Tout au long d'une année, nous voyons beaucoup de documentaires, engagés dans un combat ou non. Presque la totalité d'entre eux s'avèrent réussis sur le plan politique et social, mais assez faible sur le plan du cinéma. Parfois, c'est l'inverse, mais c'est rare. Et parfois encore, mais là cela relève du miracle, la forme est la hauteur du fond, en intime adéquation et l'on frôle alors une sorte d'état de grâce filmique.
"Qu'ils reposent en révolte" fait sans aucun doute possible parti de ce très petit nombre de films qui dès les premiers plans vous subjuguent, sans rémission, malgré la longueur inhabituelle du documentaire. D'abord il y a des choix techniques, celui du noir et blanc, celui de l'absence de musique (sauf en tout fin avec un sublime morceau d'Archie Shepp), l'absence de voix off, une des plaies endémiques des documentaires, et encore des longues séquences qui donnent du temps au temps, qui permet de s'arrêter sur les paroles de ces migrants, à Calais, des migrants qui souvent viennent de traverser une grande partie du monde. Des migrants qui tentent, souvent en vain, de s'embarquer pour la Grande-Bretagne, si loin mais si proche. Des migrants pourchassés par les flics qui tournent, on pourrait même écrire, qui rôdent sans cesse. Des migrants, seuls, très seuls, loin de leurs pays, loin de leurs familles et de leurs amis, dépourvus de tout, avec juste le courage et la dignité...
Avec retenu et respect, Sylvain George s'est immergé dans le monde des migrants de Calais durant trois ans, par périodes successives. Il filme avec sobriété les corps, les visages, les doigts mutilés pour échapper aux fichiers européens, mais il filme aussi les décors de ces vies en suspens, des décors à l'image de cette Europe qui se ferme sous les lois sécuritaires. Décors souvent filmés de nuit, qui sont faits de fourgons de police, de barrières, de barbelés, de poids lourds qui circulent où des corps anonymes tentent de monter clandestinement vers un ailleurs présumé meilleur, et aussi des lumières blafardes, des entrepôts vides et des zones de relégation. Parfois ces êtres humains se regroupent dans un lieu anonyme, ils reçoivent une soupe et quelques vêtements (Salam et son formidable travail), ils y construisent avec quelques matériaux récupérés des abris, et cela forme alors une espèce de "jungle".
Laquelle "jungle", on s'en souvient, fut détruite par Besson, à coups de CRS et d'excavatrice détruisant sans rémission les rares affaires personnels des migrants. Avec cette rage des nantis-prédateurs à détruire le peu que possèdent encore ceux qui ne possèdent rien ! Comme une négation infinie des individus jugés de trop sur notre territoire ! C'est une des dernières séquences du film où la police pourchasse au petit matin des migrants aux mains nus, avec pour seuls soutiens structurés "Salam" et "No border", en l''absence habituelle des valeureux partis et syndicats, sans doute occupés à d'autres combats...Là encore, le cinéaste laisse tourner, laisse parler les images. Et ces images nous parlent effectivement, elles nous en disent beaucoup sur ces migrants, sur la France, sur l'Europe, sur l'UMP de Calais, sur le niveau de déliquescence de notre société capitaliste...
Avec un talent incroyable, Sylvain George, nous donne à voir, loin des clichés habituels de la télévision destinés à faire peur avec les figures des migrants, à voir, mais aussi à ressentir, car sa caméra digresse, prend le temps, de filmer autour de ces hommes en stand-by. Il filme l'eau, les reflets dans l'eau, des morceaux de carton, ou des fragments de terre, des oiseaux qui passent, faisant parfois penser à des plans sublimes de Godard ou Ivens. Après avoir mis en action notre cerveau, il met en action nos sens, sans brusquerie, sans pathos, sans effet de style, juste la réalité, mais avec une vue poétique qui fait respirer son film, et qui par la même occasion nous fait respirer la vie de ces migrants, chassés par les guerres et les famines, ailleurs, chassés ici par la police des Hortefeux et Guéant.
Alors ne ratez pas l'occasion de découvrir ce film exceptionnel que chaque spectateur ne manquera pas de garder longtemps en mémoire. Sans nul doute le
documentaire le plus marquant de l'année...
Dan29000
Un film de Sylvain George
Image, Son, Montage Sylvain George
La voix du Dehors Valérie Dréville
Musique originale Archie Shepp « Motherless Chile ‘ »
Années de production 2007-2010.
Langues Français, Anglais, Irakien, Erythréen...
Durée 153 mn. Format tournage DV. Image N/B.
Voir les sites de SALAM, ICI et de NO BORDER, LA
Noir Production 26 rue Damrémont 75018 Paris.
noirproduction@no-log.org
Independencia Distribution 29 rue Etienne Dolet 75020 Paris.
