Prison: pas de ça chez nous!
Dans
une société ou l’existence et la nécessité de la prison est rarement contestée , on trouve pourtant peu de gens qui acceptent volontiers la construction de taules près de chez eux, comme M.Pierre Botton, le fameux promoteur
des « prisons du coeur » (tout un programme) en fait en ce moment l’expérience. En bref, OK pour des prisons, mais pas chez nous. En attendant de se sentir chez nous partout, et en
conséquence de ne plus vouloir de prisons nulle-part, nous publions ci-dessous un texte qui rappelle et résume les positions de la critique radicale de l’ordre carcéral. Comme d’hab, si vous avez
des questions , désaccords ou messages flambant d’amour, vous pouvez les déposer dans les commentaires…
Alors qu’un nouveau record de personnes incarcérées a été atteint au 1er mars (66 445), le Parlement vient de voter une loi visant à construire 24 000 places de détention supplémentaire, portant à plus de 80 000 la capacité d’ « accueil » des prisons françaises.
L’argument justifiant cette surenchère carcérale est simple (mais faux) : de plus en plus de personnes sont incarcérées car l’insécurité prospère, donc de nouveaux établissements pénitentiaires sont nécessaires…
Les défenseurs de cette position oublient que l’incarcération n’est que la conséquence d’une réponse judiciaire et policière : plus le nombre de délits possibles et de circonstances aggravantes augmentent (1), plus les lois sont dures et obligent à l’enfermement (2) et plus le nombre de personnes détenues augmentera automatiquement.
Ce nouveau renforcement sécuritaire est pour nous une occasion de se pencher sur l’utilité du système pénitentiaire. Replaçons le débat autour de la question fondamentale : « à quoi sert la prison ? » et dépassons le discours humanitaire qui semble être, à tort, la face la plus « progressiste » de la problématique carcérale et la seule alternative au discours sécuritaire.
A tort , car le discours humanitaire, qui affirme n’avoir pour seul but que d’améliorer la situation des personnes incarcérées, est une des conditions de perpétuation du courant sécuritaire.
Cette plaidoirie humanitaire pour la prison est largement relayée par les médias dominants : livre de Véronique Levasseur sur la prison de la santé, arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme condamnant la France, classements internationaux, record du nombre de suicides, etc… Reprise médiatique aussi massive et larmoyante qu’éphémère. De nombreuses associations s’inscrivent dans cette voie ; les lettres de Bové, les visiteurs de prisons, le GENEPI, etc.
Le GENEPI (Groupement Etudiant National d’Enseignement aux personnes incarcérées), par exemple, a pour vocation d’assurer des enseignements et des activités socio-culturelles à destination des détenus. Ce bénévolat cautionne donc l’idée que la prison, si des activités y sont dispensées en nombre suffisant, œuvre à la réinsertion des détenus et par la même contribue au maintien, à la légitimation du système pénitentiaire. D’ailleurs le GENEPI a été créé par l’Elysée suite aux nombreuses émeutes des années 70. Il n’y a pas de hasard… surtout à ce niveau.
Dans son livre Pour en finir avec la prison, Alain Brossat fait le pari que, autant nous sommes horrifiés par les normes pénales de l’ancien régime (galères, tortures, supplices publics, etc.), autant le système pénitentiaire actuel passera pour un anachronisme barbare aux yeux des générations futures.
Aux yeux de l’auteur, cet anachronisme provient du décalage entre notre « raffinement technologie », notre soi-disante pacification des mœurs et le maintien de la prison comme zone fermée à ces évolutions. Et tout changement, toute révolution trouve sa source dans un décalage, une discordance historique.
Ce décalage remplit une fonction sociale effective et efficace dans notre société: La prison est un anachronisme mais pas une anomalie . Tout comme le bagne ou les supplices publics à leur époque, la prison contemporaine a sa place dans un système de rationalité punitive ( une justification de la punition comme étant « raisonnable »). Depuis deux siècles, la prison est le débouché presque exclusif de l’ordre pénal. Comme l’écrit Foucault « les prisons sont anachroniques et sont pourtant profondément liés au système ».
