Le Mondial au Qatar ou l’ineptie vue du ciel
Par BRUNO REBELLE Conseiller en développement durable et ancien directeur de Greenpeace
Alors que s’ouvraient les négociations sur le climat à Cancún, on apprenait que le Qatar organisera en 2022 la Coupe du monde de football. Je ne connais rien au
ballon rond et je laisse à d’autres le soin de commenter la pertinence sportive de ce choix. Mais, en écologiste déterminé, je ne peux laisser passer un tel projet au regard des enjeux
planétaires auxquels nous sommes tous - Qataris inclus - confrontés. Je peux encore moins ignorer le soutien qu’apporte Yann Arthus-Bertrand au projet.
En superficie et population, le Qatar équivaut à trois départements français. Différence notoire, il y fera, au moment de la coupe du Monde, plus de 50°C. On nous
annonce donc, sans rire, que les 9 stades construits pour l’occasion seront entièrement climatisés. C’est probablement parce que la climatisation sera à base d’énergie solaire que notre
photographe héliporté apporte son soutien au Qatar. L’ineptie n’est pas là.
Il faut, pour mesurer l’inconséquence du projet, prendre de la hauteur, ce que notre spécialiste des vues du ciel a peut-être oublié. C’est l’idée de construire 9
stades, dans un pays de 1,6 million d’habitants qui en compte déjà 3, qui n’a aucun sens. Les organisateurs ont vu le piège et ont inventé le «stade à usage unique». Les équipements seront
démontés pour être ensuite réinstallés dans des pays insuffisamment équipés. L’intention est généreuse, mais elle n’est pas écologiquement supportable. Si l’on fait un bilan carbone de
l’investissement (matériaux de construction, consommations d’énergie pour le montage, le démontage, transport, remontage dans les pays d’accueil), on se rendra vite compte que l’utilisation du
solaire pour la climatisation ne réduirait que très marginalement l’énorme impact sur le climat de ce projet.
On rétorquera que ces réalisations seront un laboratoire pour tester de nouvelles solutions. Mais cette critique de la critique ignore qu’il n’est plus nécessaire
aujourd’hui de tester les technologies solaires, pour la plupart suffisamment mûres. En revanche, il faut développer les énergies renouvelables alimentant de manière pérenne écoles, hôpitaux,
services publics, habitations. Nous pourrions aussi souligner la demande en eau d’une Coupe du monde en plein désert ; il faudra soit la faire venir à grands frais, soit la produire par
désalinisation, là aussi très consommatrice d’énergie.
Mais surtout, on peut craindre que l’énorme chantier ne change pas grand-chose aux pratiques sociales dans les pays du Golfe où la main-d’œuvre pakistanaise,
indienne ou chinoise est surexploitée : salaires de misère, logements dans des conteneurs métalliques, véritables fours posés en périphérie des villes, négations des droits élémentaires. Le
durable c’est aussi veiller à ce que le développement favorise l’épanouissement de tous les individus. La vue du ciel que nous propose Arthus-Bertrand, ne devrait pas faire abstraction de cette
dimension humaine.
Ma critique ne vise pas à priver les Qataris de Coupe du monde. L’alternative pourrait être de penser l’événement à l’échelle régionale pour valoriser des
équipements existants, répartir les investissements, proposer un travail décent aux acteurs locaux. On démontrerait ainsi que la fête du foot peut répondre aux enjeux modernes : équité sociale et
territoriale, économie de ressources, protection du climat… Ma critique est aussi tournée vers Arthus-Bertrand qui, fort de son aura médiatique, devrait être plus précautionneux des soutiens
qu’il apporte. Nul ne critique le travail du photographe et la puissance des images qui forcent l’engagement. Mais les mots qui accompagnent ces images doivent faire sens et le militantisme dont
se revendique Arthus-Bertrand ne peut s’accommoder d’aucune complaisance. Sinon, la promotion du développement durable ne sera qu’une bouffonnerie contreproductive.
Source : libération.fr