Programmation Julien Navarro - Séance Tenante. 70, rue Amelot 75011 Paris. tel 01 43 57 20 23 / fax 09 59 66 81 89 / julien@seance-tenante.fr
Presse Stanislas Baudry. 34, boulevard Saint-Marcel 75005 Paris France tel +33 9.50.10.33.63 / +33 6.16.76.00.96 / sbaudry@madefor.fr
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PARIS / Espace ST Michel, 4e semaine de projection ce mercredi 07/12
A partir de la semaine du 7 décembre,
plusieurs projections au Cinéma Mélies à Montreuil
En janvier 2012 au cinéma François Truffaut de Chilly-Mazarin
Dans le cadre des Rencontres du film social
28 janvier : Projection du film Qu’ils reposent en révolte
suivie d’une rencontre avec Sylvain George
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PRESSE / EXTRAITS
Libération
On touche là à la forme même du désespoir politique. Sylvain George vient de la philosophie (cela se sent parfois, par son goût presque trop prononcé pour les citations en insert, comme superflues ici). Pourtant, il filme avec un sens du cadre et de la présence qui ne trouve aujourd’hui d’équivalent que dans la très grande photographie. A noter que ce film, le premier d’une série plus large intitulée «Des figures de guerre», est distribué par la revue en ligne Independencia et que sa sortie sera accompagnée de nombreux débats, avec entre autres André Labarthe, René Vautier et surtout Jacques Rancière. Un des chocs de cette année.
LES INROCKS
Sylvain George est avant tout un cinéaste, un vrai. Il n’y a pas de migration dans son film, mais des individus qui migrent. De là la beauté flagrante, cinématographique, de Qu’ils reposent en révolte.
Il faut absolument dire deux mots de l’image : un noir et blanc extrêmement contrasté, des effets de ralenti en fin de plan, des contre-plongées. Le miracle, le talent, c’est que le film ne tombe jamais, au grand jamais, dans l’exercice arty mais demeure dans l’expression la plus juste d’une vérité immédiate.
LE MONDE
Fait de longues séquences en noir et blanc, le film additionne des moments, passe d'une saison à l'autre. De temps en temps, un monologue vient briser ces images sans commentaires. Un migrant raconte son voyage, à travers le Sahara, la Libye, la Méditerranée ou à travers l'Iran, la Turquie, les Balkans.
La dernière partie du film montre la destruction de la "jungle" par les forces de l'ordre françaises agissant sur instruction du ministre de l'immigration et de l'identité nationale, Eric Besson. La caméra s'attarde sur les rebuts de la société de consommation (affiches, cartons d'emballage) qui avaient servi à la construction des cahutes. On entrevoit le ministre, sûr de lui, du bon droit de l'Etat. On voit les policiers procéder "avec humanité", comme l'avait dit M. Besson.
TRANSFUGE
Sylvain George filme les réfugiés au bord d'un fleuve, c'est l'été, ils se baignent. Les miroitements de l'eau ouvrent les corps au bonheur de l'intensité. Regardez-les, ceux dont on dit qu'ils ne devraient pas être là : leur présence est une joie pure. Qui est capable d'être aussi magnifiquement là ? Lorsqu'ils se baignent, ces réfugiés qui n'ont ni abri ni pays, qui ne vivent nulle part, sont capables de ce qui échappe de plus en plus aux Occidentaux : ils habitent le monde.
LES LETTRES FRANCAISES
Une militante de l’association Salam résume bien le travail de Sylvain George : « Parfois je le voyais filmer des objets, des choses à mes yeux inutiles ou secondaires. Des objets du quotidien. Une bouteille d’eau. Je ne comprenais pas pourquoi. Après avoir vu le film, j’ai compris. Il a su reconstruire une vie. La vie des migrants, montrer comment c’est. »
POSITIF
Tourné en noir et blanc, le film croise des séquences marquées par un style hérité du cinéma-direct, agité, nerveux, immiscé dans les conflits filmés, avec des moments de stase poétique, aménageant un espace de recueillement cinématographique pour des existences livrées à la douleur. On a accusé le cinéaste d'esthétisme. Reconnaissons lui le mérite de prendre, comme Benjamin, des chemins de traverse, des passages non obligés et d'autant plus risqués, offrant au regard des vitrines peut-être scintillantes mais non balisées. Manière de faire sauter le regard, comme les immigrants font, explique-t-il, exploser le temps.
BLOG MEDIAPART
Sylvain George retire de ses années d'immersion chez les exilés une perception subjective mais que partagent la quasi-totalité de celles et ceux, militants, journalistes, chercheurs qui les ont côtoyé autrement qu'à travers la télévision : ils ne sont pas ces fantômes lointains et inquiétants, toujours nombreux, du journal de 20h. Il y a de tout, comme partout, des bons et des méchants : l'auteur le sait mais choisit les figures sympathiques. Comme pour subvertir l'image télévisuelle de la peur des migrants, il montre ceux qui pourraient êtres nos amis, nos voisins, nos étudiants, nos collègues... Comme pour contrer l'image télévisuelle de fantômes téméraires, il les réhumanise en filmant les chants, les rigolades, les colères et les peurs.
bande annonce 3 They are still alive from Independencia on Vimeo.
Entretien avec Sylvain George
Quelle est la genèse du film ?