D’ailleurs, puisque qu’on parle de lui, l’approche de Foucault n’est pas morale, c’est-à-dire s’intéressant aux souffrances des détenus, mais politique, c’est-à-dire appréhendant le détenu comme sujet et acteur d’une histoire, et non comme victime.
Et le rôle du système pénitentiaire est le suivant : la production d’une frange de population inintégrable, de classes dangereuses, qui permet de reconduire sans fin des opérations de division à l’intérieur du prolétariat.
Ce « déchet de l’ordre productiviste » justifie l’ordre policier qui assure la pérennité de la classe au pouvoir. La prison est aussi un laboratoire des pratiques disciplinaires pour les autres sphères de la vie sociale : famille, école, travail, caserne, etc.
Tout est fait pour retirer ce sens politique, notamment grâce au refus de la parole des prisonniers. Leur expression n’est autorisé, juridiquement (3) et médiatiquement (4) que lorsqu’ils font leur mea culpa public et répandent leurs éternels regrets. Au contraire leur parole est dénié lorsqu’il s’agit de problématiser de leur point de vue, le sens politique de leur infraction : la révocation de la semi-liberté de Jean-Marc Rouillan à cause d’une banale interview dans l’Express, il y a trois ans, en est un exemple criant.
Toutefois, après mai 68 la prison redevient un enjeu politique alors que traditionnellement le mouvement politique n’était pas associé au mouvement des prisons, en vertu de la séparation voulue ( et plus que critiquable) du prolétariat et du « Lumpenprolétariat » ( la partie des prolos qui (sur)vis grâce a des combines).
Cette irruption politique est souvent attribuée à l’incarcération de nombreux militants maoïstes dans les années qui suivirent, surtout ceux du groupe « Gauche Prolétarienne » suite à l’interdiction de leur organisation.
Cet événement a en tout cas permis à la prison de bénéficier d’un espace d’expression public tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Foucault y a contribué en créant le » Groupement d’information sur les prisons » qui avait pour but la prise de parole des détenus et la mobilisation des intellectuels. C’est à cette même période qu’éclatèrent jusqu’au milieu des années 70 de nombreuses émeutes carcérales. Les deux sont sans aucun doute liés. La politisation de la question « prison » a sûrement permis une prise de conscience à l’intérieur des murs comme à l’extérieur.
Mais cette prise de conscience n’a été suivie que par le sempiternel discours humanitaire (la création du GENEPI entre autres) qui a contribué à dépolitiser le débat : s’intéresser aux souffrances causées par la prison et non à sa fonction au service de l’Etat capitaliste.
L’abolition de la peine de mort en 81, bien qu’une avancée indéniable, en a été le point d’orgue. Alors que la peine de mort permettait à l’Etat d’asseoir sa violence et son pouvoir souverain grâce à quelques exemples peu nombreux, sa suppression, cheval de bataille de la conscience humanitaire, a eu pour contrepartie l’allongement et la multiplication des longues peines. Les longues périodes de sûreté, jusqu’à 30 ans, auparavant rares, sont maintenant monnaie courante (5). La réforme phare de Badinter a éclipsé le débat sur la place politique de la prison né quelques années en arrière et a fourni un surcroît de légitimité à l’institution pénitentiaire : si on n’élimine plus physiquement les criminels, il s’agit d’avoir un lieu qui permettent de les éliminer socialement. En dérobant les détenus à la pitié, on les a voués à l’oubli et on les condamne à l’indifférence. En bref l’abolition d’une peine rare et extraordinaire a engendré l’aggravation des peines nombreuses et malheureusement ordinaires. « J’aime mieux quelques bourreaux que beaucoup de geôliers » a écrit Benjamin Constant.
Malgré tout, quelques scandales médiatiques réveillent, parfois, l’opinion publique tout en évitant, toujours, de politiser la question. Mais ces sursauts sporadiques n’ébranlent en rien une institution soutenue par des syndicats de matons à la pointe du sécuritaire, FO en tête, car l’immobilité pénitentiaire ne doit rien a la malchance, c’est un programme, une production historique et politique.
Plus qu’un lieu d’enfermement, la prison reste un des derniers lieux d’application par l’Etat de l’exception souveraine, opposé à la libéralisation de la société.
