, aucun n’envisage le fait électoral autrement que comme l’expression de leur propre influence ; aucun ne l’envisage comme traduisant et stimulant le mouvement
populaire. Aucun ne fait de la dynamique populaire politique la finalité de leur rôle et la clé de leurs responsabilités. Ils n’envisagent que « ce sont les masses qui font l’Histoire »
uniquement sous la forme de soutient dont ils pourraient bénéficier, réduisant le rôle du peuple à celui de supporters. Aucun ne considère que c’est par l’accès à la responsabilité d’élaboration
politique et par la formation de capacités de contrainte sur les pouvoirs institutionnels que le mouvement populaire doit se former. En contre- partie, ce que l’on appelle les « abstentions » est
devenu un comportement actif de refus de vote, de condamnation de cette conception de la politique.
Les refus de rassemblements larges et composites ne sont que les conséquences de telles conceptions. Pour être précis, nous avons des années durant, multiplié les efforts pour contribuer à faire
changer le PC. Et il est arrivé que cela porte un temps des fruits et modifie certains de ses actes ; mais à chaque fois, ces avancées ont finalement été rattrapées et cannibalisées par la
matrice originelle qui veut qu’aux yeux de tels partis l’irruption du mouvement populaire équivaut à une négation de leur rôle. Ainsi ce qui devait être rassemblement sur un pied d’égalité est
devenu simple « élargissement » instrumentalisé pour le rayonnement du Parti. La régression de la situation en Ile de France entre les régionales de 2004 et celles de 2010 est éloquente. Tout
comme la tentative un temps acceptée de travailler avec des collectifs unitaires larges qui a finalement été rejetée comme une nuisance.
Un réflexe d’auto défense anime la structure du PCF contre ce qu’elle considère comme une agression, une remise en cause de son rôle dirigeant. Désormais de tenter d’allier des éléments qui se
révèlent à l’expérience être inconciliables ne ferait que préparer de nouvelles désillusions. La manière par laquelle la direction du Parti refuse de débattre de toute interrogation sur cette
matrice désigne l’impasse dans laquelle elle nous entraîne. Continuer à être un peu dedans et un peu dehors, ne peut maintenant qu’entraîner de l’impuissance. Malgré nous, nous ne pourrions nous
empêcher de chercher d’allier des éléments inconciliables et décevrions. Nous avons besoin d’avoir les mains libres pour élaborer une forme de la politique qui ne dépossède pas les citoyens et
une forme d’organisation qui ne cherche pas à se substituer à eux. Les mains libres, mais aussi et surtout l’esprit libre. Nous venons de faire l’expérience que de vouloir s’ancrer dans
l’organisation existante, nous y enlise et nous empêche de fournir le travail nécessaire, long, tumultueux de concevoir société, politique et organisation à l’aune d’un processus
révolutionnaire.
On ne peut avoir la tête à trop de chose à la fois. Personnellement, pour y avoir passé du temps et de l’énergie, c’est avec regret que je considère que le PCF s’avère incapable de répondre à
cette redéfinition de la politique et qu’il faut faire autre chose, ailleurs. Il me semble désormais plus efficace de proposer aux mouvements d’étendre, à partir de leurs attentes déjà présentes,
leurs prérogatives vers l’investissement de l’élaboration politique et des espaces de pouvoirs plutôt que de donner le sentiment de supplier les partis de bien vouloir partager ce qu’ils
considèrent comme leur territoire réservé. C’est d’ailleurs- je le souhaite- un tel processus qui pourrait nous faire rencontrer à nouveau un PCF, un PG, un NPA, des écologistes ou des
socialistes qui devront tenir compte d’une pratique citoyenne issue des luttes et des mouvements et des exigences de ruptures qui s’en dégageront.
Je ne suis ni le seul ni le premier à me poser de telles questions. Je me projette donc dans ce qui est un mouvement collectif, qui peut prendre forme en s’inscrivant dans l’expérience de
processus fédératif déjà lancé, je pense à la FASE, à l’intérieur duquel un nouvel espace communiste avec l’ACU a toute sa place. Nous ne partons pas de rien. Afin d’être à la hauteur d’enjeux
inédits dans l’Histoire, j’attends beaucoup de ce que les uns et les autres pouvons contribuer à faire évoluer au sein de ces tentatives commençantes. Cela se fera de manière polyphonique et
c’est cela que l’on reconnaît l’ampleur d’un mouvement