Depuis maintenant cinq ans je travaille sur les politiques migratoires en Europe et les mobilisations sociales qui peuvent s'y rapporter. Pour moi, les questions en rapport à l'immigration et à la figure de l'étranger sont cruciales. Ce sont des indicateurs qui permettent de mesurer l'état de nos démocraties. Au début, j'avais prévu de réaliser un court-métrage en deux parties. Au fur et à mesure que je me trouvais confronté aux réalités du terrain, que je faisais des rencontres avec des personnes, en Europe comme en Afrique, le projet s'est considérablement développé. Le film devait s'ouvrir sur la situation des personnes migrantes en transit à Calais, puis montrer un certain nombre de situations en Afrique, en Europe... J'avais initialement prévu de me rendre dans cette ville pour une durée de trois mois. Au vu des situations rencontrées et des liens tissés avec de nombreuses personnes, j'y suis finalement resté trois ans, avec des durées de séjour variables, entre juillet 2007 et Janvier 2010. La "partie Calais" s'est peu à peu "imposée" et "autonomisée" par rapport au reste du film. Elle est devenue un long-métrage à part entière : Qu'ils reposent en révolte. Un certain nombre de "fils" qui se trouvent dans ce premier film vont être développés dans le second.
Quelle est la structure du film ? Suit-elle une chronologie particulière et comment avez-vous pensé le montage des différentes séquences ?
Le film se compose de séquences autonomes, de fragments qui, comme autant de monades, se renvoient, correspondent (au sens baudelairien du terme), les uns aux autres et se télescopent, créant ainsi de multiples jeux de temporalité et de spatialité. Le film ayant été tourné sur trois ans, le cycle des saisons est perceptible, sans qu'il ne soit forcément travaillé de façon chronologique. Il en va de même pour certaines situations qui peuvent être traitées de façon chronologique ou non, sans que pour autant le temps et le récit ne répondent à une conception du temps homogène. La mise en correspondance, en tension poétique et dialectique, de situations, d’évènements, de personnes, ou bien encore de motifs répond à la construction d'une histoire. Elle prend le contre-pied d'une conception marquée par le mythe du progrès, et qui tend à forclore les époques et les problématiques dans un dépassement permanent.
Le film adopte une structure circulaire (avec épilogue) qui le rapproche de l'épopée. En quoi la figure du migrant, de l'apatride, du sans-papier, est-il porteur selon vous d'une connaissance ou d'une vérité - autrement dit d'un potentiel révolutionnaire - pour l'Occident ?
Qu'ils reposent remet en évidence des éléments qui participent de notre civilisation, des fondements de l'Occident: les sources judéo-chrétienne, grecques, mésopotamiennes... On retrouve ces éléments dans la structure ; dans des images comme celles que l'on trouvent dans le prologue et l'épilogue du film : le lever du jour au sommet du Sinaï / la vallée de l'Euphrate – terres d'immigration par excellence... Ces éléments indiquent que nous sommes traversés par la question de l'immigration, non pas seulement d'un point de vue familial, mais quasiment « universel ». Il n'y aurait de civilisation ou d'histoire personnelle sans cette notion de mouvement, passage, migration.
Les questions migratoires, les « figures » de l'étranger, de l'immigré, du migrant montrent, en termes métaphoriques, l’Occident comme un océan ténébreux, terrifiant, où le froid règne en maître et s’étend sur des déserts de givre et de flammes glacées. Un Occident pétrifié par une froideur semblable à la plus terrible des solitudes, immobilité, existentielle et métaphysique, et qui le transforme en royaume des ombres. Un univers qui se replie sur l’actuel et le fini et dont l’énergie s’amenuise, se rétrécit, s’atrophie dans une attitude de clôture au monde. Cette crispation mortifère donne naissance à des politiques de stigmatisation, où sont mis en avant les vertus de la « conservation de soi », l’identité nationale comme celle du « Home sweet home », et qui ne reconnaissent le « même », le « semblable », l’identique que pour mieux évacuer l’autre, le différent, l’étranger, le barbare. Nous sommes dans l'ère du surplomb, de la condamnation, de la culpabilité, de la morale qui juge et condamne. Vie nue et désolée, corps crépusculaires… Dans cet univers carcéral, concentrationnaire, ban-opticon chaudron du diable, l’espace subit un quadrillage militaire et policier, les mouvements sont contrôlés, les corps marqués, désignés, assignés à certaines places, les gestes consignés. Dans cette nuit qui n’en finit pas de tomber le jour, lui, est toujours là. L’enfer est sur terre.
Lire la suite sur le site du film, ICI
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Cet entretien est illustré par quelques séquences de son film afin de vous permettre d'appréhender le traitement accordé à l'image ainsi que le dispositif mis en place par l'auteur. Nous espérons que cette rencontre faite pendant la temporalité du FID vous portera à voir le et l'ensemble des films de Sylvain GEORGE qui n'a pas fini de faire parler de lui, et plus largement des autres.. par le regard si aiguisé qu'il porte sur le Monde.. Les Mars Makers..
Synopsis : Une Ode, en noir et blanc, aux immigrés de Calais , et d'ailleurs..
Ode, in black and white, to immigrants, from Calais, from elsewhere..