Alors que la biopolitique, définie par Foucault comme l’emprise positive sur la vie des « sujets » (influence, prise sur les comportements, propagande, etc.), s’étend, l’ancestrale violence d’Etat, barbare et anachronique, s’applique encore aujourd’hui au sein du milieu carcéral.
Noam Chomsky affirme que « la propagande est à la démocratie ce que la violence est à la dictature ». Si cela est vrai, des îlots de dictature constitués par les prisons subsistent au cœur de nos « démocraties », permettant à la propagande « démocratique », à l’extérieur des murs, de fonctionner de plus belle.
La prison va à rebours du mouvement de la société dans son ensemble. Tandis qu’à l’extérieur les normes sanitaires, l’intimité, la sexualité, etc., sont de plus en plus considérés, ces droits sont encore niés à l’intérieur des murs des enceintes pénitentiaires.
Mais cette exception fait l’objet d’un déni, on n’avoue que des « pénuries », des « dysfonctionnements ». Depuis l’apparition et la disparition – partielle – des régimes totalitaires, il est impossible de revendiquer un usage exemplaire de l’inhumain. Or, ces « dysfonctionnements » sont savamment organisés et sont le principe même de l’état carcéral. On ne saurait admettre que les détenus soient mieux disposés que la frange la plus mal famé de la population libre. C’est comme ça que les les partisans les plus délirants du courant sécuritaire se retrouvent a dénoncer encore et toujours la mythique « prison à 5 étoiles » qui n’a jamais existé que dans leurs fantasmes.
Apparemment a contrario « les humanitaires » souhaitent l’amélioration des conditions de détention. Ce qu’ils souhaitent, ce n’est pas une société sans prison mais une prison-modèle, une manière de punir autre mais toujours soumis au modèle carcéral.
C’est pour cela qu’il faut dépasser ce discours binaire (sécuritaire/humanitaire) et chercher à en finir avec la prison, vestige séculaire de la violence d’Etat et de son exception souveraine, outil du maintien du capitalisme et des classes dirigeantes.
Quelques chiffres (source : Ministère de la Justice)
Budget du Ministère de la Justice en 2011 : 2,24 milliards d’€
189 établissements pénitentiaires en France, divisés en trois grandes catégories :
- les maisons d’arrêts (au nombre de 101) pour les prévenus et les condamnés à une peine inférieur à un an (en principe), mais elles ne sont pas soumises à un numérus clausus. En conséquence, ce sont elles qui connaissent de la surpopulation, elles abritent les détenus condamnés à plus d’un an mais en attente de transfert vers un établissement pour peine, eux contraints à une limite maximale de population.
- les établissements pour peines (au nombre de 82) pour les détenus condamnés à plus d’un an de prison, répartis entre centre de détention, avec un régime disciplinaire « light »), et maison centrale, les plus nombreuses, pour les personnes considérés comme « difficilement réinsérable » (notamment les détenus politiques).
- 6 établissements pour mineurs
- 12 centres de semi-liberté (qu’est-ce que c’est qu’une moitié de liberté ?) : au travail la journée (prison salariale) et enfermé le soir (prison carcérale) : la forme la plus achevée du capitalisme…
Au 1er février 2011, 65 699 détenus pour 57 213 places dont 16 643 prévenus (non-condamnés) et 723 mineurs + 8 924 placés sous surveillance électronique (alors qu’annoncé pour désengorger les prisons, on observe que les placements en détentions et le port de bracelet électronique augmentent en parallèle).
Pour aller plus loin :
- Alain Brossat, Pour en finir avec la prison, La Fabrique, 127p.
- Michel Foucault, Surveiller et Punir, Gallimard, 360p.
(1) Réformes successives du code pénal…
(2) Loi sur la récidive et les peines planchers, loi sur la rétention de sûreté, politique du chiffre, etc.
(3) Dans certain cas de liberté conditionnelle.
(4) Le bon repenti sur les plateaux télé : « ne faites surtout pas comme moi ! »
(5) Il n’est pas ici question de remettre en cause l’abolition de la peine capitale mais d’avoir conscience de ses effets pervers.
repris sur tantquil.net
SOURCE / AL MONTPELLIER