Cultiver son jardin est un acte politique
Par Pierre Rabhi
Comment s’étonner que le fossé se creuse entre les citoyens et ceux qui sont censés les représenter ? Qui sent encore qu’il peut participer aux choix qui concernent
son avenir ? Nos dirigeants ont certes pris la barre à la suite d’un vote, mais nombre de leurs décisions ne correspondent pas à ce pour quoi ils ont été élus. Leur tâche se limite à un pilotage
aléatoire du quotidien, qui n’ouvre aucune perspective d’avenir. Pire : il l’oblitère, en assurant la pérennité d’un modèle de croissance illimitée dont plus personne n’ignore qu’il est
incompatible avec la finitude des ressources planétaires.
Malgré notre incroyable technologie, nous avons inventé la société la moins performante de toute l’histoire de l’humanité, la plus dispendieuse en termes d’énergie,
la plus destructrice en termes sociaux et la moins résiliente qui soit, car entièrement dépendante d’un combustible fossile en voie d’épuisement… Et nous persévérons : ce que nous entendons par «
politique » s’apparente à de l’acharnement thérapeutique sur un système économique moribond. Tandis que la défiance envers les politiques se normalise, le malaise et la précarité gagnent du
terrain. On blâme tour à tour la mauvaise gestion de l’État, les exactions des industries, mais peu remettent en question le principe fondateur de notre société : cette logique de marché qui
confisque aux hommes ce que la nature leur a donné, la vie, l’eau, la terre, les semences… En poussant la logique actuelle, on pourrait imaginer un cartel mondial qui posséderait la planète et
nous rendrait tous locataires. Réinventer la politique, c’est protéger nos sources de vie de cette logique marchande qui ne fait qu’appauvrir des populations entières et détruire des écosystèmes,
dans des pays pourtant dotés de richesses naturelles. L’écologie est bien plus qu’un pansement sur les plaies de l’environnement. Elle nous conduit à repenser notre industrie, notre médecine,
notre éducation, notre alimentation… Elle nous invite à sortir du pillage organisé pour restaurer l’économie dans sa fonction la plus noble, qui est de répartir les biens de première nécessité au
profit du plus grand nombre. Nos choix de consommation sont de la politique en actes. Tout ce que nous pouvons faire pour nous autonomiser, c’est-à-dire pour pourvoir à nos besoins sans passer
par les trusts, est un acte politique. Même notre pays, dit développé, ne peut plus assurer son autonomie alimentaire. Nous avons tué nos sols à coups de pesticides, nos eaux sont polluées, nos
abeilles disparaissent, les OGM sont une imposture abjecte. Que le pétrole vienne à manquer et c’est la famine assurée. C’est pourquoi il est vital de soutenir l’agriculture, de favoriser la
multiplication des Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne). Cultiver son jardin est aujourd’hui un acte politique.
Pierre Rabhi
PS : Merci à Laurence Lemoine, Psychologies Magazine.